Ma langue sourit - La langue sourit... les yeux aussi!

Success stories
Cyril Molard, Propriétaire et chef de cuisine, Ma langue sourit

Le nombre 15 qui orne fièrement la façade du restaurant Ma Langue Sourit à Moutfort et qui signifie «15 ans » est la récompense de nombreuses années d’efforts, de remises en question, de doutes et de travail acharné. Le chef Cyril Molard est presque plus fier de pouvoir célébrer cet anniversaire d’une longue présence sur la scène gastronomique luxembourgeoise, que de ses deux étoiles au Guide Michelin, de sa note exceptionnelle dans le guide Gault et Millau et de sa présence dans le classement des Grandes Tables du Monde. Pour mener une entreprise à la réussite et pérenniser cette réussite, ce que l’on ne voit pas est au moins aussi important que ce que l’on voit. Le chef Cyril Molard a patiemment peaufiné la recette de son propre succès au fil des années. Il nous en livre quelques secrets…

Le fait d’avoir deux étoiles au Guide Michelin, une note de 18,5 dans le Gault et Millau et d’être distingué parmi Les Grandes Tables du Monde doit être une grande fierté pour vous, mais n’est-ce pas aussi une pression qui peut être difficile à vivre?

Dans toute situation, on peut voir le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide. Moi je m’efforce de voir le verre à moitié plein et je préfère dire que nous sommes fiers de cette pression. Dans le milieu de la gastronomie, il y a des règles du jeu, il faut les accepter. En ce qui concerne le Guide Michelin, on ne connaît pas exactement leurs critères, il n’y a aucun cahier des charges ! On peut descendre ou monter dans le classement sans savoir pourquoi. Mais tout le monde sait que cela fonctionne ainsi. En plus, la cuisine c’est subjectif. Il n’y a pas vraiment de comparaison possible. Les fantasmes et les spéculations font aussi partie du jeu. Il faut donc garder la bonne distance par rapport à tout cela et se concentrer sur ce que l’on peut maîtriser, la technique et la précision bien sûr mais aussi la constance et la progression grâce à l’expérience. La pression a aussi un côté positif. Elle nous donne un coup de pied aux fesses chaque jour. Chaque service doit être considéré comme le plus important de l’année. Les jours où l’on est plus fatigué, c’est plus lourd à porter. En tout cas, je suis convaincu que les critiques gastronomiques apprécient les établissements qui sont dans une énergie positive. Moi, mes deux étoiles je les goutte! Je sais à quoi je les dois. Tout ce travail accompli! Ça fait 15 ans que c’est dur, mais le travail c’est la clé du succès et les étoiles sont là pour prouver que ça marche!

Était-ce imaginable pour le jeune homme que vous étiez? Était-ce votre objectif d’arriver très haut? Que vouliez-vous construire?

Les étoiles étaient inimaginables quand j’avais 14-15 ans. À cet âge-là, dans ces métiers-là, tout est très ouvert. On a beaucoup de possibilités. Alors on ne se projette pas 35 ans plus tard. Je suis issu d’une famille de charcutiers mais c’était plutôt le métier de traiteur qui m’attirait; faire appel à la fois à des techniques de cuisine et de charcuterie pour pouvoir proposer de la gastronomie à beaucoup de monde. J’ai donc démarré dans cette voie et travaillé avec de grands traiteurs. Puis, au fil de la vie, ce sont les rencontres qui sont déterminantes et qui vous font progresser. Il faut avoir la capacité et la volonté d’accepter les challenges qui se présentent. Au début, cela signifie faire des sacrifices, car toute la vie tourne autour du travail.

Quel est le profil de vos clients? D’où viennent-ils?

Les clients du restaurant viennent d’horizons très différents, ils sont à l’image de la population du Luxembourg. La clientèle business est assez présente. Nous avons des salons qui permettent de traiter des affaires en toute tranquillité. Certaines personnes viennent de loin pour affaires ou pour le tourisme et en profitent pour réserver chez nous. Quand on acquiert des étoiles la clientèle devient de plus en plus internationale. Par exemple, nous avons beaucoup de clients anglo-saxons. Ils font volontiers du tourisme gastronomique et se déplacent expressément pour découvrir de grandes tables. Mais on vient aussi chez nous pour célébrer un anniversaire, ou fêter un succès… Un restaurant gastronomique c’est un peu comme un théâtre et il y a beaucoup d’occasions qui méritent d’être mises en scène.

Quel est le client le plus prestigieux ou le plus inattendu que vous ayez reçu?

Oh il y en a beaucoup! Je pense par exemple à un musicien virtuose français qui vient régulièrement jouer à la Philharmonie. Plus que le prestige, c’est la fidélité de certains clients qui est impressionnante. L’un d’eux en particulier vient chez nous toutes les semaines, chaque samedi, depuis 15 ans. S’il ne vient pas c’est qu’il est en déplacement à l’étranger. Cette fidélité est exceptionnelle et elle me touche beaucoup. Ce monsieur est chef d’entreprise et il m’a beaucoup aidé à mes débuts ici, notamment pour m’expliquer les codes du pays.

En 2017 vous avez refait entièrement le restaurant. Aménager un lieu est un tout autre métier que la cuisine. Vous êtes-vous impliqué personnellement dans cette transformation?

Oui parce que ce fut une très belle opportunité. De 2008, année où j’ai repris le restaurant, à 2017, nous étions locataires et nous ne pouvions pas changer grand-chose à l’organisation des espaces ou à la décoration. En 2017, la propriétaire a souhaité vendre et cela nous est apparu comme une chance à saisir. Il fallait beaucoup d’argent pour ce projet et j’ai été content de voir que les banques, dont ING, allaient me suivre et m’aider à relever ce défi. Elles ont constaté que j’avais fait mes preuves et que l’entreprise était saine. Je leur suis très reconnaissant d’avoir misé sur moi. Les restaurateurs ne sont pas toujours les professionnels les plus appréciés des banques. Nous avons aussi été aidés par la Mutualité de Cautionnement. Tous ont cru en nous. C’est l’entreprise Prefalux qui a pris en charge l’ensemble de nos travaux. Nous nous sommes très bien compris. C’est une entreprise familiale comme nous et ils présentent l’avantage de proposer tous les corps de métier. Le chantier a été mené dans les temps. Nous ne pouvions pas nous permettre d’avoir du retard. Mon épouse s’est beaucoup impliquée dans le choix du mobilier et dans celui de la vaisselle. Je voulais casser les codes habituels de la haute gastronomie. Par exemple, nous avons remplacé les nappes par des sets de table en cuir. Nous avons choisi du mobilier en métal de chez Losserand Signature à Annecy. Pour la vaisselle, nous avons choisi des poteries dans un esprit un peu nordique dont je suis très fan. Nous avons surtout réorganisé l’espace pour avoir plus d’interaction entre la cuisine et la salle, avec notamment un immense passe. Notre outil de travail est maintenant optimisé; nous travaillons beaucoup mieux. Nous avons obtenu notre deuxième étoile dans la foulée de ces travaux. Les deux choses ne sont pas liées. Michelin ne s’intéresse qu’à l’assiette. Mais je trouve que c’était le bon timing. Ainsi, toutes les personnes qui ont cru en nous et nous ont soutenus dans ces investissements ont été récompensées. Depuis, nous continuons d’améliorer les lieux en continu, par petites touches. 

Que faites-vous pour attirer et retenir des talents?

Avant la crise Covid, pour une maison comme la nôtre, il était relativement facile d’attirer des talents, mais contrairement à d’autres, nous ne logeons pas le personnel. Cela nous a parfois rendu plus difficiles certains recrutements. Après la Covid il est devenu plus difficile de recruter car certaines personnes se sont détournées de nos métiers. Selon moi, pour être attractif il faut essentiellement 4 choses. D’abord, il faut augmenter les salaires dans nos professions. Ensuite, il faut plus de congés. Nous fermons le restaurant pendant une semaine toutes les six semaines environ, pour permettre à chacun d’avoir 8 semaines de congés par an. Nos métiers sont exigeants, le repos est fondamental. Vient ensuite la flexibilité du temps de travail. Nous sommes ouverts 5 jours sur 7 et, dans les plannings de chacun, nous alternons les services en coupures et les services en continu pour que chacun ait du temps de loisir pour lui. Pour pouvoir offrir ce confort-là, nous avons embauché pour renforcer l’équipe. Il est indéniable que la Covid a changé la donne et que les gens ne sont plus prêts à consacrer toute leur vie au travail. Il faut l’accepter. C’est tout à fait possible de s’organiser en conséquence mais il faut changer certaines choses, revoir les cartes, les simplifier, les rationaliser pour que la mise en place soit moins compliquée. L’ensemble de l’organisation devient plus efficace et le temps de travail plus productif. Il y a encore un dernier point très important pour attirer des talents. Il faut transmettre sa passion et être exemplaire. Si l’on veut que les gens travaillent il faut leur montrer que l’on travaille aussi et expliquer les choix et ce que l’on met en place. C’est la clé de la clé.

Estimez-vous avoir une responsabilité envers les jeunes pour leur faire aimer le métier?

Je me sens plus qu’obligé et impliqué dans la formation des jeunes. Mais je trouve que les écoles du pays ne sollicitent pas assez les chefs comme moi pour venir partager leur expérience avec les élèves.

Et envers le pays, comme ambassadeur de l’excellence gastronomique?

Là aussi, je suis tout disposé à représenter le Luxembourg mais en fait je suis peu sollicité. D’autres chefs non luxembourgeois font le même constat. Il y a un fossé entre nous et l’écosystème Horeca du Luxembourg. Ce sont deux mondes qui ne communiquent pas. On ne fait pas appel à nous dans le cadre d’Expogast, pour participer à des jurys par exemple. Nous n’avons pas non plus été associés lors de l’exposition universelle à Dubaï. Or, nous avons une visibilité internationale. Elle pourrait servir le Luxembourg. Nous ne demanderions pas mieux.

Comment vous êtes-vous formé à l’aspect managérial de votre métier?

Dans la formation de charcutier-traiteur, en brevet de maîtrise, il y a des cours de management et de psychopédagogie. Ensuite, le terrain vous enseigne le reste. Des gens m’ont guidé, appris, montré la voie. C’est encore une histoire de rencontres. L’un de mes mentors est le chef Guy Krenzer qui est directeur de la Création et chef exécutif de la Maison Lenôtre. Il m’a dit: «il n’y a rien de mieux que l’observation». J’ai appris énormément à son contact. Il m’a poussé à réfléchir, il a développé ma curiosité. Nous avons travaillé ensemble au restaurant Lapérouse à Paris. Quand j’en suis parti, il a dessiné les contours de sa main sur la carte du restaurant qu’il m’a offerte et il m’a dit cette phrase qui résume tellement bien notre métier: «la cuisine c’est l’esprit et la main.». Cela m’a beaucoup marqué.

Notez-vous un changement dans les habitudes alimentaires des clients ? Comment cela affecte-t-il votre façon de travailler?

Les habitudes alimentaires changent énormément et nécessitent une grande flexibilité de notre part. Comme notre carte est composée d’un menu unique en 4, 6 ou 8 services, nous devons être prêts en permanence à pouvoir proposer 8 plats sans gluten ou sans lactose ou végétariens… Il faut être préparés car les personnes ne nous préviennent pas forcément au moment de la réservation. Le maître mot est l’anticipation. D’ailleurs ce mot résume l’histoire de notre métier. Il faut anticiper les problèmes de personnel, les achats…

Travailler en couple est-il l’un des secrets de la réussite dans la restauration?

Le problème de notre profession est que nous courons en permanence après le temps. Et nous avons beaucoup de pression car nous sommes jugés deux fois par jour, tous les jours, par des gens, par des guides, par les réseaux sociaux… Du coup on est rarement détendu et le fait d’être à deux peut aider car c’est plus simple d’en discuter et d’être dans la compréhension réciproque.

Quel est votre moteur principal?

La curiosité et le bonheur de faire partager quelque chose à nos hôtes, de leur faire plaisir. Je suis toujours super fier quand des gens qui ne sont pas forcément habitués des restaurants étoilés réservent chez nous pour une occasion spéciale et sont heureux. J’adore l’idée qu’ils viennent chez nous pour un moment important de leur vie. Je mets un point d’honneur à côtoyer les clients. Midi et soir, c’est moi qui apporte l’apéritif et les amuse-bouches. Et, en fin de service, je salue les gens quand ils partent. Nous avons aménagé un sas spécialement pour ça.

Vous avez été guest chef au Hangar 7 à Salzbourg en février dernier. C’est une expérience réservée aux chefs plusieurs fois étoilés. Qu’en retenez-vous?

C’est une expérience incroyable. Le groupe Red Bull a aménagé un musée de l’Aviation à l’aéroport de Salzbourg et, sous ce musée, dans le bâtiment Hangar 7 qui a une architecture impressionnante, se trouve le restaurant Ikarus qui, 11 mois sur 12 fonctionne avec des chefs en résidence, chacun pendant un mois. Le chef exécutif du restaurant, Martin Klein, vient chez vous et il apprend à exécuter vos recettes. Ensuite, vous êtes invité pendant 3 jours sur place pour former la brigade, goûter les plats et les rectifier au besoin. Puis, on regarde les gens travailler et ils sont tous d’un tel niveau, ils travaillent avec une telle précision que les plats sont parfaits. Les plus grands chefs du monde sont passés par Salzbourg. C’est un concept imaginé par Eckart Witzigmann, le «Bocuse» allemand. C’est une très belle aventure. Je suis très honoré d’avoir été invité à y participer.

Avez-vous encore des choses à prouver ou à vous prouver?

Quand je me retourne sur mon parcours, en sachant que j’ai démarré avec une formation de charcutier, je suis assez fier de ce que j’ai accompli. Je le dois à ma philosophie qui consiste à ne pas se contenter de ce que l’on a atteint. Quand j’étais le chef du restaurant de l’hôtel Le Royal, j’avais de très bonnes conditions de travail et j’aurais pu y rester. Mais je ne voulais pas avoir de regrets. Je voulais plutôt être celui qui ose sauter dans l’inconnu. Je suis conscient du fait que cela aurait pu mal se passer. C’était une prise de risque. Et cela me rend d’autant plus fier. Maintenant, mon challenge consiste à progresser encore. Et, à terme, j’aimerais réussir la transmission de mon affaire. Mes enfants m’ont tellement vu travailler qu’ils ne sont pas tentés par ce métier. Pour l’avenir, il me reste encore de belles années à travailler et puis on verra…

Plus d'informations: https://mls.lu/fr/ 

TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claudei / Focalize

Un salon privatisable, avec baie vitrée sur la campagne, permet d’organiser des repas d’affaires ou de famille, en toute intimité.
Depuis 2017, le restaurant est entièrement modernisé avec du mobilier en métal et de la vaisselle d’inspiration scandinave dont le chef Molard est fan.
Depuis 2017, le restaurant est entièrement modernisé avec du mobilier en métal et de la vaisselle d’inspiration scandinave dont le chef Molard est fan.
Le menu est une proposition unique dans laquelle les convives peuvent choisir, 4, 6 ou 8 plats.
Le restaurant Ma Langue Sourit arbore fièrement le nombre 15 sur sa façade et les plaques des guides gastronomiques faisant référence dans le sas d’entrée.
Le restaurant Ma Langue Sourit arbore fièrement le nombre 15 sur sa façade et les plaques des guides gastronomiques faisant référence dans le sas d’entrée.
L’équipe en cuisine rivalise de technicité pour proposer des plats aussi beaux que bons, réalisés avec 90% de produits locaux.
L’équipe en cuisine rivalise de technicité pour proposer des plats aussi beaux que bons, réalisés avec 90% de produits locaux.
L’équipe en cuisine rivalise de technicité pour proposer des plats aussi beaux que bons, réalisés avec 90% de produits locaux.
L’équipe en cuisine rivalise de technicité pour proposer des plats aussi beaux que bons, réalisés avec 90% de produits locaux.
L’équipe en cuisine rivalise de technicité pour proposer des plats aussi beaux que bons, réalisés avec 90% de produits locaux.