Domaine Claude Bentz / Studio Jil Bentz - Au tour du vin

Start-Up
Carole Bentz (à d.) Domaine Claude Bentz, Jil Bentz Founder, Studio Jil Bentz Les terres du Domaine Claude Bentz, situé à Remich, sont entrées dans la famille en 1933. La maquette du futur bâtiment dessiné par Jil Bentz est exposée dans le hall

Carole et Jil sont deux soeurs ambitieuses et un brin aventureuses. Elles sont issues de la quatrième génération du Domaine Claude Bentz fondé par leur arrière-grand-père, Joseph Bentz. L’une est architecte, l’autre est économiste avec une passion pour le vin et reprend la gestion du domaine. Les deux jeunes femmes ont mêlé leurs compétences pour transformer l’héritage familial en un centre oenotouristique et multifonctionnel, avec la volonté de conceptualiser un lieu fédérateur oeuvrant en faveur d’une valorisation des produits et du patrimoine viticole. De belles découvertes attendent les visiteurs…

Parlez-nous du Domaine Claude Bentz. Quelle est son histoire ?
Carole Bentz : Le Domaine Claude Bentz a une longue histoire, puisque les terres sont entrées dans la famille en 1933. Au fil des années, le domaine viticole familial, situé à Remich, s’est agrandi. Aujourd’hui, il représente une superficie de 16,50 hectares répartis sur les plus belles parcelles de la vallée de la Moselle luxembourgeoise. Le vignoble est actuellement géré par notre père, Claude Bentz, et moi-même, membres de la troisième et de la quatrième génération d'une famille de vignerons. En 1986 il a construit la cave moderne que nous connaissons aujourd’hui. Le domaine se distingue par la qualité de ses produits et son savoir-faire traditionnel. Une grande variété de cépages nobles tels que le Riesling, le Pinot Gris, l'Auxerrois, le Pinot Blanc et le Gewürztraminer, sont cultivés depuis bientôt 30 ans. En 1993, notre père a également été le premier vigneron indépendant du Luxembourg à adopter un système de régulation de la température assisté par ordinateur. Le contrôle précis et continu de la température pendant la fermentation contribue à l'efficacité de la production et à la qualité des vins. Gage de qualité, le Domaine Claude Bentz est devenu fournisseur de la Cour du Grand-Duché de Luxembourg en 2001.

Quelles évolutions majeures avez-vous constatées sur le marché du vin luxembourgeois ?
C. B. : Les habitudes de consommation ont évolué. Ce qui était vrai hier n'est plus vrai aujourd'hui. La nouvelle génération n’est plus fidèle uniquement à son vigneron, mais aime voir une certaine liberté pour rechercher des vins par ses propres moyens et comparer les prix en ligne. L’offre est plus riche et nous devons faire face à la concurrence des vins étrangers. Il est indispensable de nous adapter à
ces nouvelles règles.

Être une femme à la tête d'un domaine viticole constitue-t-il un avantage à vos yeux ?
C. B. : J’ai repris la direction du Domaine Claude Bentz depuis assez peu de temps. Je suis la seule vigneronne au sein du « Comité de l’Organisation Professionnelle des Vignerons indépendants » constitué de treize personnes, mais je suis écoutée et j’ai été tout de suite bien acceptée.

Jil, vous avez terminé vos études d’architecture en 2014. Aujourd’hui, vous avez créé votre propre cabinet d’architecte et vous vous lancez dans la construction d’un bâtiment conséquent sur le domaine familial. Pourquoi ce choix ?
Jil Bentz : J’ai terminé mon master en architecture en 2014 à Berlin. Jusque 2016, j’ai travaillé à Berlin pour Sauerbruch Hutton, un cabinet international d'architecture, d'urbanisme et de design qui emploie 80 personnes. Depuis mon premier stage auprès de Valentiny hvp architecs au Luxembourg, je souhaite travailler à mon propre compte, mais il est nécessaire d’acquérir une certaine expérience avant d’exercer en tant qu’entrepreneur indépendant. Sur les conseils de mon employeur et ancien directeur d’études, Matthias Sauerbruch, je suis partie faire un cycle postgraduate auprès de l’université de Columbia, à New York, de 2016 à 2017. Je travaillais en tant qu’assistante de la chaire du professeur Kersten Geers et pouvais simultanément me préparer à devenir indépendante. En décembre 2017, nous avons discuté en famille d’un projet d’architecture insufflé par mon père, ce qui a précipité mon transfert à l’école polytechnique fédérale de Lausanne et mon retour à Luxembourg. L’idée était de construire un bâtiment destiné à ouvrir le domaine au public. Il nous paraissait important à tous de développer l’événementiel et de communiquer autrement pour étendre la notoriété des vins du Domaine Claude Bentz. Pour tout ce qui touche à l’exploitation familiale, nous avons toujours pris nos décisions en famille. Chacun partage ses idées et quand nous sommes tous d’accord, les plans sont mis à exécution. Mon père manifeste un grand intérêt pour l’architecture et il a aussi une grande expérience, avec la construction de deux bâtiments à son actif. Je suis reconnaissante de la possibilité de travailler avec un tel maître d’ouvrage qui m’a donné carte blanche sur toutes les décisions techniques et créatives. Au fil de nos échanges et après quelques recherches approfondies, l’idée d’un troisième bâtiment a fait son chemin. Son ébauche a subi des évolutions importantes à mesure que l’idée de départ devenait plus précise. Deux ans plus tard, en décembre 2019, la décision de le construire a fait l’unanimité et les travaux ont commencé.
Au niveau de l’architecture, j’ai gardé une certaine continuité entre l’existant et le nouveau bâtiment, afin que les deux édifices se marient bien. Le style du bâtiment existant est vernaculaire et offre un point de départ à une exploration avantageuse. Le nouveau bâtiment comporte deux étages et sa hauteur ne dépasse pas celle de l’ancien édifice. La toiture en dents de scie réinterprète la toiture de la cave existante et son revêtement en aluminium donne l’illusion d’une couronne enveloppant l’édifice. Tout est conçu pour attirer le regard et ne pas laisser indifférent. Mon plus grand défi a été de m’adapter à l’étroitesse du terrain et d’en faire mon atout. Le bâtiment s’étend sur 75 mètres de long, sans que les visiteurs ne se sentent à l’étroit. Je me suis inspirée de l’architecture baroque pour créer une enfilade de plusieurs salles reliées entre elles pour rendre le parcours singulier. La bâtisse s’ouvre sur une vinothèque qui fera également office de show-room et pourra servir de salle d’accueil et, par temps pluvieux, de salle pour un apéritif, par exemple. La bâtisse se termine par une grande salle à verrière qui donne sur le jardin d'un hectare. Le fait de créer un bâtiment qui sera utilisé par d’autres est très gratifiant. Cette première réalisation représente pour moi l’opportunité de me constituer une base solide pour l’avenir de mon cabinet, sachant que je mène deux nouveaux projets en parallèle. Je suis également fière de contribuer au développement et à la mise en valeur du patrimoine familial. J’ai d’ailleurs prévu d’installer mon cabinet d’architecte au-dessus de la vinothèque, au sein du domaine.

Carole, votre engagement de viticultrice va au-delà de la simple production de vins. Vous cherchez et expérimentez d’autres pistes pour développer l’événementiel. Qu’est-ce qui vous pousse à entreprendre cette démarche ?
C. B. : La demande des consommateurs se faisait de plus en plus pressante. Les clients nous demandaient pourquoi nous n’organisions pas de fêtes de mariage, pourquoi ils ne pouvaient pas profiter du domaine et surtout du jardin, à un autre moment que pendant les deux Portes Ouvertes annuelles, etc. L’événementiel est un vecteur de fidélisation efficace. Au-delà d’une simple dégustation et d’un potentiel acte d’achat, un événement est avant tout l’occasion de rencontrer et de mieux connaitre nos clients et de créer un lien fort au-delà d’une simple expérience d’achat. Nous souhaitons vendre une expérience unique autour du vin.

Quel est l'impact du Covid-19 sur votre activité ?
C. B. : Les dégustations du nouveau millésime qui ont lieu chaque année en mai et en septembre au domaine, ont dû être organisées avec un nombre limité de personnes. Ces dégustations sont gratuites et ouvertes à tous. C’est une opportunité pour nous d’enregistrer des commandes, d’accueillir de nouveaux clients et de faire connaitre nos produits, comme notre premier Crémant Brut lancé en automne 2020. Nous avons constaté, avec plaisir, que la crise sanitaire et le confinement mis en place pour contrer la propagation du virus ont été de puissants révélateurs d’une grande solidarité. Les consommateurs ont été nombreux à soutenir l’économie nationale en achetant des produits locaux de qualité. Nous avons pris part avec succès à l’initiative Letzshop, la plateforme qui permet de commander en ligne des produits auprès de commerçants locaux. Comme beaucoup d’autres, nous avons dû faire face à la dure réalité et nous devons notre salut à la clientèle privée.

Quels sont vos projets et souhaitez-vous garder une clientèle « locale » ou comptez-vous attirer de nouveaux clients de l’autre côté de la frontière et à l’international ?
C. B. : Le nouveau bâtiment pourra abriter de nombreux événements que nous avons l’intention de développer, en espérant que la crise sanitaire cessera un jour de jouer les trouble-fête. Nous organiserons des Portes Ouvertes plus fréquentes et une grande variété de manifestations autour du vin, comme des cours d’oenologie ou des soirées dégustation autour d’un repas pour lesquels nous travaillerons en collaboration avec des traiteurs. Nous souhaitons également développer les spectacles, fêtes privées, soirées thématiques, mariages et anniversaires au domaine. La clientèle sera locale, pour commencer, mais bien entendu nous envisageons de développer l’exportation et d’organiser des visites de notre terroir viticole. L’idée est de travailler aussi en collaboration avec des agences de voyage qui pourraient proposer une visite du domaine avec dégustation et repas sur place. Nous devons aussi développer les médias sociaux et penser à un dispositif pour assurer des retombées positives, comme des posts sponsorisés permettant de créer une communauté et développer la notoriété en amont et en aval des évènements. Nous avons prévu de participer à la Fête des Vins et Crémants au Luxembourg, alors que jusqu’à présent nous n’avions jamais pris part à des foires. Pour répondre à nos ambitions à l’international, nous aimerions nous joindre également pour la première fois de notre histoire, à la ProWein, en Allemagne. Il s’agit du salon le plus important pour le commerce de vins et de spiritueux à l’échelle mondiale.

Avez-vous bénéficié de programmes d’aide à la création d’entreprises ?
C. B. : J’ai participé au programme Go Digital de la Chambre de Commerce et j’ai été éligible pour recevoir une aide de 5.000 euros et les conseils d’une agence accréditée pour développer une campagne digitale sur les réseaux sociaux.

Où vous voyez-vous dans quelques années ?
C. B. : J’espère pouvoir transmettre ma passion pour le vin et pour le métier à mes deux fils et un jour peut-être, la cinquième génération sera aux commandes du domaine familial !

Carole, si vous étiez un vin ? Et quel plat pour l'accompagner ?
C. B. : Je serais un Auxerrois pour ses notes fruitées et florales avec une légère acidité. C’est un cépage noble et rare, que l’on retrouve essentiellement au Luxembourg, en Alsace et un peu en Allemagne. J’aime ce vin pour accompagner des asperges, certains plats chinois et parfois, un plateau de fromages.

Jil, si vous étiez un matériau ? Lequel et pourquoi
J. B. : Je serais une pierre. Elles sont d’une grande diversité de formes, de couleurs et de tailles. La pierre est à la fois durable et évolutive. Elle fait partie des premiers matériaux de construction utilisés par l’homme. De nombreux bâtiments en pierre construits il y a plusieurs millénaires sont encore en fonction aujourd’hui. Matériau naturel par excellence, abondant, la pierre offre aux bâtisseurs un grand nombre de possibilités.

www.bentz.lu

TEXTE Marie-Hélène Trouillez - PHOTOS Matthieu Freund-Priacel/ Primatt Photography