Julie Conrad Design Studio - Créer l'utile et le beau

Start-Up
Julie Conrad entend contribuer au développement du design « made in Luxembourg » et souhaite qu’il poursuive son avancée. De la scénographie à l’ameublement, Julie Conrad Design Studio travaille sur un large éventail de projets tant pour des e

Après des études de design à Paris, Julie Conrad, 28 ans, designer luxembourgeoise, revient s’installer dans son pays pour y ouvrir son studio en août 2012. Sa première collection de meubles, Unpaper, sortie en 2015, fait beaucoup de bruit et lui permet de se faire une place dans le secteur du design luxembourgeois.

Comment êtes-vous arrivée au design ?
« J’ai grandi au Luxembourg. Mes parents sont psychologues et ma famille compte plusieurs artistes. J’ai toujours manifesté un intérêt pour le design et lamatière. Petite, je passais mon temps à dessiner et à créer toutes sortes d’objets. Dans le cadre d’une Foire de l’étudiant, j’ai eu l’occasion de rencontrer des étudiants de Créapôle, une école de création et de design à Paris. J’ai eu aussitôt l’envie d’aller étudier là-bas et c’est ce que j’ai fait. Au cours de mes études, j’ai effectué un stage de trois mois chez un bijoutier, auprès de Packard Bell et MIO, un studio spécialisé en ‘écodesign’ à Philadelphie, aux États-Unis, qui apporte une attention particulière aux matériaux, à leur transport ou leur destruction. J’ai également fait un stage chez Ferrero à Arlon, en Belgique.
Mon master en design en poche, je suis revenue au Luxembourg cinq ans après. Je reste attachée à ma famille et à mon pays, et puis la concurrence est plutôt rude à Paris. Le Luxembourg est un marché assez étroit pour le design et, en même temps, c’est un laboratoire très enrichissant. Si le bouche à oreille et les médias font qu’on peut se faire connaître rapidement, les clients n’ont pas l’habitude de faire appel à un designer, et le design ‘made in Luxembourg’ commence tout juste à décoller.
J’ai commencé à travailler sur des produits locaux, en créant des éditions limitées d’objets et de meubles et en participant à des expositions. Depuis un an, je travaille dans le design à temps plein, partageant mon temps entre le graphisme et le design produit.

Vos expériences à l’étranger ont-elles été bénéfiques ?
« Les différences de culture ont été très enrichissantes. L’échec n’est pas perçu de la même manière aux États-Unis. D’ailleurs, il n’y a pas d’échec, mais des… essais. Et ces essais sont les meilleures sources pour apprendre et rebondir ! Je l’ai appris là-bas et, assurément, cela m’a aidée à me lancer.

Quelle est votre définition du design ?
« La particularité du design est d’être omniprésent et en adéquation avec les modes de vie et les besoins des êtres humains. Il doit raconter une histoire et être à la fois fonctionnel et esthétique. Les deux sont liés. Le designer donne un sens et une émotion aux objets pour les rendre ‘malins’, multifonctionnels et surprenants grâce à l’observation, l’analyse et la technique. L’important pour moi étant toujours de faire fabriquer sur place, de la manière la plus écologique et durable possible, tout en pensant au cycle de vie du produit.

Comment vous est venue l’idée d’utiliser du Tyvek ?
« Le Tyvek est produit au Luxembourg par DuPont de Nemours. Il est léger, indéchirable et plus économique et polyvalent que le tissu. C’est un matériau synthétique non tissé, fabriqué à partir de fibres de polyéthylène. Il est donc facilement recyclable et réutilisable. On retrouve le Tyvek dans de nombreuses applications : isolation, vêtements de protection, emballages médicaux, bracelets de festivals, etc. Mes pièces fabriquées à base de Tyvek sont réalisées sur mesure. Tout est fait main et une création représente des heures de travail. Je conçois l’assemblage et le pliage. Le travail du bois, ainsi que la couture des grandes pièces sont effectués à part, dans un autre atelier.

Qui sont vos clients ?
« Mon premier client a été le Centre des arts pluriels à Ettelbruck, pour lequel j’ai réalisé les décors de scène pour l’opéra Rinaldo de Händel en 2014. Récemment, j’ai travaillé avec plusieurs entreprises comme KPMG, Brigitte et Dogwalker, et j’ai fait livrer des commandes de paravents à des particuliers et boutiques en France, comme une boutique de lingerie à Aix-en-Provence ou un cabinet de scénologie à Montpellier. J’expose en ce moment à Paris, dans le cadre de Meet My Project à la galerie du VIA - Valorisation de l’innovation dans l’ameublement, qui a pour vocation de valoriser et de promouvoir la création contemporaine dans le secteur de l’ameublement tant en France qu’à l’étranger. C’est une référence en matière de design et j’en suis très heureuse. Bien que je ne prospecte que rarement, les commandes tombent malgré tout… (Rires)

Avez-vous rencontré des difficultés ?
« J’avoue que j’éprouve des difficultés à faire des choix. J’ai des projets variés et j’hésite souvent entre ce que je veux développer en priorité : le graphisme… ou le design produit, plus compliqué, mais en même temps, c’est vraiment ce qui me plaît. Le design est ma véritable passion, mais ce n’est pas l’activité la plus rémunératrice, car il faut investir beaucoup de temps, sans savoir au préalable s’il y aura un retour. La participation à une exposition se prépare, par exemple, et les emplacements sont rarement à des prix abordables.

Avez-vous pu bénéficier d’aides ?
« L’an dernier, j’ai reçu l’aide du fonds stART-up de l’OEuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte, qui m’a aidée à rebondir après une expérience difficile au Village luxembourgeois lors du marché de Noël à Strasbourg en 2015, juste après les attentats. Les visiteurs, peu nombreux, n’étaient vraiment pas d’humeur à acheter… J’avais embauché du personnel pour me venir en aide, sans compter les frais d’hôtel, d’administration, les trajets, etc. Sans cette aide ‘stART-up’, j’aurais sans doute jeté l’éponge ! Malgré tout, je suis heureuse d’avoir pu vivre cette expérience, qui reste très présente dans ma mémoire. En tant que start-up, j’essaie de me faire un nom, mais je suis encore très fragile et le facteur chance peut jouer.

Quelle est la prochaine étape ?
« J’ai l’intention de concevoir une nouvelle collection et de me ressourcer en prenant quelques jours de vacances, pendant lesquels je vais lire, explorer les lieux et travailler aussi beaucoup. Je manque de temps et des journées de travail de 20 heures me conviendraient assez bien ! À terme, j’envisage de présenter un projet artistique sur une plateforme de crowdfunding, comme Kickstarter. J’aime ce que je fais actuellement, mais dans cinq ans, j’aspire à être plus stable financièrement, à travailler avec une petite équipe de collaborateurs, sans être forcément leur directrice, et développer l’activité de design produit en collaboration avec des éditeurs. J’adore le Grand-Duché, mon pays, et je veux rester ici, mais le grand rêve serait de créer une filiale à Paris, Milan, Strasbourg ou même encore New York. C’est important pour l’inspiration…

Auriez-vous un conseil à donner à un jeune entrepreneur qui souhaiterait se lancer ?
« J’observe souvent que les gens au Luxembourg sont à la recherche de la stabilité. C’est d’ailleurs assez difficile pour moi actuellement d’évoluer dans un entourage souvent déjà établi, avec des horaires fixes, alors que je suis en constante évolution, avec des horaires imprévisibles... C’est simple d’avoir une vie facile, mais ce n’est pas très exaltant ! Dans les autres pays, j’ai le sentiment que l’on se lance plus facilement, avec la conviction que l’on n’a rien à perdre. Une multitude de structures dynamiques fleurissent un peu partout pour les start-up, au Luxembourg et ailleurs. Il y a de la place pour tous, et il faut oser se lancer dès la sortie de l’école, sans douter de ses qualités, sans attendre d’être tenté par une vie trop confortable et sans se laisser décourager par la concurrence que l’on voit sur internet…

Quel est votre plus beau souvenir ?
« Chaque lancement de produit est un moment fort et je travaille sur mes projets jusqu’à la dernière minute. J’ai la chance de travailler sur des projets intéressants, avec des gens passionnants et passionnés et d’avoir le soutien de mes parents, de la famille et de mes amis. J’éprouve un plaisir intense à la vue des invités venus découvrir mes produits. Généralement, la réaction est bonne, ce qui me remplit de fierté. C’est un grand moment de satisfaction et de bonheur… J’espère que le développement du design ‘made in Luxembourg’ va poursuivre son avancée, que je puisse continuer à y contribuer ! »

www.julieconrad.lu

Texte : Marie-Hélène Trouillez - Photos : Laurent Antonelli / Agence Blitz