Des investissements publics efficaces: une formidable opportunité de redressement

Affaires économiques

Actualité & tendances n°17

de gauche à droite: Muriel Bouchet, Conseiller économique, Carlo Thelen, Directeur général et Chef économiste de la Chambre de Commerce et Marc Wagener, Directeur Affaires Economiques

Les investissements publics pèsent un poids certain au Luxembourg, où ils représentent près de 2 milliards EUR par an ou encore 3.000 EUR par résident. Diverses études mettent par ailleurs en avant leur potentiel socio-économique élevé, à long mais également à moyen terme. La réalisation de ce potentiel dépend cependant intimement du degré d’efficience des projets d’investissement public. Dans le cas contraire, ces derniers n’affecteraient que les seules finances publiques tout en étant peu porteurs en termes d’activité économique.

En s’appuyant notamment sur un certain nombre de bonnes pratiques étrangères, la Chambre de Commerce a pu déceler les principaux facteurs favorisant une telle efficience et élaborer sur cette base dix recommandations, qui viennent compléter et affiner sa traditionnelle « feuille de route du mieux investir ». Ces dix recommandations soulignent notamment l’intérêt d’une grille d’évaluation précise et standardisée, assurant un traitement homogène des différents projets et permettant de comparer objectivement leurs coûts et bénéfices respectifs. Une autre proposition est un meilleur ancrage à long terme de la politique d’investissement public, par le biais notamment de la mise en place d’une Commission nationale des infrastructures. Importent également la transparence budgétaire, une implication optimale du secteur privé, la simplification administrative, un monitoring  continu de la mise en œuvre des projets et, enfin, une bonne coordination territoriale nationale et internationale.

La Chambre de Commerce consacre son bulletin économique « Actualité & tendances » (A&T) n°17 aux investissements publics, qui constituent un irremplaçable levier économique. A l’inverse de nombre de dépenses courantes, ils ont pour effet d’accroître un actif, le « stock de capital public », regroupant nombre d’infrastructures facilitant la vie au jour le jour des citoyens et des entreprises. Chacun de nous fait quotidiennement appel à ces infrastructures, par exemple les réseaux de transport d’énergie ou de télécommunications, les infrastructures de recherche et développement ou encore celles de santé ou d’enseignement.

Au-delà de leurs multiples retombées sur nos vies quotidiennes, les investissements publics renforcent le potentiel productif à moyen terme de l’économie. Enfin, des investissements publics accrus permettent de contrer plus efficacement les phases de ralentissement économique que les dépenses courantes des Administrations publiques.

Pari sur l’avenir, les investissements publics déploient leurs effets sur un horizon temporel pouvant être très long. D’où l’importance cruciale de la sélection dès le départ de projets réellement efficients. L’A&T n°17 vise précisément à attirer l’attention sur les meilleures pratiques en la matière et formule à cet effet dix grandes recommandations.

 

Les investissements publics : des dépenses importantes, affectant avant tout l’avenir…

Trois statistiques illustrent l’importance des investissements publics au Luxembourg : ces derniers y ont représenté près de 2 milliards EUR en 2014. Il s’agit d’un peu plus de 3.000 EUR par habitant, de près d’un dizième des dépenses publiques ou encore de 3,6% du PIB. De tels montants exercent par ailleurs des effets d’entraînement directs et indirects sur l’activité de nombreuses entreprises luxembourgeoises – souvent des PME – et génèrent et sécurisent par ce biais de nombreux emplois. Ces impacts se déploient en outre sur des périodes par définition assez longues.

 

… et qui représentent une bonne opportunité de croissance, à long, mais aussi à moyen terme

Un survol de la littérature économique met en évidence l’impact positif d’investissements publics efficients sur le potentiel de croissance à moyen terme de l’économie, ainsi que leur importance en tant que support d’une politique budgétaire contra-cyclique. Ainsi, le FMI a, sur base de séries longues émanant de 17 nations développées, montré qu’une augmentation permanente des investissements publics de 1% du PIB débouche à terme sur une hausse du PIB de 2,5%. L’incidence à plus court terme des investissements publics serait également appréciable.

Une contribution essentielle des investissements publics à la croissance joue notamment via l’effet de complémentarité entre le capital public et privé. Selon une étude américaine de référence publiée déjà en 1989 mais qui n’a en rien perdu de son actualité, un dollar d’investissement public tendrait à susciter 4 à 7 dollars d’investissements privés additionnels. Une autre étude américaine allant dans le même sens a montré qu’un dollar investi en infrastructures publiques donne lieu à une réduction des coûts des entreprises privées équivalant à 17 cents, soit à 17% de l’investissement public.

Les analyses plus partielles effectuées à ce jour au Luxembourg tendent à confirmer l’existence d’un effet multiplicateur significatif également au Grand-Duché. Les résultats issus de ces analyses nationales suggèrent qu’un glissement de dépenses (ou « expenditure shift ») de 1% du PIB en faveur des investissements publics et au détriment de la consommation publique (c’est-à-dire une hausse des investissements compensée budgétairement par une baisse de même ampleur des dépenses courantes) augmenterait le niveau du PIB à raison de 0,4% environ, et ce sans aucun coût net (par définition) pour les finances publiques.

 

La matérialisation de cette potentialité de croissance ne tombe cependant pas du ciel…

Les considérations qui précèdent révèlent l’important potentiel économique des investissements publics. Des investissements sélectionnés ou mis en œuvre de manière déficiente tendent cependant à affecter négativement les finances publiques et in fine les conditions de financement des entreprises.

Il importe en clair de privilégier en la matière une logique visant les résultats et non les moyens. La Chambre de Commerce a, sur la base notamment de l’examen de « bonnes pratiques » étrangères, pu identifier cinq éléments conditionnant étroitement l’efficience des investissements publics :

 

  • Les projets d’investissement – en particulier les plus importants d’entre eux – doivent être mis en œuvre en respectant scrupuleusement quatre étapes séquentielles le long du cycle de vie de l’investissement public. Ces étapes sont (i) une évaluation ex ante rigoureuse du projet ; (ii) une sélection, un financement et une budgétisation du projet s’effectuant en pleine transparence ; (iii) une mise en œuvre efficace du projet, assortie d’un monitoring précis et (iv) une évaluation ex post, s’effectuant à court, mais également à moyen terme.
  • Une politique d’investissement public efficace présuppose également la mise en œuvre d’une réelle simplification administrative. Une politique de stabilisation conjoncturelle ne peut que manquer sa cible « contra-cyclique » si les projets d’investissement sont freinés en raison de lourdeurs administratives et réglementaires.
  • Une bonne coordination de la politique d’investissement public avec le secteur privé s’impose également. Une politique transparente en la matière permet au secteur privé de mieux évaluer l’évolution économique présente et future. En outre, l’expérience de divers pays étrangers montre que l’Etat peut souvent profiter de l’implication, dans les projets d’investissement, de partenaires privés, à travers notamment des concessions ou des partenariats public-privé (PPP). Au Royaume-Uni, la mise en œuvre de « partenariats public-privé » en matière d’investissement a donné lieu à des économies de l’ordre de 15% par rapport à des investissements publics « classiques ».
  • La dimension territoriale des investissements publics ne peut non plus être ignorée. En effet, les investissements des communes représentent environ 40% des investissements publics totaux au Luxembourg.
  • Enfin, la dimension territoriale comporte une inévitable dimension internationale, particulièrement au Luxembourg, qui abrite nombre d’institutions européennes et constitue l’une des principales portes d’entrée du Marché unique. Cette dimension internationale doit être valorisée au mieux, au sein de la Grande Région et plus globalement de l’Union européenne.

 

… c’est pourquoi la Chambre de Commerce formule dix propositions

A la lumière de ces divers enseignements et compte tenu des spécificités luxembourgeoises, la Chambre de Commerce formule dix recommandations, qui permettraient de capter au mieux ce formidable potentiel de croissance que constituent des investissements publics efficaces et bien ciblés. Ces recommandations viennent compléter la « feuille de route du mieux investir » déjà décrite à de nombreuses reprises par la Chambre de Commerce, notamment dans ses avis budgétaires. Pour rappel, cette feuille de route comporte les aspects suivants : (i) la standardisation de projets de même nature ; (ii) des benchmarks internationaux par type de projet ; (iii) l’établissement de standards minima et maxima au niveau des finitions ; (iv) la démonstration, dans le chef de l’initiateur du projet, de sa contribution au relèvement de la croissance potentielle de l’économie luxembourgeoise ; (v) la simplification des procédures ou encore (vi) la prise en compte ex ante des coûts de gestion, d’exploitation et d’entretien (« Folgekosten »).

Il s’agit de « règles » à suivre lors de la planification et de la gestion de nouveaux projets d’investissement. Cette feuille de route est désormais complétée par les dix axes suivants, qui poursuivent les mêmes objectifs, tout en les affinant :

  1. Promouvoir une évaluation ex ante détaillée et exhaustive des investissements, en particulier pour les projets d’envergure. Cette évaluation devrait intégrer les aspects économique, social et environnemental et se baser sur des critères quantitatifs clairs et standardisés. Il importe également d’évaluer correctement les frais futurs de gestion, d’entretien et de remplacement des infrastructures usées. Ces évaluations ex ante doivent s’effectuer en toute transparence, à l’instar de la situation prévalant dans certains pays, où les résultats de l’évaluation figurent dans des bases de données accessibles au public. D’autres pays prévoient même une discussion parlementaire des résultats de l’évaluation ex ante. Enfin, la procédure d’évaluation elle-même doit être soumise à des critères d’efficacité.
  2. L’étape de la sélection, du financement et du budget est également primordiale. La sélection doit être conforme à l’évaluation ex ante et les procédures de passation des marchés doivent être transparentes. Il importe de choisir au cas par cas les modalités de financement et d’implication des acteurs privés les plus appropriées. Les budgets doivent pour leur part être totalement quantifiés et leur déploiement dans le temps se doit d’être précis, ce qui implique une intégration pleine et entière au budget pluriannuel. Parmi ces informations pluriannuelles devrait figurer une évaluation rigoureuse des dépenses récurrentes ou encore des tableaux pluriannuels sur les projets d’investissement des communes. Dans la même perspective, il importe d’assurer une plus grande transparence des fonds spéciaux de l’Etat.
  3. Pendant la mise en œuvre des projets, il est nécessaire de répartir clairement les rôles et responsabilités, et de contrôler étroitement et régulièrement les coûts totaux du projet. Il convient par ailleurs de déceler à temps, au moyen de signaux standardisés, tout changement important survenant au cours du projet et, le cas échéant, de déclencher en conséquence une révision du projet ou même une évaluation actualisée de sa faisabilité – en cas de dépassement des coûts excédant un seuil prédéterminé par exemple. Dans des situations certes extrêmes, une réelle possibilité de clôture anticipée des projets existe dans certains pays (la Corée du Sud notamment) en cas de dépassements budgétaires importants.
  4. L’évaluation ex post est également primordiale, en particulier pour les projets d’envergure. Dans certains pays, les gestionnaires de projets sont tenus de prendre en compte les enseignements tirés des projets antérieurs (succès ou échecs), de sorte que l’évaluation ex post est à la fois la dernière étape d’un projet donné et la première étape des projets ultérieurs. Cette évaluation ex post devrait être divisée en deux parties : en premier lieu, une évaluation de base qui consiste à analyser le rendement du projet et ses délais de réalisation. En second lieu, un examen plus approfondi, effectué plusieurs années après l’achèvement du projet et qui s’apparente à une analyse coûts-avantages exhaustive portant sur les aspects économiques et budgétaires, sociaux et environnementaux. Pour des projets importants, l’évaluation ex post pourrait être elle-même soumise à un audit externe, afin d’assurer une meilleure transparence des coûts et afin d’éviter la répétition d’inefficiences dans le cadre des projets d’investissement suivants.
  5. Afin d’être en mesure de pratiquer, lorsque les conditions s’y prêtent, une politique budgétaire contra-cyclique appropriée, il convient d’assurer un équilibre financier durable des fonds spéciaux de l’Etat. Les avoirs de ces fonds tendent en effet à décliner. L’Etat doit à l’avenir être capable de poursuivre sa politique d’investissement et doit disposer à tout moment des marges de manœuvre budgétaires requises afin d’assurer le bon entretien des infrastructures et d’être capable de poser des jalons nouveaux à moyen, voire à long terme. Toujours dans une perspective contra-cyclique et afin de maximiser l’efficacité de l’évaluation ex ante, il importe de maintenir les projets sélectionnés, déjà pleinement évalués mais pas mis en œuvre immédiatement, dans un « pipeline » de projets. Ils pourraient de la sorte être rapidement activés si le besoin s’en faisait sentir – en cas de ralentissement économique par exemple.
  6. Planification à long terme des investissements publics : les investissements publics étant plus « malléables » que les dépenses courantes, ils sont trop souvent conditionnés par des impératifs, budgétaires notamment, de court terme. Afin d’éviter tout « court-termisme », il serait judicieux d’entamer une réflexion sur la façon d’ancrer davantage une perspective « longue » dans la gestion des projets. Une Commission d’experts, indépendante du Gouvernement, pourrait être en charge de l’identification des besoins et priorités stratégiques en infrastructures, à un horizon de dix ans par exemple. Le Gouvernement aurait le dernier mot en matière d’investissement public, mais un écart par rapport aux recommandations de la Commission devrait faire l’objet d’explications publiques. Cette Commission pourrait également assumer un rôle de monitoring des investissements publics aux différentes étapes de leurs cycles de vie.
  7. Des efforts additionnels doivent être accomplis en matière de simplification administrative, à travers notamment la mise en œuvre du projet de loi Omnibus et la définition d’une loi Omnibus II remédiant aux carences du premier projet de loi. Une telle simplification permettrait d’améliorer la compétitivité des entreprises et la prévisibilité de leur gestion, de diminuer les coûts pour l’Etat et les communes imputables aux retards des projets ou aux procédures judiciaires et de lutter plus efficacement contre les goulots d’étranglement en matière de logement. Par ailleurs, une politique de lissage des cycles économiques par l’entremise des investissements publics est un leurre en l’absence d’une profonde simplification administrative, permettant d’accélérer la délivrance de permis de construire. La durée moyenne d’obtention d’un permis est par exemple de 26 jours à Singapour et de 157 jours au Luxembourg.
  8. Le financement et surtout la gestion des investissements publics doivent être facilités, en développant des moyens de financement et de mise en œuvre alternatifs, le tout en s’appuyant sur les meilleures pratiques d’autres pays développés. Il convient de souligner dans cette perspective l’intérêt potentiel des partenariats public-privé. Le Luxembourg pourrait capitaliser sur l’expérience dont il dispose d’ores et déjà par le truchement de la loi de garantie et du fonds spécial correspondant. Or les PPP ne sont pas encore aussi enracinés au Grand-Duché que dans d’autres pays. Ainsi, il n’existe pas d’unité spécialement établie pour gérer les PPP, qui soit en charge de la supervision et qui fournisse une expertise.
  9. La Chambre de Commerce tient en outre à souligner l’importance d’une bonne coordination entre les investissements de l’Administration centrale et ceux des communes. Une coordination étroite permet d’éviter de nombreux écueils potentiels susceptibles de fausser le calcul des retombées des investissements. Figurent parmi ces écueils potentiels les asymétries d’information entre niveaux de pouvoir, une capacité technique et d’expertise potentiellement insuffisante à certains niveaux de pouvoir, des recettes publiques parfois assez volatiles, une fragmentation institutionnelle, une difficulté à adopter des objectifs communs ou encore un possible manque de transparence. Combler ces lacunes potentielles permet non seulement d’optimiser le potentiel des investissements publics, mais également de lutter contre leur duplication, d’assurer une meilleure cohésion territoriale, de garantir un accès plus homogène aux biens publics ou encore de rendre les investissements locaux plus résistants aux chocs économiques.
  10. Une coordination étroite des investissements publics s’impose au sein de la Grande Région et au niveau européen, notamment à travers les fonds structurels européens et le « Plan Juncker » d’investissement. Le Plan Juncker est une bonne initiative, mais les 315 milliards EUR impliqués ne font que compenser le décrochage des investissements publics et privés observé au sein de l’Union européenne depuis 2007, alors que des besoins importants existent en matière de réseaux de transports, d’énergie et de télécommunications. Par ailleurs, le transit au sein de la Grande Région d’un nombre considérable et croissant de travailleurs frontaliers oblige à intégrer davantage les différents systèmes de transport. Il conviendrait même d’agir au-delà de la Grande Région, en assurant de meilleures connexions entre cette dernière et des espaces environnants tels que Bruxelles, la région de Mannheim, de Francfort ou de Stuttgart. Cette  « extension » permettrait par ailleurs au Luxembourg d’agrandir son bassin d’emplois et sa zone de chalandise régionale. Enfin, lors de l’évaluation ex ante de tout projet d’investissement important au Luxembourg, il convient d’intégrer la dimension internationale (opportunités de cofinancement et de synergies, éviter les duplications, etc.).

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Considérées de concert, ces diverses recommandations peuvent paraître exigeantes, mais on ne saurait exagérer l’importance des investissements publics non seulement d’un point de vue économique et entrepreneurial, mais également pour le bien-être au jour le jour de la population luxembourgeoise et des autres « stakeholders » – notamment les travailleurs non résidents.

La 17e édition du bulletin économique « Actualité & tendances » peut être téléchargée gratuitement sur le site internet de la Chambre de Commerce à l'adresse www.cc.lu (rubrique « Publications »).