Relèvement du salaire social minimum au premier janvier 2013
La Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers viennent d’émettre leur avis commun concernant le projet de loi[1] prévoyant une augmentation du salaire social minimum (SSM) de 1,5% à partir du 1er janvier 2013, pour le porter à 1.874,19 EUR (SSM non-qualifié), respectivement à 2.249,03 EUR (SSM qualifié). Les deux Chambres professionnelles tirent la sonnette d’alarme face à cette nouvelle hausse du coût du travail. Elle fait fi du contexte économique général du Luxembourg, pénalisera avant tout les couches les plus vulnérables de la population, au lieu de les soutenir, et augmentera le chômage au Luxembourg.
Le niveau particulièrement élevé du SSM actuellement en vigueur au Luxembourg pose d’importants problèmes, notamment en termes d'employabilité des personnes résidentes sans qualification. En effet, l’augmentation du coût de la main-d’œuvre la moins qualifiée n’incitera pas les entreprises à embaucher ces personnes, mais plutôt à recourir à des travailleurs plus qualifiés, notamment en provenance de la Grande Région. Dès lors, le relèvement du SSM risque d’aggraver davantage à l’avenir les difficultés éprouvées par les résidents non ou peu qualifiées lors de la recherche d’un emploi.
En effet, dans la mesure où bon nombre de personnes non qualifiées ont d’ores et déjà une productivité inférieure au salaire minimum, l’augmentation du niveau du SSM au 1er janvier 2013 n’aura pour autre conséquence que l’accroissement du nombre de chômeurs potentiels, de fragiliser davantage la cohésion sociale et de créer une brèche sérieuse à l’objectif politique visant à intégrer prioritairement les personnes non ou peu qualifiées sur le marché du travail.
D’une manière plus générale, le projet de loi constitue une nouvelle illustration que le Luxembourg ne parvient pas à adapter et à ajuster la capacité redistributive de l’économie en fonction de sa capacité productive. Or, cette capacité est une condition de fond de tout développement socio-économique qui se veut durable. Le Luxembourg doit se rendre à l’évidence qu’une période de six ans sans croissance (2008-2013) est incompatible avec des automatismes réglementaires qui renchérissent de 17,9% le coût du travail dans le chef des salariés rémunérés au voisinage du SSM (soit 5 tranches indiciaires de 2,5% et trois relèvements du SSM, à savoir 2,0% (2009), 1,9% (2011) et 1,5% (2013)). L’augmentation du SSM, qui n’est qu’une faculté selon la loi, est ainsi devenue en réalité un automatisme réglementaire, ce qui constitue une nouvelle illustration de l’insuffisance des efforts du Gouvernement visant à résoudre les problèmes structurels du pays.
Le Luxembourg est parmi les pays d’Europe qui connaissent la plus forte proportion de salariés payés au salaire minimum. Une telle situation traduit un dysfonctionnement profond du marché du travail, dans la mesure où une proportion importante de salariés est rémunérée dans des conditions qui ne sont pas les conditions normales du marché. D’une part, la conséquence directe du niveau élevé du SSM entraîne mécaniquement un nombre croissant de salariés peu ou pas qualifiés à être « rattrapés » par le salaire minimum. Pourtant, il est évident pour l’ensemble des acteurs économiques qu’il n’est jamais positif que les mécanismes de marché ne jouent que sur une partie réduite du marché. D’autre part, ce « dirigisme salarial » est accentué par l’effet d’entraînement sur les salaires moyens ou supérieurs qu'induisent les conditions de rémunération dans la fonction publique. Une partie croissante des rémunérations relève dès lors de décisions ou mécanismes d’ajustement étrangers au monde des entreprises. Une telle situation n’est pas tenable dans une économie de marché aussi ouverte que celle du Luxembourg, qui comporte par définition une grande partie d’entreprises qui sont des « price takers ».
Par ailleurs, en termes de cohésion sociale, le rapport Fontagné sur la compétitivité de l’économie luxembourgeoise de fin 2004 relève que, si la proportion de salariés rémunérés au salaire minimum est importante, le SSM ne parvient pas à remplir son objectif de redistribution. Cette analyse rejoint entièrement celle des deux Chambres professionnelles. Les mécanismes de redistribution ne sont efficaces que lorsqu’ils sont ciblés. En pratique, le seul effet d’une augmentation du SSM consiste à accroître la proportion de la population active qui se trouve exclue des conditions normales du marché du travail.
Les deux Chambres professionnelles pourraient par contre soutenir l’introduction d’un « Salaire Minimum Formation ». Dans ce contexte, la différence entre le seuil inférieur de productivité retenu pour les salariés non-qualifiés et le SSM serait versée par l’Etat, sur production d’un certificat de participation à une formation qualifiante pour 20% du temps de travail, par exemple. Dès lors, la formation serait financée par l’Etat en débitant le chéquier formation de l’intéressé. Ce système permettrait ainsi surtout aux travailleurs non-qualifiés d’améliorer leur employabilité et d’accroître leur productivité au sein des entreprises.
Dans le contexte du SSM et des relèvements réguliers afférents, l’argument du coût élevé du logement est souvent avancé. Si des aides ciblées au logement des salariés les plus démunis peuvent être justifiées, les deux Chambres professionnelles plaident surtout pour des mesures visant à soutenir l’offre de logements, afin de rétablir l’équilibre entre la demande et l’offre sur le marché immobilier. Cet équilibre fait défaut actuellement et cet état de fait est largement responsable des prix élevés sur le marché du logement.
En dernier lieu, l’adaptation du SSM incite inévitablement les bénéficiaires de salaires bas ou même moyens à revendiquer des hausses conséquentes de leur propre niveau de salaire. Il s’ensuit donc une tendance à la hausse généralisée de l’ensemble des salaires, une nouvelle dégradation de la compétitivité-coût et prix et, finalement, un impact néfaste en termes d’inflation. Il est par ailleurs évident que la hausse du SSM aura des répercussions non négligeables sur les coûts de production des secteurs qui emploient un grand nombre de salariés rémunérés au SSM. Les autorités doivent donc, dans un tel contexte, renoncer à une mesure qui, en pénalisant les secteurs les plus intensifs en emplois, ne peut qu’induire un risque élevé d’accroissement de l’exclusion et de l’inactivité.
(Communiqué par la Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers le 28 novembre 2012)
[1] Projet de loi n°6449 modifiant l'article L.222-9 du Code du travail.