Success stories
La société fonctionne encore comme une startup : effectifs jeunes, activités ludiques, réussites célébrées… et beaucoup de travail. Patrick Kersten a créé Doctena en 2013. 95 % de ses utilisateurs disent que la plateforme est très simple (65

Mû par un attrait insatiable pour l’innovation, Patrick Kersten est à l’origine de Doctena, plateforme de réservation de rendez-vous médicaux en ligne qui a connu un succès immédiat. Le lien entre ce projet et toutes les plateforme auxquelles il a contribué auparavant, comme le site d’annonces immobilières atHome par exemple ? Tous ces modèles ont en commun d’offrir un haut degré d’utilité à leurs utilisateurs. C’est ce critère qui sert de guide à Patrick Kersten.

Quel est le modèle économique de Doctena ?
« Il est très simple : nous mettons un calendrier et ses fonctionnalités à disposition des médecins. Pour cela, ils paient une licence qui est l’unique source de revenus du modèle. Il n’y a aucune publicité sur Doctena et nous ne vendons aucune donnée. En fait, c’est comparable à un contrat de licence de logiciel, en mode software as a service (SAAS), rendu possible par la technologie cloud.

Est-ce qu’un tel modèle existait déjà ailleurs  ? D’où vient l’idée ?
« L’activité de Doctena correspond à deux services rendus : la partie calendrier pour les médecins et la partie prise de rendez-vous en ligne pour les patients. Cette dernière possibilité existait déjà depuis une quinzaine d’années sur les sites internet de certains médecins. Aux États-Unis, en 2008, trois anciens collaborateurs du cabinet de conseil McKinsey ont eu l’idée de regrouper sur un seul site ces calendriers de médecins. Ils ont eu beaucoup de succès, car c’était la première fois que les patients pouvaient avoir une vue unique de la disponibilité d’un large choix de médecins. Après quelques années, ils ont annoncé vouloir étendre leurs services dans le monde. Mais il s’avère que les habitudes et réglementations qui entourent la médecine (règle d’accès aux soins, modes de remboursement…) sont très différentes d’un pays à l’autre. Ils ont donc rencontré des freins et ce sont des acteurs locaux qui ont développé des solutions. Ce qui m’a personnellement poussé à m’intéresser à ce domaine, c’est son côté très utile et le fait que le Luxembourg m’apparaissait comme un formidable POC (proof of concept) pour ce genre de plateforme en Europe.

Vous n’étiez pas seul dans l’aventure Doctena...
« En effet, j’ai approfondi l’idée avec deux cofondateurs. Moi, j’apporte l’expérience que j’ai acquise dans le domaine d’internet avec Monster et atHome. Marc Molitor a une grande expérience du secteur de la santé. C’est un ingénieur qui a travaillé dans l’industrie pharmaceutique. Quant à Alain Fontaine, le troisième associé, il est l’ancien directeur IT d’atHome. En fait, la logique de la plateforme Doctena est très similaire à celle d’atHome. Il s’agit de mettre en contact une offre et une demande. Il y a donc des similitudes dans les compétences qu’il faut avoir dans l’équipe pour concilier simplicité pour l’utilisateur qui cherche un service et utilité pour le professionnel qui offre un service. Au sein de Doctena, nous avons donc deux équipes, celle de l’outil professionnel calendrier et celle de l’interface patient.

Combien de temps a-t-il fallu pour mettre au point la plateforme ?
« Entre nos premiers échanges de cofondateurs et la création de la société, il n’y a eu que six mois, et à nouveau six mois pour mettre la plateforme en ligne. Dès le moment où celle-ci a été ouverte, la croissance du trafic a été de l’ordre de plus de 10 % par mois.

Quels sont les freins évoqués par les médecins qui ne sont pas (encore) sur Doctena ?
« Les médecins sont plus ou moins sensibles à l’innovation et aux changements d’habitudes de travail. Certains estiment tout simplement qu’ils n’ont pas besoin de Doctena. Nous mettons en avant le fait que Doctena ne remplace pas l’organisation qu’ils ont mise en place avec leur assistante. Doctena ne remplace pas non plus le téléphone, mais permet de rendre plus fluides les pics d’appels pour prise de rendez-vous. Dans tous les pays, ceux-ci sont concentrés le matin, entre 8 et 10 h, au moment de l’ouverture des cabinets. Et la majorité des prises de rendez-vous concerne des patients existants et des visites de contrôle. Si on laisse la plateforme gérer ces réservations, le téléphone est libéré pour les appels de conseil.

Comment recueillez-vous l’expérience utilisateur et leur satisfaction ?
« Nous différencions nos deux cibles. Pour les patients, nous procédons par sondage chaque année, en privilégiant les questions à propos des nouveautés. Sondage après sondage, la demande numéro 1 des patients est de pouvoir trouver tous les médecins sur la plateforme. Nous concentrons donc nos efforts sur l’amélioration de ce point, grâce à une équipe de commerciaux qui démarche les médecins. Un autre exemple d’amélioration issue des sondages est la possibilité d’organiser un rendez-vous de dernière minute, en cas de désistement d’un patient, grâce à un système d’alerte, ce qui a été programmé et mis en place depuis 2018.
Pour les médecins, c’est principalement l’équipe commerciale qui fait remonter les améliorations attendues, en plus de la veille que nous faisons sur les solutions existant ailleurs.

Comment décidez-vous des évolutions à apporter au site ?
« Nous sommes à l’affût des tendances et des changements de législation. Par exemple, le renouvellement de prescription en ligne est devenu possible aux Pays-Bas et nous sommes en train de le tester au Luxembourg. Nous aimerions beaucoup intégrer à la plateforme le paiement et le  emboursement des actes médicaux. Nous discutons avec toutes les parties prenantes impliquées dans ces processus et notamment la CNS au Luxembourg. Le respect des contraintes légales représente une partie importante de notre travail quand nous songeons à offrir un nouveau service.

Vous êtes présents au Luxembourg, en Allemagne, en Belgique, en Suisse, en Autriche, aux Pays-Bas. Qu’est-ce qui guide le choix des pays où vous vous lancez ?
« Initialement, c’était une logique de petits pays, car ces marchés nécessitent moins de moyens pour leur conquête que les grands. Pour entrer sur de gros marchés, le financement est plus conséquent. Donc nous avons d’abord visé le Benelux, puis la Suisse. Ensuite, nous avons eu des moyens suffisants pour faire des acquisitions en Allemagne et en Autriche. Nous avons obtenu un réel support des banquiers et de nos actionnaires pour soutenir cette croissance externe. Notre interface est déjà multilingue pour le Luxembourg, où elle est disponible en français, allemand, anglais, portugais, italien et néerlandais. Le plurilinguisme n’est pas un défi pour nous et nous pourrions continuer à ouvrir des bureaux dans d’autres pays, mais nous préférons nous concentrer sur les pays où nous sommes déjà car aucun d’eux n’est arrivé à maturité. Nous y servons entre 5 et 10 % de la population. Il existe donc encore un énorme potentiel pour développer le nombre d’abonnés. Nos six marchés réunis  représentent 500.000 médecins et 700.000 professionnels de santé (sages-femmes, kinésithérapeutes, pédicures…), et même au Luxembourg, le « gâteau » grandit à mesure que la population et le nombre de médecins augmentent. Cela devrait prendre encore quelques années pour servir tout le monde.
Votre équipe a grandi très vite. Rencontrez-vous des difficultés à recruter ?
« Nous rencontrons des difficultés de recrutement comme beaucoup d’entreprises, mais nous avons la chance de bénéficier d’une bonne visibilité. Nous sommes considérés comme une belle référence à mettre sur un CV. Comme nous sommes présents dans le quotidien des gens, beaucoup nous connaissent en tant qu’utilisateurs et se transforment en candidats enthousiastes. La principale difficulté réside dans les langues parlées. Pour le support aux médecins, il est indispensable de parler leur langue. Le mix que nous recherchons le plus est français, allemand et néerlandais. C’est très rare de trouver des personnes qui maîtrisent ces trois langues à la fois. Pour les fonctions qui ne sont pas en contact direct avec les clients (IT, fonctions support), les pays de l’est et du sud de l’Europe sont de bons viviers.

Vous considérez-vous comme un serial entrepreneur ? Si oui, quel est le coup d’après ?
« Il est vrai que je me sens plutôt l’âme d’un créateur que d’un gestionnaire, mais Doctena est encore  dans une phase très passionnante où il y a encore énormément de choses à développer. Tant que cela me passionne, je continue. En termes d’innovation, il y a tellement de choses devant nous... La santé est un domaine qui va encore connaître de grandes mutations, avec notamment le développement de la télémédecine et toutes les possibilités offertes par les objets connectés et l’intelligence artificielle. Nous n’avons pas peur du manque d’idées. Dans les périodes un peu plus creuses, nous organisons des hackathons internes. Le plus difficile est de ne pas se disperser, car nous tenons à avoir une grande qualité d’exécution de chaque nouvelle fonctionnalité. »

Doctena en chiffres :

  • Médecins référencés : 10.000 dans 6 pays (Luxembourg, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Autriche, Suisse)
  • 1 médecin sur 4 au Luxembourg et 1 sur 10 en Belgique
  • Utilisateurs : plus de 700.000 patients enregistrés dans 6 pays
  • 1,5 million de rendez-vous organisés chaque mois
  • Effectif : 65 personnes, dont 1/3 de femmes

www.fr.doctena.lu

 

Texte : Catherine Moisy - Photos : Emmanuel Claude / Focalize