Creux conjoncturel et déficits structurels : 2020 s’annonce difficile pour les entreprises

Affaires économiques

Conférence annuelle sur l’économie luxembourgeoise

De gauche à droite: Carlo Thelen, CEO / Directeur général de la Chambre de Commerce, Christel Chatelain, Head of Economic Affairs et Marc Wagener, COO / Chief Economist de la Chambre de Commerce

La Chambre de Commerce a tenu, ce mercredi 11 décembre, sa traditionnelle conférence annuelle de conjoncture, enrichie du nouveau Baromètre de l’Economie qui prend le pouls des entreprises luxembourgeoises. Le climat des affaires se caractérise par l’incertitude, aussi bien au niveau international que national, au sein d’un monde où les transitions environnementale et digitale deviennent prééminentes. Le ralentissement actuel devrait se généraliser tout au long de 2020, sans mener toutefois à une récession.

Au Grand-Duché, les problèmes structurels du pays risquent d’aggraver la situation de nombreuses entreprises, surtout si la conjoncture devait se détériorer davantage et plus durablement. La compétitivité et l’attractivité du Luxembourg peinent à s’améliorer, alors que les coûts des entreprises augmentent sous l’effet de la congestion des facteurs de production, d’une productivité stagnante, d’une surrèglementation et de procédures administratives qui peinent à s’alléger. Pour y remédier, il faut définitivement se tourner vers un modèle qui privilégie et soutient la croissance qualitative à travers l’efficacité de la gouvernance publique, l’efficience du cadre légal et fiscal et une agilité accrue au niveau des processus décisionnels, afin de rétablir la confiance, la capacité d’innovation et la rentabilité des entreprises, vecteurs indispensables pour maintenir la cohésion sociale et le bien-être de la société au Luxembourg.

Répondre aux défis concrets des entreprises au niveau du recrutement de talents, de l’aménagement du territoire, de la législation sur les faillites, de l’évolution des coûts de production et de la fiscalité, devient vital dans la phase actuelle de creux conjoncturel.

Objet de toutes les attentions depuis les prémisses des tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, le climat des affaires n’est pas au beau fixe en cette fin d’année 2019. Certains risques anticipés l’an dernier se sont déjà concrétisés, tandis que des incertitudes subsistent. La croissance chinoise suit déjà depuis plusieurs années une lente pente descendante, alors que la longue phase d’expansion économique américaine se voit arriver à son terme.

Le ralentissement est une réalité tangible également dans l’Union européenne, accentué par une situation politique flottante, le Brexit ne finissant pas de ne pas finir. Encore moteur il y a peu de l’économie européenne, l’Allemagne est un des principaux pays affectés. L’industrie allemande tousse et c’est le pays entier qui souffre. La décélération de l’économie est moins marquée en Belgique et en France, mais tout de même bien présente.

Des entreprises, entre confiance affichée et ralentissement avéré

Une économie aussi ouverte sur l’extérieur que le Luxembourg est logiquement affectée par un tel climat. Le Baromètre de l’Economie de la Chambre de Commerce met en évidence un ralentissement des perspectives d’activités entre le 1er et le 2nd semestre de 2019. L’activité du 2nd semestre s’est en effet révélée en-deçà des anticipations réalisées par ces mêmes entreprises, tandis que le secteur du transport prévoit une diminution de son activité pour les 6 prochains mois. L’influence attendue de l’environnement économique sur les entreprises en 2020, un indicateur phare de la traditionnelle enquête Eurochambres intégré dans le Baromètre, dresse un constat nuancé : 18% des dirigeants anticipent une influence positive et 12% une influence négative. Le secteur le plus optimiste est celui des services hors finance, avec un différentiel positif de 18 points entre les entreprises du secteur s’attendant à une influence favorable et celles s’attendant à un impact défavorable. A l’opposé, les entreprises des secteurs du commerce et de l’industrie prévoient majoritairement un environnement économique défavorable en 2020.

Le manque de main-d’œuvre qualifiée et le coût du travail sont les deux principaux défis structurels du développement économique des entreprises. Les 365 premiers jours de la nouvelle coalition ont vu l’émergence de nombreuses mesures sociales, qui ont aussi un coût certain en termes financier et organisationnel pour les entreprises, sans que ne soit mises en œuvre en contrepartie des avancées en leur faveur. L’organisation du travail dans une économie digitalisée du 21e siècle doit être davantage flexibilisée au niveau sectoriel et des entreprises pour répondre pleinement aux besoins des entrepreneurs et de leurs salariés. « L’over-regulation » n’est pas sur le chemin de la reddition. Les chantiers principaux du Gouvernement : réforme fiscale, pacte logement, projet de loi Climat et plans directeurs sectoriels, apportent autant de promesses que l’inquiétude que celles-ci soient déçues.

Des marges de manœuvre qui se réduisent comme une peau de chagrin

L’année est traditionnellement rythmée par la publication de plusieurs rapports de compétitivité, des sources d’informations essentielles pour évaluer les capacités de l’économie à demeurer compétitive et pour déterminer les éléments à renforcer. Il en ressort quelques grands messages au moment de mettre l’accent sur les chantiers incontournables de l’économie luxembourgeoise. Ces rapports nous rappellent l’absolue nécessité de conserver une bonne position concernant les fondamentaux de la compétitivité, écosystème des entreprises, stabilité de la législation, fiscalité, coût du travail, des sujets sur lesquels le Luxembourg a le plus souvent tendance à décrocher. Le Luxembourg se retrouve ainsi parmi les pays à taux d’affiche fiscal élevés pour les entreprises et les particuliers.

L’atout que constituent les talents internationaux pour le Luxembourg est mis en avant par plusieurs indicateurs des classements de compétitivité. La gestion de la croissance semble de plus en plus difficile. Qui plus est, elle menace d’être freinée par la lenteur des avancées en matière de logement et de mobilité ; facteurs qui – couplés au manque de main-d’œuvre qualifiée – expliquent aussi la stagnation de la productivité depuis quelque 15 années au Luxembourg. Or en l’absence d’une croissance qualitative, les difficultés pourraient s’avérer exponentielles. Quant aux entreprises, elles voient leurs marges de manœuvre se réduire sous la pression de gains de productivité en panne, d’un coût du travail en forte hausse, notamment par rapport aux pays voisins, et d’une charge fiscale importante en comparaison européenne et internationale.

Des chantiers indispensables pour stimuler l’économie

7 chantiers incontournables permettront aux entreprises d’affronter les défis de 2020.

Le 5ème plan PME doit permettre de mieux accompagner quelque 32.000 PME, sur certains sujets évoqués plus haut : 2nde chance en cas de faillite, digitalisation, talents, zones d’activités, mais aussi répondre aux problématiques de transmission d’entreprise, aux difficultés d’accès au financement des PME et aux « lourdeurs administratives » ou à « l’over-regulation ».

Chaque année, la thématique des talents et des besoins en recrutement prend plus d’’importance pour les entreprises, 54% d’entre elles ayant eu récemment beaucoup de difficultés pour recruter et près de 90% ont au moins quelques difficultés. La solution passera par des mesures ciblées, notamment en termes de flexibilisation et formation et de qualification continues, en ce qui concerne les problématiques particulières de certains secteurs et entreprises, plutôt que par le « one size fits all ».

La transformation digitale est porteuse de nombreuses opportunités. Devenir une « Digital Nation » requiert la transition vers une « Digital Economy », soit une économie dont la productivité augmente grâce au numérique car le digital est au service de l’économie, un « Digital Government », qui améliore l'efficacité des processus gouvernementaux et la qualité de ses interactions grâce notamment à l'adoption d’outils numériques et à l’exploitation du « Big data », et une « Digital Society », soit l'utilisation du numérique par les citoyens et les communautés. Si la majorité des entreprises ont le sentiment de mener un processus de digitalisation, celles-ci n’ont souvent pas la connaissance de toutes les potentialités offertes par le numérique. Elles doivent ainsi être davantage sensibilisées et accompagnées dans leur transition digitale, alors que cet effort doit être généralisé et concerner tant le chef d’entreprise que ses salariés.

Le projet de loi sur les faillites date déjà de 2013 et ne répond pas, sous sa forme actuelle, aux besoins de l’économie, alors que le nombre de faillites d’entreprises progresse chaque année. La législation sur les faillites devrait dorénavant reposer sur le principe de la 2ème chance, comme c’est le cas dans la plupart des économies développées. C’est ce que proposera la Chambre de Commerce au sein de ses travaux sur le sujet, à paraitre en 2020.

2019 et 2020 sont des années charnières pour l’aménagement du territoire luxembourgeois, avec la publication prochaine des quatre plans directeurs sectoriels. Les infrastructures de transports, la construction de nouveaux logements et le développement des entreprises, via les zones d’activités économiques, dépendront fortement des choix effectués au sein de ces plans. Plus que jamais, le Luxembourg de demain se dessine aujourd’hui. La Chambre de Commerce s’est emparée du sujet, incitant le Gouvernement et les communes à concrétiser sur le terrain une stratégie de développement territorial cohérente, qui place le développement économique au cœur de cette stratégie.

L’économie luxembourgeoise doit mener sa transition environnementale en en faisant l’un de ses principaux atouts. Celle-ci ne pourra s’effectuer que par une meilleure efficience des ressources, une législation clarifiée, la promotion de l’économie circulaire par les marchés publics ou encore la mobilité durable. Le Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) aura un impact majeur sur les entreprises, positif en matière d’environnement, mais potentiellement négatif dans le cas d’une législation trop contraignante. L’action climatique doit être fondée sur la participation positive des acteurs, jouer davantage sur les incitations que sur la répression et ne doit pas donner lieu à des clivages nuisibles à la cohésion sociale. Une attention

particulière doit être portée quant à la création d’incitations à une économie et une société plus sobres en carbone, où la réduction des émissions sur le sol luxembourgeois devra impérativement l’emporter sur les simples délocalisations des sources d’émissions.

Enfin, la maitrise du coût du travail et de la fiscalité doit être au centre des prochaines politiques économiques, alors que la perte de compétitivité est importante dans ces domaines sur les dernières années. Afin de lever les freins au développement des entreprises, il faut notamment retrouver de la prévisibilité en matière fiscale, renouer le dialogue et la confiance entre les entreprises et l’administration, davantage de flexibilité dans l’organisation du travail et, urgemment, aider les commerçants à faire face aux colossales externalités négatives des chantiers d’infrastructure.