10 mesures pour augmenter la compétitivité du Luxembourg par la recherche et l’innovation

Affaires économiques

La Chambre de Commerce présente son Actualité&Tendances n°9

Christel Chatelain, attachée économique; Carlo Thelen, membre du comité de direction et « chief economist » de la Chambre de Commerce; Pierre Gramegna, directeur général de la Chambre de Commerce; Raymond Schadeck, président de la commission écon

Le développement de l’économie luxembourgeoise requiert la création de valeur ajoutée et de substance économique et industrielle, à parachever par un apport technologique et des ressources humaines hautement qualifiées, phénomènes qui sont à la base d’une dynamique qui s’auto-entretient. Or, une telle spirale vertueuse ne peut produire ses pleins effets qu’en présence d’un système efficient de soutien à la RDI qui favorise la valorisation des résultats de la recherche. Dans son neuvième bulletin économique « Actualité & tendances », la Chambre de Commerce commente et illustre le rôle fondamental que jouent la recherche-développement et l’innovation pour maintenir et assurer, à l’avenir, le bien-être de notre société dans un monde de plus en plus concurrentiel et globalisé.

Dans un contexte difficile, marqué notamment par la dégradation de la compétitivité à travers une progression insuffisante de la productivité des facteurs de production par rapport à l’évolution du coût salarial et un renchérissement des coûts de production en général, il est crucial que les entreprises nationales capitalisent sur d’autres atouts (compétitivité hors-coûts). Par le biais d’activités de recherche-développement et d’innovation (RDI), les entreprises peuvent accroître leur potentiel de croissance et la productivité de leurs facteurs de production et, dès lors, être plus compétitives sur les marchés internationaux. La compétitivité des entreprises, quant à elle, est une condition sine qua non pour une croissance économique durable et une amélioration permanente du niveau de vie, et ce grâce à un haut niveau d’emploi, des salaires attractifs et une forte cohésion sociale. Loin d’être une fin en soi, elle constitue un moyen de relever le niveau de vie, d’améliorer le bien-être et, partant, de contribuer à l’atteinte des objectifs en matière de lutte contre l’exclusion sociale et la pauvreté.

Lors du Conseil européen réuni à Lisbonne en mars 2000, les quinze Etats membres de l’époque ont lancé la stratégie dite « de Lisbonne » visant à faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde […] » en fixant notamment comme objectif d’atteindre 3% du PIB en termes de dépenses de R&D et d’innovation au sein de l’UE à l’horizon 2010, avec une contribution finale de deux tiers des dépenses de R&D provenant du secteur privé. La stratégie « Europe 2020 », commune aux 27 Etats membres et qui fait suite à une stratégie de Lisbonne qui n’a pas porté tous les fruits escomptés, souhaite que soient améliorées « les conditions de la recherche et développement (R&D), afin en particulier de porter à 3% du PIB le niveau cumulé des investissements publics et privés […] ». Conscient de l’effet positif à moyen et à long terme des investissements en matière de R&D sur le développement économique et la compétitivité, le Gouvernement a fixé comme objectif national un taux d’intensité de R&D de 2,6% du PIB. En se basant sur l’évolution de la proportion « recherche publique / recherche privée » au cours des dernières années, l’objectif d’intensité R&D de 2,6% pourra donner lieu à un partage de 1,8-1,9% (environ 70%) pour la recherche privée et 0,7-0,8% (environ 30%) pour la recherche publique.

Au Luxembourg, les efforts des différents acteurs en matière de financement de la R&D se sont fortement accrus au fil des années. Ne s’élevant qu’à 0,13% du PIB en 2000, les crédits budgétaires publics de R&D (CBPRD) atteignent 0,68% du PIB en 2010[1]. Malgré les efforts des pouvoirs publics et privés, les dépenses totales intérieures de R&D (DIRD) représentent 1,68% du PIB luxembourgeois, la moyenne de l’Europe des 27 (UE27) s’élevant à 2,01% du PIB[2]. Ainsi, l’atteinte des objectifs « Europe 2020 » suppose un investissement quantitatif accru.

Dans le cadre de sa mission de promotion des intérêts de plus de 50.000 ressortissants, la Chambre de Commerce a toujours fait de la promotion de la RDI, et de la création d’un environnement favorable aux activités afférentes, une de ses principales priorités. Dans cette lignée, le présent « Actualité & tendances » est dédié à la RDI et à la valorisation des résultats issus de la recherche.

 

La Chambre de Commerce a associé, d’une part, les acteurs publics et, d’autre part, les acteurs privés de la recherche et de l’innovation au Luxembourg à la réalisation de cet « Actualité & tendances ». Le Département Economique de la Chambre de Commerce a, en effet, mené une enquête dont les questions avaient trait à la gouvernance et aux éléments susceptibles d’améliorer le système de recherche en général[3].

De manière concrète, à travers deux questionnaires distincts, la Chambre de Commerce a pu identifier des pistes et des leviers potentiels afin de renforcer les retombées favorables de la recherche pour l’économie nationale et d’améliorer le système de recherche et d’innovation national en général. L’analyse du système d’innovation, ainsi que les éclairages apportés par les acteurs, mettent en évidence des défis auxquels le système d’innovation luxembourgeois est confronté et permettent de soulever toute une série de questions. Les faits saillants et les 10 recommandations décrites ci-après sont généraux et largement partagés, sans préjudice aux opinions individuellement exprimées par lesdits acteurs publics et privés.

Les faits saillants et les principales recommandations de la Chambre de Commerce

1. Clarifier le rôle des acteurs publics de la RDI en vue d’une gouvernance optimisée

Il s’agit de viser une meilleure interactivité et une spécialisation accrue des principaux acteurs du secteur public afin d’éviter une concurrence entre ces derniers en termes de moyens budgétaires.

2. Accroître l’efficience du soutien public à la RDI en définissant des projets prioritaires

Le fait de cibler un nombre optimal de projets prioritaires de pointe, présentant un potentiel important pour le pays, et d’y concentrer des moyens de financement importants, permettraient d’instaurer rapidement des niches de compétences et des niches sectorielles, qui viendront compléter les niches de souveraineté qui sous-tendent aujourd’hui, dans une large mesure, au modèle économique luxembourgeois.

3. Inciter les PME et les entreprises des services à exploiter l’intégralité de leur potentiel en matière d’activités de RDI

Il est essentiel que l’implémentation des aides financières de l’Etat en matière de RDI se fasse de manière simple, non bureaucratique et rapide, en prenant dûment en compte les prémisses de la simplification administrative. Luxinnovation, l’Agence nationale pour la promotion de l’innovation et de la recherche, est l’interlocuteur privilégié pour les entreprises dans ce contexte.

4. Réaliser des synergies au moyen de regroupements d’entreprises au sein de grappes ou de clusters, nationaux, régionaux ou internationaux

Les initiatives publiques doivent favoriser le développement de clusters et de projets conjoints au sein de la Grande Région, celle-ci étant considérée par de nombreuses entreprises luxembourgeoises comme constituant leur « marché naturel », plutôt que le seul territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

5. Accroître la participation des entreprises luxembourgeoises aux programmes de recherche européens

Il convient d'encourager les entreprises à participer aux programmes de recherche européens par une diffusion encore plus importante des informations y relatives et grâce à un soutien, notamment administratif et logistique, offert aux entreprises souhaitant y participer.

6. Promouvoir les stratégies d’internationalisation et les coopérations avec l’étranger

Une participation accrue aux missions économiques à l’étranger permettrait aux entreprises et aux acteurs de la recherche d’aller à la rencontre d’éventuels partenaires et de débouchés.

7. Maximiser la valorisation[4] des résultats de la recherche afin d’accroître les retombées concrètes pour l’économie luxembourgeoise

- Accorder une attention accrue à la protection des résultats de la recherche : Le Luxembourg dispose d’un cadre attrayant dans le domaine de la protection de la propriété intellectuelle (cf. loi du 21 décembre 2007[5]), ce qui doit encourager les entreprises luxembourgeoises à en profiter.

- Développer des projets de recherche scientifique en ligne avec les attentes des entreprises : Les projets de recherche scientifique doivent concorder avec les attentes actuelles et futures des entrepreneurs du secteur privé, évitant ainsi les dérives d’une recherche trop académique, sans objectif concret de valorisation socio-économique subséquente des résultats.

- Développer et soutenir la collaboration entre les acteurs : Il faut assurer la mise en relation des équipes de recherche avec le monde économique, social et institutionnel.

La Chambre de Commerce estime, par ailleurs, qu’évaluer les résultats en termes de valorisation n’est pas aisé, mais primordial. Elle propose d’implémenter, voire d’optimiser les instruments concernés à travers des structures telles que Luxinnovation, le Fonds National de la Recherche, l’Université de Luxembourg, et ceci en étroite collaboration avec les Centres de Recherche publics.

8. Développer des niches de compétences en valorisant le capital humain

Afin de créer une véritable culture scientifique et de développer une économie de la connaissance au Luxembourg, la Chambre de Commerce préconise des formations directement ciblées vers les besoins des entreprises. La « Luxembourg School for Commerce » (LSC) constitue notamment une structure appropriée pour offrir de telles formations, en collaboration avec des partenaires nationaux (centres de recherche publics, ...) et internationaux.

9. Faciliter l’embauche de chercheurs luxembourgeois et étrangers

Dans ce contexte a été publiée, le 31 décembre 2010, par l'Administration des contributions directes, la circulaire numéro 95/2 ayant pour objet « l'encadrement fiscal des dépenses et charges en relation avec l'embauchage sur le marché international des salariés hautement qualifiés et spécialisés » qui pose un cadre plus favorable pour le recrutement desdits salariés, ce qui est salué par la Chambre de Commerce.

10. Eviter de diaboliser les échecs en matière de projets de recherche

Il s’agit d’accepter le fait que seul un nombre limité de projets de recherche arriveront à terme et porteront leurs fruits. Ainsi, l’échec ne doit pas être diabolisé et les retombées futures des projets de recherche d’aujourd’hui sont, par définition, incertaines.

A travers ces dix recommandations, largement inspirées du dépouillement des questionnaires, la Chambre de Commerce souhaite susciter la discussion avec les différents partenaires concernés, en vue d’opérer, à terme, des ajustements et, dans certains domaines, une réorientation du système d’innovation national. De manière générale, la Chambre de Commerce constate avec satisfaction que de nombreuses initiatives récentes, opérées tant par les autorités gouvernementales compétentes que par les acteurs privés, vont dans la bonne direction et devraient, à terme, porter leurs fruits et générer de la valeur ajoutée et de la substance économique et industrielle.



[1] Source : Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

[2] Source : Eurostat.

[3] Concernant la représentativité des résultats, la Chambre de Commerce ne prétend aucunement à l’exhaustivité de son enquête. Des entreprises et institutions jouant un rôle important dans le domaine de la recherche et de l’innovation ont été retenues dans l’échantillon des organismes destinataires du questionnaire (10 acteurs publics et 18 acteurs privés). L’ensemble des acteurs publics de la recherche au Luxembourg choisis ont pu être consultés, grâce au questionnaire soumis ou lors de rencontres, individuelles ou collectives et 10 acteurs privés actifs en matière de RDI ont transmis leurs commentaires au Département Economique.

[4] La valorisation peut être définie comme l’ensemble des actions et activités ayant pour but d’augmenter la valeur des résultats de la recherche et, plus généralement, de mettre en valeur les connaissances. Il s’agit des moyens utilisés pour adapter les connaissances, les résultats et les capacités des laboratoires de R&D au monde socio-économique.

[5] (Mémorial A, n°234, 27 décembre 2007, p.3949).