Success stories
Carine Smets : « J’aime tout dans ce métier : comprendre les enjeux, rester réactive, ouverte, connectée avec l’époque et transmettre cela aux équipes, susciter leur curiosité, le goût du dépassement et du risque entrepreneurial. » La force

Lancé en 1986 et savamment développé depuis, le groupe familial Smets met à disposition de ses clients, des espaces uniques au Luxembourg où art, mode et design coexistent de façon singulière et inattendue. Coups de cœur, et talents émergents sont au rendez-vous, aux côtés de maisons établies et de créateurs internationaux.  Dans la famille Smets, Pascaline, la fille aînée est désormais directrice artistique du groupe. Rencontre avec Carine, la fondatrice, à l’origine de la première boutique et du développement du groupe.

Qu’est-ce qui a poussé deux scientifiques comme vous et votre mari à se lancer dans le commerce ?
Nous sommes arrivés au Luxembourg quand Thierry, mon mari, est venu y installer un cabinet vétérinaire. De mon côté, je n’envisageais pas de rester à la maison. Ayant plusieurs enfants, j’avais fait le constat que je ne trouvais pas de vêtements à mon goût pour les habiller. J’ai très vite ouvert un premier magasin, spécialisé dans les vêtements pour enfants, à Bereldange, à la fin des années 1980. J’ai adoré cette activité commerciale, qui en effet était très nouvelle pour moi qui avais évolué précédemment dans des laboratoires de génétique. Les étapes suivantes se sont enchaînées naturellement : le premier magasin en ville puis des ouvertures en centres commerciaux, à la périphérie de la capitale. Nous avons saisi de nombreuses opportunités. Certaines ont été des succès, d’autres des échecs, stoppés rapidement, et voilà, nous sommes devenus un groupe, tout en restant une PME familiale.

Quand vous regardez ce parcours, y-a-t-il des choses que vous feriez autrement aujourd’hui ?
Je suivrais plus de formations et je m’inscrirais à plus de séminaires car effectivement, j’ai une formation scientifique et non commerciale. Je privilégierais le networking et rencontrais des personnes susceptibles de m’aider à me poser les bonnes questions sur la conduite de l’entreprise. Les premières années, j’avais constamment le « nez sur le guidon », et déjà 4 enfants à la maison (Carine Smets a 6 enfants, ndlr). J’aurais dû m’entourer davantage et déléguer plus rapidement.

Quel est votre style de management ?
Je ne pratique pas un management vertical. Je tiens à ce que chacun puisse apporter son « know-how » dans l’organisation, que chacun puisse être acteur. Les conseillers de vente, par exemple, sont tout sauf des surveillants des magasin. Il est essentiel qu’ils aient des compétences variées et puissent les exprimer.

Vous avez récemment passé les rênes à Pascaline, votre fille aînée…
Nous sommes extrêmement heureux d’avoir opéré cette transmission. Pascaline est la personne rêvée pour assurer la continuité de l’entreprise. Elle est pleinement inscrite dans son époque, elle est intelligente, curieuse et sans préjugés. Elle insuffle ce côté  millenials, à nos enseignes, pour parler à une nouvelle clientèle.

La transmission réussie d’une entreprise familiale repose en grande partie sur la qualité et l’engagement du repreneur. Pour faire vivre une enseigne de mode et pérenniser sa désirabilité, il est préférable de pouvoir miser sur un talent fort en interne.  Pascaline est  un tremplin pour l’entreprise. De par ses voyages, son intérêt insatiable pour l’innovation, la création artistique, et ses rencontres incroyables, elle est à la pointe des tendances. Ces contacts ouvrent des portes, inspirent  des collaborations prestigieuses et contribuent à  la visibilité internationale. Nous l’assistons  en répondant à ses demandes grâce a un  back office efficace et idéalement opérationnel 24/24. Nous lui laissons total champ libre au niveau de  la direction artistique, la sélection des créateurs  et la construction de son univers, tout ce qui fait réellement la force de Smets.

Votre groupe est assez discret dans les médias. Est-ce une volonté délibérée ?
En effet, nous faisons très peu de publicité car nous préférons consacrer le  budget  communication à la scénarisation des lieux de ventes et des vitrines. La  fréquentation des centres-villes est en baisse dans la grande majorité des villes européennes De nombreux magasins ferment leurs portes, y compris des enseignes de luxe. Nous misons sur notre portefeuille de marques pointues, souvent exclusives sur le marché luxembourgeois. Afin de dynamiser  cette sélection, il n’y a pas de meilleur média que des  vitrines fortes et engagées, afin de parler aux  millenials, inspirés d’excentricité et de youth culture.  Nous investissons nos budgets publicitaires dans les collaborations avec des marques premium. Cet exercice suscite  un discours  intéressant, à la fois auprès du public, de la presse,  et auprès d’autres marques premium qui se positionnent afin de bénéficier de cette visibilité.

Vous avez un magasin à Bruxelles. Quel est votre objectif avec ce point de vente?
Avoir une présence à Bruxelles est important pour la visibilité à l’échelle du Bénélux. C’est une vitrine qui s’adresse également à la clientèle néerlandophone. Bruxelles est une ville qui a une forte identité au niveau de la création et de la culture fashion. Etre présents  dans cette ville est  important. Enfin, pour certaines marques, notamment celles issues de la culture street ou ayant une forte dimension art/design, Bruxelles est incontournable et notre magasin bruxellois fait partie de nos arguments pour initier  des collaborations.

A Luxembourg ville, craignez-vous la concurrence du futur centre Royal Hamilius ?
Au contraire, nous voyons cela d’un très bon œil. Le bâtiment dessiné par Norman Foster, architecte de renommée mondiale, aura un fort pouvoir attractif et le futur restaurant panoramique va apporter un vrai plus à Luxembourg. Par contre, dans un centre-ville, il faut à l’idéal au moins deux pôles d’attraction, pour que les clients soient incités à se déplacer de l’un à l’autre en traversant toute la zone commerciale. Or, à Luxembourg-ville les lieux qui créent l’événement et concentrent les énergies (Université, Mudam, Philharmonie…) sont trop dispersés pour jouer ce rôle. Il faudrait un contrepoids au projet Hamilius à l’autre bout de la Grand-Rue.

Et puis il va falloir faire revenir la clientèle au centre-ville. Suite à la délocalisation des institutions financières et autres sociétés qui avaient pignon sur rue auparavant,  à la pénurie de parkings,  aux  travaux incessants, et aux problèmes de mobilité en général,  la clientèle  a tendance à prendre ses habitudes ailleurs.

Imaginez-vous un futur où les magasins physiques auront totalement disparu ?
Personnellement je ne pense pas que cela arrivera mais il est sûr que nous sommes actuellement dans une période de transition où chacun cherche la bonne voie. Certaines enseignes, présentes uniquement sur internet, ouvrent des magasins physiques. C’est un indice significatif. Les fluctuations des prix du pétrole ont un impact sur toute la logistique associée au e-commerce. Les magasins de proximité acquièrent  une nouvelle pertinence. Pour tout ce qui est très innovant  le public éprouve  également le  besoin de voir, d’essayer, de se faire expliquer. Il veut une expérience. Il faut rester inventif et proposer un service irréprochable, grâce à des vendeurs très impliqués…Prenons l’exemple des nouvelles marques cosmétiques de niche. Pour ces articles, le conseil est très important. Les  marques confidentielles ou très pointues ne peuvent  ouvrir leur propre enseigne car  la masse critique de clientèle est trop faible à Luxembourg. Les enseignes multimarques qui identifient ces nouveaux acteurs du marché et les présentent au public dans un environnement valorisant, ont une carte importante à jouer.

Ceci dit la présence sur le net est capitale également. Pour le moment, notre site internet est en refonte. Nous souhaitons qu’il transmette l’énergie de création qui anime nos enseignes. Nous sommes conscients que c’est un outil qui nous  permettra de rayonner à l’international mais pour cela, le site doit  répondre exactement à notre image.

D’une manière générale, quels sont les défis et difficultés que le commerce doit affronter au Luxembourg ?
Le  premier défi est le recrutement. Pour faire venir des profils très qualifiés, visionnaires, il faut aller chercher à l’international mais ces personnes sont confrontées à deux soucis majeurs au Luxembourg : la saturation des écoles qui proposent des cursus internationaux et le prix et la disponibilité des logements. Pour compenser ces deux difficultés il faut pouvoir proposer des niveaux de salaires qu’une PME peut difficilement se permettre. Ensuite, pour le personnel de vente, le recrutement n’est pas plus facile. Nous souhaitons embaucher des personnes parlant anglais, ayant une culture mode, maitrisant les réseaux sociaux, le sens du respect, qui acceptent de travailler le samedi et pour les plus motivés d’entre eux qui acceptent d’être joignables 24/24 par les clients asiatiques. Autant dire le mouton à cinq pattes ! Or nous avons besoin de jeunes motivés. Il faudrait presque créer une école spécialement dédiée à la formation de ces profils, calquée sur le modèle de l’Institut des métiers d’excellence créé par LVMH en 2014.

A contrario, quelles sont les opportunités spécifiques au Luxembourg ?
La principale opportunité  réside dans le fait que nous ayons  été pionniers, profitant de l’essor incroyable du pays dans les années 1990-2000, avec un concept multimarque qui a une réelle pertinence sur le marché luxembourgeois, la ville de Luxembourg étant trop petite pour attirer les flag ship store des marques internationales prestigieuses. La position du Luxembourg au cœur de l’Europe est aussi une opportunité. Et l’investissement du gouvernement et des missions économiques pour faire connaître le pays au niveau international est capital pour son essor. Le fait de capitaliser sur  les nouvelles technologies, d’attirer des centres logistiques comme Amazone est très positif pour l’image et l’attractivité du pays.

Les magasins du groupe Smets

  • Art City, Luxembourg-ville
  • Cape Cod, Luxembourg-ville
  • Smets City Concorde, Bertrange
  • Smets Outlet, Bertrange
  • Smets Luxembourg, Strassen
  • TWO6TWO restaurant, Strassen
  • Smets RDN, Bruxelles

 

Texte : Catherine Moisy - Photos : Emmanuel Claude / Focalize