Idée du mois n°13 - Budget de la santé : vraiment si idyllique?

Affaires économiques

Fondation IDEA

La Fondation IDEA asbl vient de publier sa nouvelle Idée du mois (IDM), portant sur le financement de l’assurance maladie-maternité face, notamment, au défi du vieillissement démographique.

Assurance maladie-maternité : des finances saines en apparence…
La situation de l’assurance maladie-maternité luxembourgeoise semble actuellement enviable. Ainsi, les informations publiées dans la foulée de la quadripartite du 27 avril 2016 révèlent un surplus de la Caisse nationale de santé (CNS) de 105 millions d’euros en 2015.

Sauf choc économique abrupt, notre système de santé devrait d’ailleurs pouvoir tabler sur une « période de grâce » financière d’une dizaine d’années, à la faveur de sa structure démographique particulière et pourvu que l’immigration nette demeure (fort) soutenue.

Cette même structure démographique est cependant lourde de défis à plus long terme. Or compte tenu de l’importance extrême de la santé, en termes humains d’abord et en termes socio-économiques ensuite, tout risque budgétaire potentiel doit être correctement appréhendé et anticipé, avec une « vue d’hélicoptère » à long terme et au-delà de toute optimisation intempestive à court terme.


… mais potentiellement vulnérables à plus long terme
Les difficultés futures sont déjà illustrées par les projections réalisées par le Groupe de travail européen sur le vieillissement (GTV). Selon son rapport de 2015, le ratio des dépenses de santé devrait s’accroître de 0,5 % de PIB d’ici 2060 au Luxembourg ; une hausse d’environ 270 millions d’euros en base 2016, ce qui équivaut pratiquement au montant des indemnités de chômage.

Au moyen de simulations propres, IDEA a passé au crible ces projections du GTV. Les deux principaux constats sont les suivants :

  • La projection de référence du GTV paraît tout à fait fiable. Avec des hypothèses proches, IDEA obtient des résultats pratiquement identiques.
  • Cette projection du GTV repose cependant sur des hypothèses qui peuvent paraître pour le moins « volontaristes ». En premier lieu, un Luxembourg comptant 1,1 million d’habitants en 2060, soit un doublement de la population à la faveur d’une immigration soutenue. Dans son rapport de 2012, le GTV tablait sur 700.000 personnes « seulement » en 2060. Soit une « génération spontanée » de 400.000 personnes d’une étude à l’autre, qui dilue fortement le vieillissement perçu et les dépenses de santé associées. Dans leurs projections démographiques publiées en 2015, les Nations unies escomptent pour leur part une population de 858.000 habitants en 2060.

Dans son Idée du mois n°13, IDEA a relâché ces hypothèses du GTV : une démographie moins dynamique (avec le retour à 700.000 habitants « seulement » en 2060), une plus grande sensibilité des dépenses de santé au vieillissement, une demande de services de santé reflétant mieux l’élévation graduelle du niveau de vie et enfin une croissance des dépenses de santé excédant de manière structurelle celle du PIB nominal. Ces scénarios à risque, simulés un à un, sont décrits dans l’IDM.

Un scénario « Worst case » qui mérite bien son nom
Un scénario « Worst case » a  par ailleurs été effectué en cumulant ces scénarios à risque. Il ne constitue pas une prévision à proprement parler, mais simplement une illustration de la vulnérabilité potentielle du budget de l’assurance maladie-maternité. Sous ce scénario, les dépenses de l’assurance maladie-maternité augmenteraient non pas de 0,5 point de PIB d’ici 2060, mais de 4 points. Soit 2 milliards d’euros en prenant pour base le PIB de 2016.

Ce « Worst case » se conçoit « à politique inchangée ». Or le budget de la CNS est actuellement encadré par deux bornes : les réserves ne peuvent être inférieures à 10% des dépenses courantes … ou supérieures à 20% de ces mêmes dépenses (article 28 du Code de la sécurité sociale).

Cette norme budgétaire semble trop axée sur le court terme. Toujours sous le scénario « Worst case » et à titre illustratif, une CNS se contentant de l’appliquer « passivement » pourrait ouvrir les vannes budgétaires pendant la période de grâce démographique, pour se voir contrainte de doubler les taux de cotisation par la suite (ou de diminuer drastiquement les dépenses). En toute incohérence.

Pour une gestion « proactive » du budget de la santé
Tous les risques potentiels pour la santé doivent donc être correctement évalués, voire même couverts par des réserves ad hoc. L’IDM se focalise sur des risques « chiffrables », mais il existe d’autres facteurs de risque, difficiles à cerner actuellement. On songe notamment au progrès technologique ou encore à l’incidence sur les coûts de la santé – en relation avec les frontaliers notamment – de l’émergence d’un espace de la santé plus intégré à l’échelle européenne.

La période « de grâce » financière dont devrait bénéficier le système de santé du Luxembourg pourrait être mis à profit pour introduire de manière sereine et rationnelle un suivi proactif de la situation budgétaire de la santé.

Les indispensables évaluations récurrentes doivent s’effectuer sur un horizon suffisamment long, d’au moins 10 à 15 ans, afin de capter les évolutions prévisibles au-delà de la « période de grâce ». Reposant sur des batteries de scénarios, ces évaluations seraient idéalement élaborées avec l’apport d’experts indépendants et sur la base d’analyses de sensibilité détaillées. L’IDM avance quelques exemples en la matière. Des débats avec la « société civile » (milieux médicaux, politiques, patients, etc.) garantiraient une plus large « appropriation citoyenne » des différents scénarios.

A l’aune de critères précis, ces évaluations pourraient donner lieu à la constitution de réserves de précaution, permettant d’éviter à l’avenir une volatilité extrême des taux de cotisation et de la qualité des services offerts, dans ce domaine vital par essence que constitue la santé.

IDEA tient enfin à préciser que son IDM vise avant tout à alimenter le débat et à attirer l’attention sur l’importance des hypothèses techniques (et notamment démographiques) en termes de performances budgétaires futures. Ainsi, l’IDM propose des analyses permettant de mieux jauger la sensibilité de ces performances à différentes hypothèses. IDEA ne se prononce nullement sur les probabilités d’occurrence des différents scénarios.

L'idée du mois est téléchargeable via le lien suivant: http://www.fondation-idea.lu/2016/06/15/idee-du-mois-n13-budget-de-la-sante-vraiment-si-idyllique/