Start-Up
StarTalers ambitionne de devenir la première plateforme d’investissements responsables En 2018, Gaëlle Haag a créé StarTalers pour aider les femmes à gérer leur épargne

En mai 2018, Gaëlle Haag a créé StarTalers. L’idée est partie du constat simple que les femmes investissent moins que les hommes. La start-up a pour mission d’aider les femmes à mieux gérer leur avenir financier et les encourage à le faire en investissant dans des projets ayant un impact social et positif sur la société et l’environnement.

Comment voyez-vous évoluer le secteur bancaire et le monde de la finance?
J’ai travaillé sept ans auprès du cabinet de conseil McKinsey et ai effectué une partie de ma carrière auprès de la KBL, une banque privée, où je me suis occupée de stratégie puis ai été responsable du réseau commercial, du marketing et de la communication pour tout le réseau européen. Bien que titulaire d’un Master en finances et travaillant dans le secteur financier, je n’ai jamais été cliente d’une banque, et plus les années passaient, moins je me retrouvais dans le métier que j’exerçais. J’avais le sentiment que le modèle de gestion de patrimoine était voué à sa perte après plus de 20 ou 30 ans de bons et loyaux services. Ce qui me révoltait également, c’était de voir mes collègues masculins, gestionnaires et commerciaux, s’adresser uniquement aux hommes lorsque les clients venaient en couple. La femme était souvent tenue à l’écart, après qu’on lui ait servi une tasse de café. Il serait juste et normal de s’intéresser aussi à elles et de les impliquer, pour ne pas qu’elles soient démunies lorsqu’elles se retrouvent veuves. Les femmes ont une espérance de vie plus longue que les hommes et survivent souvent à leur mari… Le métier de banquier doit se réinventer. Je pense que les procédures sont trop lourdes et les coûts, prohibitifs par rapport à la valeur ajoutée. Comme l’a montré la dernière crise financière de 2007/2008, le secteur bancaire est de plus en plus déconnecté de la réalité. Il est urgent de revenir aux choses essentielles. L’argent doit servir à préserver les ressources et à replacer l’être humain au centre des préoccupations. Investir doit être un acte citoyen et responsable.

Pouvez-vous nous raconter comment vous avez franchi le pas et créé StarTalers ?
En juin 2017, j'ai assisté à une conférence sur l’impact des femmes dans l’industrie financière. Organisée par les Chambres de Commerce des pays nordiques Swebelux et Nobelux dans les locaux de State Street Bank Luxembourg, le public était essentiellement féminin. La conférence a démontré qu’en matière de finances, les différences de comportement entre hommes et femmes sont très nettes. Peut-être parce que les femmes, longtemps écartées du monde de la finance, ont choisi de tenir les cordons de la bourse dans leur foyer, il ressort que le risque ne fait pas partie de leur comportement d’investisseur. Les femmes éprouvent le besoin de voir leur argent investi de manière durable et responsable. Prudentes parce que moins formées – et moins confiantes, elles veulent comprendre dans les moindres détails les options qui s’offrent à elles. Elles sont également attachées à l’impact sociétal de leurs investissements. Communiquer sur les valeurs, faire preuve de pédagogie, telle devrait être l’attitude adoptée par tout conseiller envers les clients – et pas seulement les clientes féminines. La crise a eu des effets pervers et a imposé une multitude de règlementations. Il faut survivre, contourner ces barrières et commencer par l’éducation financière pour redonner confiance à ces femmes qui ont 40% de capital en moins que les hommes à l’âge de la retraite, alors qu’elles vivent en moyenne cinq ans de plus. En cas de divorce, les femmes ne sont pas mieux armées pour gérer leurs finances et sécuriser leur avenir. Or, la liberté financière, c’est la liberté de pouvoir faire des choix… Cette conférence a été pour moi le moment de vérité ! J’ai eu plusieurs échanges avec des amies et des collègues, avocates, financières et les conclusions étaient toujours les mêmes. Elles avaient honte d’avouer qu’elles étaient perdues et manquaient de temps pour prendre leurs finances en main. J’ai compris qu’il était temps de s’intéresser à ce marché et d’œuvrer pour un monde plus inclusif. Quelques mois plus tard, j’ai créé StarTalers !

D’où vient le nom que vous avez choisi de donner à votre entreprise ?
Le nom StarTalers vient d’un conte des frères Grimm (Die Sterntaler) dans lequel une petite fille pauvre est récompensée pour sa gentillesse et les étoiles filantes se transforment en pluie de pièces d’argent (Taler ou Thaler : monnaie apparue au XVe siècle, ndlr) qui la met à l’abri du besoin.

Quels services propose StarTalers ?
La technologie de StarTalers permet de rendre la finance accessible en fonction de votre temps et style de vie. StarTalers est en quelque sorte votre conseiller financier digital. L’application offre un parcours éducatif au travers d’un chatbot, appelée Donna, sorte de jeu vidéo capable de simuler une conversation avec un ou plusieurs humains. L’idée est d’amener chaque femme à un niveau suffisant de compréhension pour trouver le chemin émotionnel qui va lui permettre de gérer un portefeuille, en tenant compte de sa personnalité et de ses objectifs. La technologie permet d’accélérer la prise de décision. L’accès au chatbot et à la partie apprentissage comprenant du contenu éducatif, est gratuit.

Un accès interactif permettant des échanges avec la communauté ou via un support en ligne est, quant à lui, payant contre abonnement mensuel. Cet accès interactif propose un parcours ludique et anonyme. Chaque femme est libre de jouer le rôle de mentor et d’être rémunérée, grâce à des points qu’elle peut échanger contre des euros. Grâce au digital, le contact humain est préservé. Les utilisatrices reçoivent des notifications de StarTalers et la décision d’investir dans les produits et sociétés suggérés leur revient. Il est prévu de développer un vote « proxi » pour leur permettre d’exercer leur droit d’actionnaire lors des assemblées générales.

Avez-vous pu bénéficier de programmes d'aides?
Nous avons bénéficié de l’aide de l’association WIDE pour la promotion des femmes dans le secteur de l’ICT. The Office, un espace de coworking, a mis ses locaux à notre disposition et grâce à WIDE, j’ai appris à coder. Aujourd’hui, je peux prendre part aux discussions de l’équipe technique. Début mai 2018, StarTalers a remporté un prix de 50.000 euros remis lors de l’Arch Summit, un événement dédié à l’innovation et organisé par le centre d’innovation Tomorrow Street. Ce prix nous a permis de financer notre prototype et de créer la société dans des conditions sereines. Il a apporté une visibilité au projet et nous a permis de mesurer l’intérêt de l’application auprès de notre cible grâce à des tests auprès de clients potentiels

J’ai participé à des conférences dans le cadre des Entrepreneurs Days au sein de la House of Entrepreneurship de la Chambre de Commerce et j’ai suivi des formations inspirantes auprès du Business Mentoring.  Plus récemment, nous avons été sélectionnés pour prendre part au programme Fit4Start de Luxinnovation! Fit4Start s’adresse aux start-up early-stage et offre un coaching intensif de quatre mois, un hébergement au sein de l’incubateur du Technoport, ainsi qu’une prime de 50.000 euros. C’est une très bonne nouvelle pour nous !

Comment voyez-vous grandir StarTalers ?
Les statuts juridiques de Startalers ont été officialisés fin mai 2018 et nous sommes en train de préparer notre demande de licence Professionnels du secteur financier (PSF) auprès de la CSSF. Mon associé, Thierry Smets, 54 ans, spécialisé en informatique et en finances, et moi sommes très complémentaires. Dans les 12 prochains mois, nous allons faire évoluer le produit et grandir notre communauté dans nos marchés cibles : Luxembourg, France et Belgique. Le défi pour StarTalers sera d’analyser et de « nourrir » régulièrement le produit au moyen de reportings financiers et mesurer l’impact réel que les sociétés responsables génèrent. Il faut chercher la croissance avant la rentabilité. Nous n’avons pas encore de clients payants, mais nous avons enregistré  200 abonnés à notre newsletter en deux mois, dont 85% de femmes âgées en moyenne de 35 à 45 ans. Nous avons prévu d’atteindre le point mort en 2021. D’ici cinq ans, nous espérons rassembler plus d’un million d’utilisateurs - pas uniquement des femmes - et devenir la première plateforme de conseil financier pour investisseurs responsables ! Le développement de standards  en matière de développement durable pour un financement plus juste, va devenir la norme. Un objectif mercantile sans objectif social et sans utilité pour d’autres parties prenantes ne peut plus durer. Il appartient à chacun d’entre nous de changer un peu pour tout changer !  A plus long terme, et à l’exemple d’Ellevest aux Etats-Unis, pourquoi ne pas proposer des produits à la vente, destinés à soutenir une bonne cause ? Nous envisageons également d’adhérer au mouvement « B Corp » et d’obtenir ce label international accordé à des entreprises qui se fixent des objectifs sociaux ou environnementaux.

Avez-vous un message fort à transmettre ?
Le fait de travailler dans l’éthique, de créer quelque chose de nouveau et d’utile et de revenir à des choses concrètes est très rafraîchissant. Il faut rester fidèle à ses convictions et ne pas se mettre des barrières. « Il vaut toujours mieux demander pardon que demander la permission. » C’est valable dans la vie de tous les jours !

www.startalers.com


Texte : Marie-Hélène Trouillez - Photos : Laurent Antonelli/ Agence Blitz