Start-Up
Tetrao compte une quinzaine d’employés. Le siège basé au Luxembourg accueille des ingénieurs, chercheurs en intelligence artificielle et développeurs. Sa filiale en Espagne se concentre sur le développement de sites web et la gestion de serveurs.

Hébergée à la House of Startups au sein de la Luxembourg House of Financial Technology (LHoFT) Tetrao a vu le jour en novembre 2014. Fondée par Christian Gillot, la startup s’appuie sur un aspect de l’Intelligence Artificielle (IA), la robotique cognitive. Vainqueur de la finale du BNP Paribas Hackathon International en 2017, Tetrao a déjà séduit les ténors du secteur bancaire.

Comment a germé l’idée de créer Tetrao et d’où vient le nom ?
L'idée de créer Tetrao m'est venue après avoir fait l’expérience de problèmes techniques récurrents rencontrés dans le cadre de mon emploi précédent. Je travaillais dans l'édition d'e-books ou livres électroniques, avec quelque 150.000 livres répartis dans 150 points de vente à suivre. Le logiciel dont je disposais pour vérifier la logistique de données pour chaque point de vente était incapable de reconnaître une page HTML modifiée techniquement. Chaque jour, sur les 150 points de vente, il y en avait toujours plusieurs à traiter manuellement et il fallait sans cesse recommencer les mêmes opérations et vérifier si les données des e-books étaient correctes. J’ai donc eu l’idée de développer un robot intelligent qui pourrait simuler le comportement humain d’un utilisateur, à la différence d’un logiciel qui exécute des tâches programmées. Notre robot navigue dans les pages comme le ferait un être humain. Il comprend et analyse les pages web en oubliant le code source qui change constamment. La technologie de Tetrao relève de l’Intelligence Artificielle aussi appelée apprentissage automatique. L’IA permet d’exécuter des tâches cognitives traditionnellement effectuées par l’humain et qui semblaient auparavant inaccessibles aux machines, comme reconnaître une image, interpréter un texte, etc. Ainsi, des tâches fastidieuses enseignées au robot peuvent être dupliquées à l’infini et adaptées à des environnements différents. Le nom « Tetrao », vient du latin et signifie « Coq de Bruyère » ou « Grand Tétras », une espèce emblématique du massif vosgien et devenue rare. En tant que Lorrain, j’ai souhaité lui offrir une nouvelle naissance.

Quel est votre parcours ?
Je suis avant tout un informaticien autodidacte. J’ai commencé à travailler après un bac scientifique aux USA puis en Espagne. Intéressé par la recherche et le développement, je suis revenu en France pour étudier en suivant d’abord une  licence en mathématiques-informatique. Dans le cadre de ma thèse en informatique, j’ai enseigné à l’école des Mines à Nancy et j’ai obtenu un contrat avec l’équipe de recherche, PAROLE, au Loria-Inria de Nancy, dont la mission est de mener des recherches fondamentales et appliquées, au niveau international, dans le domaine des sciences et technologies de l'information et de la communication. C’est ainsi que j’ai découvert le milieu académique, avec ses règles et son rythme, très différent du secteur privé qui a tendance à vouloir avancer vite. L’enjeu est intéressant… Le secteur académique offre l’opportunité d’aller sur des terrains auxquels les startups n’ont pas accès. La complémentarité entre le secteur privé et le secteur public permettent de mieux avancer.

Quel est le potentiel de la solution développée par Tetrao ?
La solution développée est innovante et unique sur le marché mondial. Son originalité est sa capacité à s’adapter aux modifications techniques des documents. Grâce à l’intelligence artificielle, notre technologie permet de simuler le comportement humain lors de la collecte et de l’interprétation de documents en ligne, accélérant par exemple l’ouverture de comptes bancaires pour les clients professionnels. Elle simplifie la vie des entreprises en facilitant l’expérience de leurs clients. Nous sommes en mesure d’écourter les délais d’ouverture de comptes bancaires pour professionnels, tout en diminuant le risque d’erreurs. Aujourd’hui, il faut savoir que les deux tiers des dossiers sont rejetés par manque de pièces, informations non concordantes, changement de nom, adresse avec boîte postale refusée, etc.  Grâce à la technologie développée par Tetrao, chaque étape lors de l’entrée en relation est vérifiée et validée en temps réel. Et ainsi, nous divisons par dix le temps de traitement. De cette manière, il est possible d’avoir un compte opérationnel en six jours contre soixante en moyenne actuellement !

Votre solution a déjà été reconnue et récompensée à plusieurs reprises. Comment avez-vous vécu ces victoires ?
Les clients et les conseillers qui ont testé la solution dans les centres d’affaires professionnels de BGL BNP Paribas, en amont de la finale du Hackathon en 2017, étaient unanimement positifs sur l’expérience vécue. Fort de cette phase de collaboration, Tetrao a « pitché » trois minutes devant un jury composé de la direction de BNP Paribas lors d’un « Démo Day » qui a eu lieu le 1er décembre 2017 à Paris. Nous avons remporté le 1er prix dans la catégorie « Expérience Client », sachant que pas moins de 160 start-up issues de 10 pays s’affrontaient au départ ! Nous sommes très reconnaissants de nos partenaires qui se sont engagés à nos côtés et sans qui rien n’aurait été possible. Cette réussite a constitué un excellent tremplin pour Tetrao.

Après avoir ouvert une première filiale en Espagne, nous avons ouvert fin octobre 2018, Tetrao France, une filiale française installée à Bras-sur-Meuse, dans la Grande-Région, et pour laquelle nous recherchons actuellement des annotateurs, rigoureux et attentifs aux détails. Il s’agit d’un nouveau métier. Dans le but d’améliorer notre intelligence artificielle, il est nécessaire de constamment lui montrer l’exemple et cette étape demande un travail humain énorme, avant que le robot ne maîtrise parfaitement ce qu’il doit exécuter.

Plus récemment, nous avons appris que nous figurons parmi les « 50 startups à suivre », sélectionnées par le magazine Paperjam.

Début 2018, nous étions six personnes dont trois personnes clés, Alfonso da Silva, Loïck Briot et moi-même et nous sommes actuellement quinze personnes. L’année prochaine, si tout va bien, Tetrao devrait compter une trentaine de personnes. Nous sommes fiers du chemin accompli !

Comment comptez-vous poursuivre votre développement ?
Nous avons travaillé pendant deux ans avant de pouvoir proposer un produit opérationnel. Nous sommes en phase d’intégration. L’adaptation et les changements en interne chez nos clients prennent un peu plus de temps qu’escompté, mais nous restons confiants. Nos partenaires parlent de nous et mettent en avant les avantages de notre solution. Nous sommes régulièrement invités à témoigner lors de conférences et nous sommes entendus. Tetrao va continuer de s'attacher à développer une dynamique positive créée par des événements internationaux importants. Nous avons un travail de médiatisation à faire.

Il est également important pour nous d’établir des priorités et de ne pas nous disperser. Même si nous sommes souvent sollicités, nous souhaitons nous spécialiser dans le domaine de l’ouverture de comptes et les fonds d’investissement. Dans une deuxième étape, nous pourrons apporter notre expertise dans les dossiers de financement des entreprises, où les besoins sont énormes.

Pourquoi avoir choisi le Luxembourg pour y établir le siège de Tetrao ?
Je suis né à Algrange et suis donc originaire de la Grande Région. Le Luxembourg offre un environnement dynamique, stable et international, propice à notre développement. Nous poursuivons notre croissance, grâce au soutien financier de 300.000 euros de la part d’investisseurs privés. Les décisions majeures se prennent toutes au Luxembourg, et nous nous sentons très bien au sein de la LHoFT. Tous les acteurs du secteur financier passent ici !

Comment vous rémunérez-vous et avez-vous des concurrents ?
A chaque ouverture de compte, la banque nous reverse un pourcentage. Nous sommes en pleine croissance et rentables depuis cette année ! Tetrao compte à ce jour un douzaine de clients et nous ferons autour d’un million d’euros de chiffre d’affaires en 2018 !

Nos principaux concurrents sont localisés aux Etats-Unis, mais ceux-ci n’opèrent que sur le continent américain. En Europe, nous n’avons pas de concurrence. En général, l’IA est plutôt exploitée et valorisée  sur les données de consommateur. Elle s’applique plus rarement à ce type de produit destiné au monde de l’entreprise et il y a là un potentiel énorme.

Avez-vous rencontré des difficultés et quels enseignements en avez-vous retirés ?
Je suis d’avis que toute entreprise innovante fait face à des difficultés liées tout d’abord à la « résistance au changement », un facteur humain. Il est également difficile de trouver les bonnes personnes. J’ai fait l’expérience d’une erreur de casting en Espagne où la personne en poste a préféré quitter l’entreprise. C’est une perte de temps pour Tetrao. Il faut rebondir rapidement car nous n’avons pas le droit à l’erreur !

Enfin, la preuve de concept ou POC (de l'anglais : Proof of Concept, NDLR), ou encore démonstration de faisabilité, est le passage obligé avec le client, même si jusqu’à présent le résultat de nos POC se sont toujours soldés par une réussite. J’ai appris à me mettre à la place du client qui doit suivre des procédures. Certains ont subi des déboires autrefois, donc, ils sont méfiants. Il faut le comprendre, l’accepter … et savoir être patient.

Où vous voyez-vous dans cinq ans ?
D’après nos prévisions, notre startup aura 500 personnes qui travailleront dans les différentes filiales d’ici cinq ans. Nous espérons devenir un acteur de référence en matière d'IA. Ma plus grande satisfaction reste le fait d'avoir pu faire adhérer des entreprises au changement à 31 ans et de pouvoir grandir avec l'équipe.

www.tetrao.eu

 

Texte : Marie-Hélène Trouillez - Photos : Laurent Antonelli/ Agence Blitz