Sesamm - Prédire la bourse grâce aux réseaux sociaux

Start-Up
Sesamm cible principalement les banques et l’industrie des fonds pour accroître ses performances et aborder des stratégies d’investissement innovantes. De gauche à droite : Pierre Rinaldi, Florian Aubry et Sylvain Forté, fondateurs de Sesamm, aim

Trois étudiants et jeunes diplômés, Sylvain Forté, Florian Aubry et Pierre Rinaldi, ont mis au point un outil de prédiction boursière à partir de l’analyse de messages postés sur les réseaux sociaux. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est le principe de l’application développée par Sesamm, une jeune pousse créée en mai 2014, et déjà récompensée plusieurs fois.

Comment est née Sesamm ?
Pierre Rinaldi : « L’idée a germé en 2013. À la faveur d’une année de césure pendant mes études, j’ai fait le choix de travailler en banque, en salle des marchés. J’ai pu constater qu’il y avait un écart entre les outils de travail traditionnels utilisés et ceux, plus techniques, qu’offre le marché aujourd’hui. L’utilisation de l’intelligence artificielle est  souvent inexistante, ce qui pose un problème pour la maîtrise du risque. J’ai donc eu l’idée de prendre en compte les spécificités du web 2.0 à travers la récolte d’informations sur les réseaux sociaux pour l’évolution de grands indices boursiers. Vers la fin des années 70, des recherches sur la ‘finance comportementale’ ont permis de mieux analyser les comportements parfois irrationnels des investisseurs, de reconnaître les situations à risque et de mettre en place des stratégies. Aujourd’hui, nous disposons des technologies nécessaires pour affiner la démarche de manière scientifique. J’ai fait une école supérieure de commerce, l’ESC Dijon, et j’avais besoin de compétences pointues en programmation informatique. Je  connaissais Sylvain qui poursuivait des études d’ingénieur auprès de l’Institut national des sciences appliquées de Strasbourg (Insa Strasbourg). Il a trouvé l’idée intéressante et nous nous sommes associés. Puis, nous avons pensé à Florian Aubry, également ingénieur informaticien auprès de l’Insa Strasbourg, qui nous a rejoints pour fonder Sesamm. Actuellement, la société compte 10 personnes et nous avons des bureaux à Paris, Metz et au Luxembourg.

Comment êtes-vous organisés ?
P. R. : « Je suis en charge de la prospection des clients et de la partie commerciale. J’établis les premiers contacts avec des personnes qui occupent généralement des postes techniques : CEO, responsable IT, responsable investissements, etc. Sylvain intervient sur le management technique. Il répond aux besoins de nos clients et établit un proof of concept (ou POC), qui permet de traduire ces besoins en technologies. Ensuite, Florian gère la partie technique avec l’équipe R & D.

Quelles technologies utilisez-vous ?
Sylvain Forté : « Les technologies utilisées sont très complexes et ont nécessité près de 30 mois de recherche et développement. Il y a dans un premier temps l’extraction de données de masse ou big data. Il s’agit de millions d’informations subjectives et comportementales issues chaque jour de réseaux sociaux et de news. Ces informations sont précieuses, car elles permettent d’analyser des comportements et d’en prévoir les effets futurs. L’objectif est d’en retirer du sens, trouver des informations auxquelles les marchés financiers n’ont pas accès. Ensuite, nous disposons d’une architecture informatique en cloud computing appliquant des technologies de natural language processing qui permettent d’analyser les sentiments boursiers et de quantifier l’émotion à partir des données collectées. Les mathématiques appliquées via des algorithmes constituent la dernière étape de notre travail pour livrer nos recommandations et les mesures à mettre en place. Cette étape est réalisée par des mathématiciens, compétents en machine learning, une  discipline en plein essor.

Quelles sont vos cibles et quelles solutions leur apportez-vous ?
S. F. : « Nos cibles sont principalement les banques et l’industrie des fonds. L’outil développé par Sesamm permet à nos clients d’accroître leurs performances et d’aborder des stratégies d’investissement innovantes. Nous aidons les gestionnaires à quantifier l’aspect irrationnel du marché ou à gérer des situations de crise. Nous lançons également un produit spécifique à Luxembourg que nous avons appelé ‘l’humeur des marchés’ et qui a donné lieu à une conférence de lancement internationale avec 140 personnes venues pour la plupart de Londres, Paris et, bien sûr, Luxembourg.

Avez-vous réussi à lever des fonds ?
S. F. : « Nous avons remporté sept ou huit concours régionaux et nationaux. Nous avons notamment été vainqueurs en mai dernier de Pitch your Start-Up dans le cadre de l’ICT Spring. Suite à cela, nous avons reçu un prix de 50.000 euros. En juin 2016, nous avons été finalistes aux Fintech Awards Luxembourg. Nous avons également participé aux Aurexia Fintech Awards à Londres en novembre 2016 où nous avons terminé parmi les quatre gagnants et remporté un prix de 5.000 livres sterling.
P. R. : « Au début, il s’agissait d’un moyen de financement, maintenant, nous voyons plutôt cela comme un moyen de communication. Nous avons réussi à lever environ un million d’euros de financements, moitié publics, moitié privés. Ces fonds proviennent de business angels, du Fonds venture numérique lorrain, spécialisé en financement de start-up high-tech, de BPI Lorraine, qui accompagne les entreprises de l’amorçage jusqu’à la cotation en bourse, ou encore du Réseau Entreprendre, une association française fédérant les entrepreneurs.

Quels sont vos prochains objectifs ?
S. F. : « Sesamm est incubée à la fois au sein de l’Incubateur lorrain, du Khube de KPMG Luxembourg et du Lux Future Lab de BGL BNP Paribas. Aujourd’hui, nous sommes à l’essai avec des banques et des fonds. Le secteur des fonds est compliqué pour parvenir à générer de la performance et superformer le marché. La gestion alternative (hedge funds) s’appuie sur la recherche et l’analyse micro ou macroéconomiques, qui doivent permettre de trouver des opportunités, soit dans les tendances de fond de l’économie ou des marchés financiers, soit en découvrant des entreprises à fort potentiel ou au contraire en difficulté. Nous sommes en relation avec les personnes en charge de la gestion de ces fonds pour échanger sur les aspects techniques. Nous traitons différentes tailles de fonds et offrons des solutions intégrées et adaptées. Pour le Luxembourg, nous souhaitons développer un produit avec une plateforme automatisée et un peu plus standard : une solution intéressante pour les family offices et le secteur des fonds, voire même les indépendants.
P. R. : « L’ambition de Sesamm est de devenir un acteur de référence en matière de technologies big data à l’usage de la communauté financière dans le monde entier, notamment aux États-Unis et en Chine. Nous sommes en phase de recrutement et recherchons actuellement cinq personnes, dont quatre avec des profils d’ingénieurs. Malheureusement, trop souvent encore, nous trouvons les profils recherchés à l’international et rarement au Luxembourg.

Avez-vous eu à subir un revers et quelle leçon en avez-vous tirée ?
S. F. : « La phase de levée de fonds a duré plus longtemps que prévu et nous avons pris du retard. Or, il y avait urgence et cela a été assez stressant, sachant qu’on avait une organisation à gérer et des salaires à payer.
P. R. : « Une phase de forte croissance peut être tout aussi compliquée à gérer qu’une phase d’échec. C’est une contrainte générale pour les start-up.

Auriez-vous un conseil à donner à un jeune entrepreneur ?
S. F. : « Nous avons des profils variés et complémentaires et une passion commune pour la finance. C’est ce qui fait notre force. Nous avons osé franchir le pas pour vivre notre rêve au quotidien. Une start-up est un ascenseur émotionnel et nous vivons et travaillons pour elle. Nous nous appelons souvent plusieurs fois après le travail et il n’y a pas d’heure. Parfois, cela peut être à trois heures du matin (rires).
P. R. : « Il faut responsabiliser les collaborateurs et les engager dans les décisions. Le plus important est que la société tourne. L’intérêt personnel doit venir en dernier. Nous faisons bon nombre d’événements de team building. Nous avons une culture ‘start-up’, où l’on ne sépare pas travail et vie privée. Notre travail est épanouissant et ce serait sans doute très compliqué pour nous de revenir à un schéma classique, maintenant que nous avons goûté à la liberté, à l’autonomie et que l’organisation de nos journées relève de notre entière responsabilité. »

www.sesamm.com

 

Texte : Marie-Hélène Trouillez – Photos : Laurent Antonelli / Agence Blitz