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Baromètre de l’Économie du 1er semestre 2025

de g. à d. : Christel Chatelain, directrice des Affaires Economiques, Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de Commerce, Stéphanie Damgé, directrice Entrepreneurship © Emmanuel Claude, Focalize

Le climat des affaires au Luxembourg connaît une légère embellie, portée par la baisse des taux d’intérêt et un regain de confiance dans certains secteurs d’activité. Cette amélioration reste toutefois fragile et inégalement répartie. La confiance à moyen terme s’érode sous l’effet d’un environnement géopolitique incertain, d’une demande encore modérée et d’une complexité administrative jugée pénalisante. Face à cette dernière, les entreprises appellent massivement à la mise en place d’un guichet unique connecté aux différentes administrations. Ces constats ressortent de la 13ᵉ enquête du Baromètre de l'Economie, menée entre le 22 avril et le 14 mai 2025 auprès de 580 entreprises luxembourgeoises d'au moins six salariés.

Après deux années sous la barre des 50 points, le score global* du Baromètre repasse enfin au-dessus de ce seuil symbolique. La hausse de 2,1 points par rapport au semestre précédent reflète une légère amélioration des perspectives d’activité, d’emploi et d’investissement. Le début de l’assouplissement de la politique monétaire européenne en 2025 donne un peu d’air aux entreprises, mais des disparités sectorielles subsistent et le score reste toutefois loin des niveaux d’avant-crise (63,3 au 1er semestre 2019). « Ce léger rebond du climat des affaires est encourageant, mais il reste extrêmement précaire, note Carlo Thelen, Directeur Général de la Chambre de Commerce. Les entreprises avancent avec prudence, freinées par des incertitudes persistantes liées aux tensions géopolitiques, par le ralentissement du commerce mondial, et par des contraintes structurelles ».

La confiance repart à la baisse 

La confiance à moyen terme des décideurs dans l’avenir de leurs entreprises reste stable depuis fin 2022, proche de son niveau le plus bas depuis 2019 (73%). Mais trois secteurs accusent une forte baisse au cours des six derniers mois : les services financiers (-15,5 points, 70%), les transports (-14 points, 66%) et l’HORECA (-10 points, 63%). Les petites entreprises (<10 salariés) sont les moins confiantes (69%). A l’inverse, l’industrie, secteur le moins confiant il y a six mois, rebondit fortement (+27,5 points, 83%), potentiellement porté par des orientations européennes favorables à la réindustrialisation. Il est désormais le plus confiant. Le secteur de la construction fait face, lui aussi, à un regain d’optimisme (+10 points, 80%). 

Les décideurs interrogés sont cependant globalement toujours moins confiants dans l’avenir à moyen terme de l’économie luxembourgeoise que dans celui de leur entreprise. La confiance est retombée à un niveau historiquement bas (65%), avec de fortes disparités selon la taille des entreprises : 58% pour les très petites entreprises (de 6 à 9 personnes) contre 86% pour les grandes structures. Dans les services financiers et le transport, elle recule. L’HORECA reste le secteur le moins confiant (60%). 

Concernant l’activité, les six derniers mois ont été plus difficiles qu’attendus au second semestre 2024. Seuls 16% des dirigeants ont constaté une hausse de leur activité alors que 19% l’anticipaient, et 29% ont subi une baisse d’activité. La majorité des entreprises a connu une activité stagnante ces six derniers mois, tendance qui devrait se poursuivre. Pour le semestre à venir, les perspectives s’améliorent légèrement : 24% anticipent une hausse d’activité, contre 18% une baisse.

Les perspectives de rentabilité et d’investissements restent préoccupantes

Les perspectives de rentabilité restent fragiles. Si 54% des entreprises anticipent une stabilité, 24% prévoient une baisse, notamment dans l’industrie et le commerce (30%). 

Ces perspectives mitigées se reflètent également dans les intentions d’investissements : 58% des entreprises prévoient de les maintenir stables, 24% de les baisser et 18% de les augmenter. À l’exception de l’HORECA, la part d’entreprises prévoyant une baisse des investissements augmente dans tous les secteurs. Après plusieurs semestres de recul, le niveau global d’investissement demeure donc préoccupant. « Sans relance ciblée et des dispositifs incitatifs adéquats, nous risquons de compromettre la capacité des entreprises à innover, se transformer et rester compétitives », déclare Christel Chatelain, Directrice des Affaires économiques. Les services financiers, en particulier, se montrent bien plus réservés : seuls 18% envisagent d’augmenter leurs investissements. 

Côté emploi, les prévisions s’améliorent très légèrement : 70% des entreprises comptent maintenir leurs effectifs, 18% les augmenter et 13% les réduire. Les services (financiers et nonfinanciers) restent les moteurs de l’emploi. La construction et l’HORECA sont moins pessimistes que fin 2024, tandis qu’un quart des entreprises du transport prévoit une réduction de leurs effectifs. « Malgré un contexte économique incertain, les entreprises font preuve de résilience sur le front de l’emploi. C’est un signal positif, mais qui reste précaire », conclut Christel Chatelain.

Les investissements dans l’intelligence artificielle émergent doucement

Pour 2025 et 2026, les priorités d’investissement des entreprises restent similaires aux années précédentes avec, en tête, le renouvellement d’équipements usagés ou obsolètes (39%) et la modernisation des équipements et installations (31%). Les investissements liés à l’intelligence artificielle émergent timidement (11%), principalement portés par les plus grandes structures (jusqu’à 55%). « L’intelligence artificielle représente une opportunité majeure, mais sa diffusion reste encore trop limitée, analyse Christel Chatelain. Il est essentiel d’accompagner les PME pour qu’elles puissent elles aussi en tirer parti. Les nouveaux SME Packages-AI sont un signal positif dans ce sens. »

Les difficultés d’accès au financement concernent près de 3 entreprises sur 10

27% des dirigeants d’entreprises indiquent avoir rencontré des difficultés d’accès au crédit au cours des 12 derniers mois. Un niveau croissant depuis l’avant-crise sanitaire : 12% en 2019 et 23% en 2022. Les petites entreprises sont les plus touchées (35%) et tous les secteurs sont concernés, en particulier l’HORECA (47%, dont 18% avec de fortes difficultés), les transports (34%) et la construction (29%).

Simplification administrative : un enjeu central pour mieux entreprendre

Alors que le Gouvernement a fait de la simplification administrative l’un de ses axes prioritaires, les entreprises peinent à en percevoir les effets. Seules 3% constatent une simplification des démarches au cours des 12 derniers mois, un chiffre en baisse, tandis que 35% estiment que les procédures se sont complexifiées, un ressenti en hausse. Fait marquant : aucune entreprise de plus de 250 salariés n’a constaté d’allègement en la matière.

Face à ce constat, la House of Entrepreneurship a mené une étude qualitative auprès de 50 entreprises luxembourgeoises afin de recueillir des témoignages concrets sur les obstacles administratifs rencontrés au quotidien. En plus, la Chambre de Commerce, en collaboration avec sa House of Entrepreneurship, a consacré la partie thématique de son Baromètre de l’Économie du 1er semestre 2025 à la simplification administrative afin de mettre en lumière les difficultés rencontrées par les entreprises et à identifier les mesures attendues. Les retours qualitatifs ont permis d’identifier les défis les plus fréquents, de mieux cerner les attentes des entreprises et d’alimenter directement l’enquête quantitative du Baromètre de l’Économie, assurant ainsi une parfaite cohérence entre les deux volets méthodologiques. Ces études qualitatives et quantitatives ont permis de formuler des recommandations concrètes pour guider le Gouvernement dans la priorisation des actions à mettre en œuvre.

Les mesures identifiées ont été transmises au ministère de l’Économie sous forme d’un rapport détaillé, venant en appui aux efforts de simplification en cours. 

Cette démarche s’inscrit pleinement dans le cadre de l’objectif fixé par l’accord de coalition, qui prévoit une réduction de 25% des exigences administratives pesant sur les PME, et s’appuie sur une collaboration étroite et constructive avec le ministère de l’Économie.

« Dans le cadre de l’objectif de simplification ciblée porté par le Gouvernement, notre rôle, en tant que porte-parole des entreprises, est plus que jamais de faire remonter la réalité du terrain pour que les efforts de simplification répondent concrètement à leurs besoins », souligne Stéphanie Damgé, Directrice Entrepreneurship de la Chambre de Commerce.

Lorsqu’on interroge les entrepreneurs sur les moments clés de la vie de l’entreprise à cibler en priorité en matière de simplification administrative, 85% d’entre eux demandent que le Gouvernement se saisisse en priorité des démarches administratives liées à la gestion courante de l’entreprise et celles liées à la création d’entreprises (47%).

Créer une entreprise au Luxembourg : un parcours à simplifier d’urgence

Créer une entreprise au Luxembourg reste un parcours complexe, souvent long et fragmenté. Aujourd’hui, les créateurs doivent naviguer entre plusieurs plateformes et administrations, ce qui peut allonger les délais à 4 à 6 semaines avant de pouvoir légalement exercer une activité. L’objectif est clair : centraliser les démarches dans un parcours unique, fluide et centré sur l’usager, afin de réduire significativement le temps de création d’entreprise.

Gestion courante, complexité constante : un frein à la compétitivité

Les résultats de l’enquête sont sans appel : pour 71% des entreprises, les démarches administratives grèvent leur rentabilité. Si les priorités de simplification varient selon les secteurs, les défis identifiés le sont de manière quasi-unanimes : en tête, la redondance des documents et informations à fournir aux différentes administrations (un défi pour 73% des entreprises), la perte de temps liée à des informations dispersées (72%), et la multiplicité des plateformes et interlocuteurs (70%). 

Cependant, en se penchant sur les principaux défis considérés comme difficiles à gérer par les entreprises, une autre perspective émerge. Au-delà de la lourdeur, c’est une logique administrative perçue comme punitive qui inquiète : près d’un tiers des dirigeants (29%) dénoncent une approche centrée sur la sanction plutôt que sur l’accompagnement. À cela s’ajoutent la complexité des démarches fiscales à remplir sans assistance (28%) et l’absence de suivi en temps réel des démarches administratives soumises (28%). « La complexité administrative est devenue un frein structurel à la compétitivité, regrette Stéphanie Damgé. Il est impératif de simplifier les démarches pour libérer du temps et des ressources au service de l’innovation et de la croissance. »

Des priorités claires des entreprises en matière de simplification

En ce qui concerne les mesures de simplification, trois priorités se dégagent : en tête, la disponibilité d’un point de contact (guichet) unique, en ligne et en présentiel, connecté aux différentes administrations (jugé utile par 75% des chefs d’entreprises), le renforcement du droit à l’erreur (73%) et la généralisation du principe Once Only de manière (71%). 

Ces propositions visent à alléger durablement la charge administrative et à renforcer la compétitivité des entreprises luxembourgeoises. 

« La simplification administrative ne doit pas être un objectif abstrait, mais une réalité tangible pour chaque entreprise, résume Carlo Thelen. Bien pensée et coconstruite avec les acteurs économiques, elle permettra de réduire les coûts, de renforcer la compétitivité et de consolider l’attractivité du Luxembourg. C’est une condition essentielle pour bâtir une économie plus agile, plus résiliente et tournée vers l’avenir. La Chambre de Commerce est disposée à continuer à remplir pleinement sa mission de force de proposition en collaborant étroitement avec le Gouvernement en vue d’une réduction rapide et palpable des charges administratives pesant sur les entreprises. Les efforts afférents des autorités seront suivis de près et évalués ensemble avec les entreprises ».

 

* Le score global est la moyenne de sept indicateurs : activité des 6 mois passés, activité, emploi, rentabilité et investissement des 6 mois à venir, ainsi que confiance dans l’entreprise et dans l’économie luxembourgeoise dans les 2 à 3 ans.

© Emmanuel Claude, Focalize
© Emmanuel Claude, Focalize