Success stories
Elisabeth Villeminot CEO, Sublime Terroir

Elisabeth Villeminot a plongé sa carrière dans le vin depuis plus de 20 ans. Cette passionnée a décidé toute jeune d’en faire son métier. Elle s’est formée pour cela et, au terme d’une première expérience avec un mentor de talent, elle s’est lancée dans le courtage en vin, pour son propre compte, en créant l’entreprise Sublime Terroir qui fêtera ses 10 ans d’existence l’année prochaine. Depuis le Luxembourg, elle met donc des vignerons en contact avec des importateurs du monde entier. Quand une passion devient profession, tout le monde est gagnant, employés comme clients, vignerons comme importateurs de bons crus. Elisabeth nous en dit plus sur son métier peu commun et sur ce qui fait son quotidien.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours avant la création de Sublime Terroir ?

J’ai eu un déclic assez jeune. Vers 14 ans déjà, je savais que je voulais travailler dans la restauration. Je voulais être cheffe. Du coup je profitais de mes vacances pour faire des stages dans ce domaine. J’ai quand même fait une licence de philosophie à l’Université de Durham en Angleterre, car j’avais dans l’idée de créer un café littéraire. Puis, j’ai eu l’opportunité, à 19 ans, de travailler à La Pergola, le restaurant doublement étoilé du très réputé hôtel Cavalieri de Rome. Là, plusieurs personnes m’ont conseillée de m’intéresser à la sommellerie et ce fut un énorme coup de cœur. Ce qui me plaisait particulièrement était de trouver l’accord met-vin parfait. J’ai donc suivi une formation sur place, en Italie, car je pensais rester dans ce pays. Je suis finalement rentrée à Paris où mes parents sont installés et j’ai fait la connaissance de Peter Vezan, courtier en vin, qui est devenu une sorte de mentor pour moi. Il m’a prise sous son aile, m’a tout appris et m’a ouvert des portes. Nous avons travaillé ensemble pendant 10 ans puis il a souhaité prendre sa retraite et m’a proposé de reprendre son activité. J’ai pensé que c’était le moment pour moi de voler de mes propres ailes et de créer ma propre société.

Pourquoi avoir créé cette entreprise au Luxembourg? 

Depuis quelque temps déjà, je souhaitais quitter l’agitation parisienne. Je connaissais le Luxembourg pour y être venue quelquefois pour voir des amis. Le côté international du pays m’avait beaucoup plu. Alors, au moment de choisir entre une ville de province en France ou Luxembourg, j’ai choisi Luxembourg pour sa situation au carrefour de l’Europe. Et puis le Grand-Duché est un pays producteur de vin, ce qui ne gâche rien.

Quelles difficultés ou opportunités avez-vous rencontrées lors de la création de Sublime Terroir ?

Je ne me souviens pas de réelles difficultés à part que l’on m’a beaucoup interrogée sur l’expérience que j’avais pour monter une société. Pour le financement, j’ai utilisé mes propres économies. Pour avoir mes premiers clients, j’ai utilisé le carnet d’adresses que Peter Vezan m’avait légué. Le démarrage de l’entreprise s’est fait assez facilement. J’en garde un bon souvenir.

En quoi consiste exactement le métier de courtier en vin?

C’est un métier qui a deux aspects complémentaires. Nous jouons le rôle de commercial export pour les vignerons, français pour la plupart. Leur cœur de métier est de s’occuper des vignes puis de la cave. Ils ne souhaitent pas se confronter à tous les aspects administratifs et logistiques que les ventes à l’international impliquent. Donc nous le faisons pour eux. Nous sommes leur bureau international. Ensuite, nous sommes leurs ambassadeurs. Nous les mettons en relation avec des importateurs et nous ventons leurs produits, en racontant tout leur savoir-faire. Nous construisons des relations de confiance et de long terme entre les producteurs de vin et les importateurs de divers marchés. Sublime Terroir travaille avec les États-Unis, le Canada, le Japon, l’Australie, les Philippines et le Royaume-Uni.

Comment fonctionne votre business model ? Qui sont vos clients, les vignerons, les importateurs ou les deux?

Les deux sont susceptibles d’avoir recours à nos services. Nous disposons d’un portefeuille d’importateurs et de vignerons et nous faisons du matching entre les demandes des uns et les offres des autres. C’est le vigneron qui paye le service, sous forme d’une commission sur ses ventes. Notre métier est d’enrichir notre portefeuille de producteurs et de clients et aussi de fidéliser les uns et les autres. Pour vous donner un exemple concret, il peut s’agir d’un importateur qui cherche à s’approvisionner en Chablis. Alors, je cherche et trouve le produit qui correspond à ses attentes. Mais cela peut être, à l’inverse, un vigneron qui nous contacte parce qu’il souhaite développer son marché à l’export. Dans les deux cas, je fais appel à mon expérience de plus de 20 ans dans le métier. Ce que j’aime par-dessus tout ce sont les contacts humains derrière tout cela. Les rencontres sont très importantes dans ce métier.

Comment identifiez-vous les nouveaux clients potentiels?

Une grande part des contacts se font sur les salons dédiés au vin. Pour vous donner quelques exemples il y a le salon des vins de Loire qui a lieu à Angers en février, le nouveau salon Wine Paris, couplé à Vinexpo en février également, ProWein à Düsseldorf en mars ou encore Les grands jours de Bourgogne tous les deux ans en mars. La meilleure période se situe d’octobre à avril. Durant ces mois, les vignerons sont dans leurs caves et peuvent s’occuper de la commercialisation car ils ont fini le travail dans les vignes. C’est à ce moment-là aussi que les importateurs viennent en France et qu’on peut visiter des domaines avec eux. De mon côté, je me rends régulièrement sur les marchés cible, une à deux fois par an en Amérique du Nord et un peu moins souvent en Asie mais au minimum une fois tous les deux ans.

Il doit y avoir de grosses différences d’un marché à l’autre en termes d’attentes et de goût des clients. 

Oui et non. Il y a certains domaines prestigieux ou certaines appellations qui ont la cote et dont tout le monde veut. Le Sancerre en est un assez bon exemple. Mais effectivement il y a des différences dans les attentes et c’est en gouttant un vin que l’on peut savoir s’il plaira à tel ou tel marché. On suit les tendances aussi car il y a des modes dans ce domaine. Aller au restaurant et discuter avec les sommeliers est une bonne façon de connaitre ces tendances et leurs évolutions. Nous avons la chance au Luxembourg de disposer d’un joli choix de restaurants et de bons sommeliers. Ceci dit, dans notre portfolio, il faut de tout pour satisfaire tous les goûts et tous les budgets.

Quels développements futurs préparez-vous ? 

Mon premier objectif est la stabilité dans un monde de plus en plus incertain. Notre métier, comme tous ceux de la filière, est extrêmement dépendant de la nature et de la météo. En 2021, par exemple, de nombreuses exploitations ont été touchées par un épisode de gel très sévère. Cela a eu un impact immédiat sur la disponibilité des produits. Plus récemment, nous avons dû faire face aux grèves dans les transports en France. Nous ne maitrisons pas ces aléas. Ce que nous maitrisons est la qualité de la relation humaine que nous aurons réussi à construire entre les producteurs et les acheteurs. Pour cela l’équipe regroupe des compétences complémentaires. Je suis celle qui dispose des réelles connaissances en vin. Le reste de l’équipe est plus centré sur les problématiques administratives et logistiques.

Le milieu du vin n’est-il pas très masculin? 

Oui c’est vrai. À mes débuts, j’étais une des rares femmes, jeune de surcroit, à exercer ce métier. Mais le secteur se féminise, surtout du côté des vignerons où de plus en plus de femmes reprennent des domaines. C’est intéressant car les femmes apportent une sensibilité différente. Les approches sont complémentaires. La diversité de l’offre peut ainsi mieux répondre à la diversité des acheteurs.

Le vin est-il une marchandise comme une autre?

Je pense qu’il y a quelque chose de spécial dans le vin. Derrière chaque bouteille il y a une histoire, un héritage. Il y a aussi le rôle de la nature et du climat comme on l’a dit et surtout les choix des vignerons tout au long du processus de fabrication, de la vigne à la bouteille. Chaque vigneron a sa personnalité qu’il tâche d’exprimer à travers son vin. J’utilise tout cela pour parler des vins aux importateurs. Et ils sont très demandeurs d’apprendre et de comprendre le produit. Je dis toujours que le vin c’est du fruit, de l’eau, de l’alcool, mais aussi quelque chose d’un peu magique qu’on ne peut pas mesurer mais qui rend chaque vin unique.

Vendez-vous des vins luxembourgeois ?

Pas encore. J’ai eu l’occasion de visiter plusieurs domaines. Il y a de très bons produits, très intéressants mais malheureusement pour la grande exportation le Luxembourg n’a pas assez de visibilité en tant que pays producteur. Pour le moment il y a encore un déficit de notoriété.

Votre activité est-elle impactée par les événements géopolitiques ?

Oui absolument. Avant même la crise Covid, fin 2018, nous avons connu une crise liée à la décision protectionniste de Donald Trump d’appliquer une taxe de 25% sur les vins entrant sur le territoire américain. Les prix ont donc augmenté drastiquement d’un seul coup car la mise en œuvre de la mesure a été immédiate. À ce moment-là, nous avions du vin qui était déjà sur bateau, en route pour être livré. Il faut en effet compter 3 semaines de transport pour New York mais 6 à 8 semaines pour la Californie via le canal de Panama. Pendant la crise des containers les délais ont été rallongés parfois jusqu’à 5 mois. Heureusement Joe Biden a fait marche arrière sur ce point peu de temps après son élection. Mais nous étions en plein Covid! Ce qui n’était pas un problème en soi car la consommation de vin n’a pas chuté, au contraire, mais les habitudes de consommation se sont déplacées des restaurants vers le domicile ce qui a un impact sur les circuits de distribution. Aux États-Unis, pour compliquer la chose les règles Covid n’étaient pas identiques d’un État à l’autre. Heureusement ce sont nos importateurs qui ont géré ces complications. Au Japon, le pays était fermé aux voyageurs mais pas aux marchandises. Par contre l’alcool est devenu interdit dans les restaurants pour ne pas que les gens s’attardent à table. Ils viennent seulement de rouvrir en novembre 2022. Du coup, pendant cette période, les importateurs qui commandent habituellement de grosses quantités d’un coup pour faire des économies d’échelle, se sont mis à fractionner leurs commandes car leurs débouchés étaient plus incertains. Ces commandes fragmentées engendrent davantage de travail. Maintenant, avec la guerre en Ukraine et l’inflation, nous sentons que les gens sont inquiets et prudents. Ils sont plus hésitants, frileux et prennent plus de temps pour passer commande. Il y a eu une euphorie post Covid mais elle été de courte durée. Du côté des vignerons, les difficultés viennent des augmentations des prix du verre, des bouchons, des capsules… on voit de plus en plus de bouchons cirés car l’étain est devenu prohibitif.

Avec le changement climatique, tout l’écosystème du vin risque d’être impacté. Qu’en pensent vos clients ?

En effet, les changements climatiques impactent le cycle de la vigne, sa pousse. Et les choses sont assez imprévisibles d’une année sur l’autre. Sur les 5 dernières années, en 2018 la météo a été très clémente ; 2019 et 2020 ont été plus mitigées ; 2021 très touchée par le gel et 2022 a été heureusement plus épargnée. En 2021, certains domaines ont enregistré jusqu’à 90% de perte. Les vignerons se posent beaucoup de questions pour leur avenir et s’adaptent comme ils peuvent, en retardant la taille par exemple pour retarder la montée de la sève ou alors ils réfléchissent à planter de nouvelles variétés mais cela n’est pas toujours possible car il faut respecter les cahiers des charges des Appellations d’Origine Protégée (AOP). Quand les productions sont impactées, le prix du vin augmente et il devient plus compliqué de le vendre. Nous vendons en ce moment-même la production de 2021 et nous sommes confrontés à ces difficultés. Pour certains vins très demandés ou exceptionnels, les clients comprennent les variations de prix et sont prêts à payer, pour d’autres c’est plus délicat.

Votre père est français et votre mère américaine. Diriez-vous que votre activité fait la synthèse entre vos deux cultures?

Tout à fait! Je suis plus que bilingue, je suis biculturelle et je navigue de façon très fluide entre les deux cultures. Ça aide énormément pour les relations avec les États-Unis, pour construire des rapports de confiance sur le long terme. Or, le long terme est l’horizon des vignerons car il faut 7 ans pour qu’un cep de vigne donne du raisin apte à faire du vin. Moi j’essaye de donner à tous cette vision de long terme et d’aider les uns et les autres quand il y a des périodes plus difficiles.

Plus d'informations: www.sublimeterroir.com

TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude/Focalize et Sublime Terroir (5, 6, 7 et 8)

 

 

Une partie des vins représentés et vendus par Sublime Terroir.
La dégustation d’un vin fait appel à plusieurs sens : la vue, l’odorat et le goût.
De plus en plus de bouchons sont cirés (au centre) car les capsules en étain sont devenues très chères à cause de l’augmentation du prix du métal.
Le métier de courtier en vin nécessite une connaissance fine des terroirs et des appellations.
Elisabeth Villeminot en dégustation à la cave Morey Saint Denis.
Elisabeth Villeminot en dégustation à la cave Morey Saint Denis.
Travail avec le vigneron Philippe Gavignet au domaine Nuit Saint Georges.
Dégustation organisée pour l’importateur californien Billy Weiss, de la société North Berkeley Imports.