Brasserie Simon - 200 ans, 5 générations

Success stories
Betty Fontaine, Gérante, Brasserie Simon Certains éléments de la chaîne de production ont fait l’objet de rénovations importantes voire de nouvelles constructions. Ici, l’unité de soutirage (01) et la nouvelle cave de fermentation (02 et 03).

La Brasserie Simon a été fondée à Wiltz en 1824 par Georges Pauly et a ensuite été transmise de génération en génération jusqu’à Betty Fontaine, entrée dans la société en 2003 pour succéder à son père Jacques Fontaine en 2008. Elle est actionnaire unique depuis 2017. La brasserie a toujours su garder son ancrage régional fort dans le nord du pays. Dix bières, vendues sous trois marques différentes, y sont produites selon des techniques fidèles à la tradition brassicole artisanale.

Quel a été votre parcours avant d’entrer à la brasserie ?
J’ai fait des études d’ingénieur civil et d’électromécanicien dans l’idée de travailler dans l’aéronautique. En cours de route, je me suis réorientée vers le génie mécanique. À la fin de mes études, je suis entrée dans l’entreprise familiale pour avoir une première expérience professionnelle et en ne pensant pas du tout y rester. Cela fait 18 ans, et je suis toujours là. Les premières années, je devais tout apprendre ; alors j’ai beaucoup suivi et observé mon père. Après deux ans, j’étais beaucoup plus opérationnelle, mais il m’a fallu encore quelque temps avant d’être tout à fait confortable dans mon rôle de personne destinée à reprendre les rênes. Je suis devenue gérante en 2006 et mon père a quitté l’entreprise en 2010. Il y a quatre ans, j’ai racheté les parts afin de devenir actionnaire unique.

Qu’est-ce qui vous a décidée à rester dans l’entreprise familiale alors que ce n’était pas votre projet initial ?
J’ai commencé à prendre beaucoup de plaisir quand je me suis orientée sur le volet commercial. Paradoxalement, ce domaine me faisait peur, mais quand je m’y suis essayée, je me suis rendu compte que cela me plaisait beaucoup et que les clients appréciaient mon contact. Au fil du temps, j’avais aussi créé un lien très fort avec l’entreprise et j’avais le sentiment d’avoir trouvé ma voie.

Comment percevez-vous la longue histoire de l’entreprise ?
Ça a un côté très rassurant de voir tout ce qui a été construit avant moi et de voir que chacun de mes prédécesseurs est resté longtemps à la tête de l’entreprise. Leur exemple montre qu’ils ont tous vécu des hauts et des bas et qu’ils ont su surmonter certaines situations difficiles. Je peux donc me référer à cette longue histoire pour dépasser mes propres difficultés. D’un autre côté, il y a aussi de la pression, car après cette longue lignée, je n’ai pas envie d’être celle qui fera que l’histoire s’arrête.

Comment voyez-vous votre rôle aujourd’hui dans l’entreprise ?
Il est assez large, mais je m’occupe peu de l’organisation quotidienne. Je suis plus dans la stratégie de développement. Pour reprendre une expression empruntée à Michelle Detaille, « c’est moi qui mets la mayonnaise », autrement dit, la cohérence  dans l’organisation. Je fais aussi en sorte que nous ne nous exposions pas à des risques non maîtrisables et c’est moi qui dois prendre les décisions en cas de problèmes. Heureusement, je ne suis pas seule pour cela. Je suis secondée au quotidien par Pierre Forthomme qui est arrivé deux ans après moi et avec qui je peux échanger sur tous les sujets concernant l’entreprise. Je peux aussi compter sur Alex Baltes pour m’épauler sur la partie production et sur Marc Theis, technico-commercial expérimenté.

À quoi ressemblent vos journées ?
Mes journées sont assez variées, mais en principe, chaque matin, je viens sur le site, je traite mes e-mails et je traite quelques dossiers comme les offres commerciales par exemple, mais surtout je suis disponible et à l’écoute de l’équipe. J’aime bien être sur place pour entendre, voir et être en prise directe avec l’activité. Les après-midis sont davantage consacrés aux rendez-vous avec des clients, principalement du secteur de l’HoReCa, mais aussi du monde associatif ou certaines communes. En ce moment, les affaires sont plus calmes, mais je rencontre quand même des clients, ou je participe à diverses réunions avec d’autres partenaires.

De quoi êtes-vous la plus fière ?
Je suis fière de la continuité. Cela fait 18 ans que je suis dans l’entreprise et il y a toujours de nouvelles perspectives, même si à court terme les choses sont plus difficiles. Nous avons beaucoup de projets pour transformer l’outil de production. La brasserie est en train de se moderniser, même si elle garde son charme artisanal et surtout sa taille humaine. Les processus de fabrication sont anciens, mais les machines sont de plus en plus modernes. Et cela s’inscrit dans une continuité d’investissements et de modernisation. Mon père avait renouvelé toute l’unité de soutirage (mise en bouteille NDLR). Le dernier gros chantier date de 2015 avec la construction d’une nouvelle cave de fermentation. Nous avons construit un nouveau hall de stockage et acheté de nouveaux camions. Et puis il y a tous les projets de lancement de nouveaux produits et d’élargissement de la gamme. C’est un processus continu d’innovation.

Qu’est-ce qui est le plus difficile ?
Je suis l’unique actionnaire depuis 2017, donc toute la responsabilité de l’avenir de l’entreprise repose sur mes épaules, y compris les aspects légaux, financiers, etc. C’est cela qui me travaille le plus. C’est une sorte d’angoisse qui m’accompagne quotidiennement, mais qui me pousse et m’encourage également à aller toujours de l’avant. C’est un stress positif en quelque sorte.

Dans une précédente interview, vous parliez du confort qu’apporte l’expérience. Est-ce que cela vous a servi lors de l’irruption de la crise Covid ?
Sans aucun doute. Ce n’est en effet pas la première crise que je traverse. A mon arrivée, les premières années ont été très difficiles. Les ventes reculaient. L’entreprise s’était comme endormie. Il y avait plus de concurrence, de nouvelles habitudes de consommation et la brasserie souffrait d’une image vieillissante. Il a fallu tout remettre à plat. Aujourd’hui, même si la crise que nous vivons est totalement inédite, mon expérience passée m’apporte une certaine sagesse qui me permet de ne pas réagir trop émotionnellement et avec plus de recul.
Cette crise-ci ne demande évidemment pas les mêmes décisions que les autres crises du passé, mais l’expérience d’avoir su surmonter d’autres périodes difficiles me rassure un peu.

Quel est l’impact de la crise actuelle sur l’activité ?
Avec la fermeture des bars et des restaurants et avec la diminution drastique des rassemblements et des fêtes, l’année 2020 s’est conclue sur une baisse de 25%. 2021 démarre avec une baisse encore plus marquée, de l’ordre de -35 à - 40%. Heureusement, la grande distribution a un peu augmenté ses
commandes, mais cela ne suffit pas à compenser les pertes de chiffre d’affaires du secteur de l’HoReCa. En 2020, j’avais hâte que l’année se termine et d’arriver en 2021, mais maintenant que nous y sommes, je croise les doigts et me dis que si l’on s’en sort comme en 2020, ce ne sera déjà pas si mal. C’est surtout le secteur de l’événementiel qui m’inquiète car les événements s’organisent longtemps à l’avance et pour le moment personne n’ose rien prévoir. Il y aura donc une certaine inertie avant la reprise. En conséquence de tout cela, pour le moment, nous faisons le dos rond. Heureusement, nous n’en sommes pas à envisager des licenciements mais nous ne remplaçons pas les personnes parties. La fabrication n’est jamais totalement à l’arrêt car le processus complet de production de la bière dure 6 semaines. Cependant, nous faisons des pauses entre deux brassages. Nos stocks sont pleins, il n’est pas nécessaire de produire autant qu’en temps normal.

Est-ce un avantage ou un inconvénient d’être une petite brasserie face à de grands acteurs nationaux et internationaux ?
Nous sommes 7 à 8 fois plus petits que les deux grands brasseurs du Luxembourg. Nous avons moins de moyens qu’eux donc moins de force de frappe. Par exemple, nous ne pouvons pas nous permettre de faire des promotions avec des produits gratuits offerts pour une certaine quantité achetée. Nous préférons offrir des réductions ou des cadeaux. Malgré tout, les promotions sont indispensables pour que nos produits soient bien placés en magasin. Il faut en faire pour rester visibles. D’une manière générale, le métier de brasseur est extrêmement difficile et concurrencé, non seulement par les autres bières, mais aussi par toutes les autres boissons. Et le fait d’être une brasserie presque bicentenaire ne nous met pas à l’abri. En revanche, notre dimension humaine est appréciée aussi bien en interne qu’à l’extérieur. Nous avons aussi plus de flexibilité. Nous sommes les seuls à produire 100% de nos bières sur le territoire national. Les autres acteurs ont parfois des gammes plus larges mais certaines de leurs bières sont produites ailleurs. Nous avons cette fierté d’être 100% luxembourgeois et de créer de la richesse locale.

Pouvez-vous nous parler de la dynamique régionale dans laquelle s’inscrit l’entreprise ?
Nous essayons de nous fournir en matières premières autour de nous. Par exemple, les céréales qui entrent dans la composition de nos différentes bières, l’épeautre, le sarrasin, le seigle bio, le chanvre ou encore le froment bio pour l’Okult blanche etc, viennent toutes de fermes locales ou situées près d’Heinerscheid où nous avons un second site de production, racheté à une petite brasserie en 2006. C’est le marché local qui nous permet de vivre car nous réalisons 99% de nos ventes au Luxembourg. Acheter nos matières premières localement est notre manière de rendre au pays ce qu’il nous donne.

Quels sont les premiers résultats des bières que vous avez lancées en 2020 ?
Nous avons lancé trois nouveaux produits en pleine crise Covid. La bière 0.0 sans alcool, la 0.0 au citron vert et gingembre et la grappe ale, brassée au moût de raisin, ajouté lors de la fermentation. Ce produit est assez particulier. Nous l’avons mis au point avec les vignerons Kox (Domaine L&R Kox) dont l’entreprise familiale est reprise actuellement par une jeune femme - Corinne - de la nouvelle génération. C’est un produit qui ne s’adresse ni aux buveurs de vin qui n’aiment pas la bière, ni aux buveurs de bière traditionnelle, mais c’est un produit qui a trouvé son marché. Pour la première cuvée nous n’avions produit que 1 000 litres et, vu le succès, nous avons doublé les quantités pour la deuxième. Tout cela sans publicité, mais avec le partenariat de certaines enseignes de distribution qui soutiennent les produits locaux. Nous ne faisons jamais de campagnes de publicité pour les nouveaux produits. Nous les mettons en rayon chez les distributeurs et nous voyons si les produits plaisent. Cela nous évite de supporter des coûts exceptionnels et permet d’assumer plus facilement un « flop » éventuel. C’est aussi en partie pour limiter les coûts que les étiquettes des bières sont toutes simples et toutes sur le même principe graphique. Nos trois nouveaux produits de 2020 marchent plutôt bien. Nos clients sont fidèles à la marque ; ils y sont attachés. La Pils reste notre produit phare, mais diversifier la gamme est important pour moderniser notre image et montrer que l’art brassicole est évolutif.

www.brasseriesimon.lu

TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize