L'assainissement budgétaire hypothéqué par le report des inévitables réformes structurelles

Affaires économiques

Budget de l'Etat 2011

De g. à dr.: M. Carlo Thelen, membre du comité de direction et "chief economist" de la Chambre de Commerce, M. Pierre Gramegna, directeur général, M. Marc Wagener, conseiller économique

A l’occasion du dépôt du projet de loi n°6200 concernant le budget des recettes et des dépenses de l’Etat pour l’exercice 2011, ce dernier a été présenté comme étant un « important effort collectif pour préparer l’avenir du pays » et un « premier pas pour sortir de la crise et pour rétablir l’équilibre budgétaires1 ». Or, après l’avoir analysé, la Chambre de Commerce constate que celui-ci ne comporte guère de mesures d’assainissement structurelles et ne prévoit pas non plus de réformes d’envergure qui auraient un effet positif sur la consolidation à long terme des finances publiques2typo3/.

Les mesures proposées par les autorités gouvernementales pour équilibrer les finances publiques d’ici 2014 sont trop timides. Alors que le projet de budget présuppose la matérialisation concomitante de plusieurs circonstances favorables - redressement conjoncturel, rendement fiscal sensiblement revu à la hausse, évolution économique favorable malgré des hausses fiscales nuisant à l’attractivité du site luxembourgeois et des baisses des investissements - il reste muet sur un grand nombre d’interrogations fondamentales.

La Chambre de Commerce reste ainsi en attente de vraies mesures en faveur de la compétitivité des entreprises, du « Standort Lëtzebuerg » et de la maîtrise des dépenses publiques. A l’instar du « Paquet fiscal » proposé par le projet de loi n°6166 et du « Paquet de transition » proposé par le projet de loi budgétaire, les entreprises auraient besoin d’urgence d’un « Paquet compétitivité », leur fournissant une bouffée d’oxygène sous forme de mesures d’amélioration concrètes. L’accord technique du 30 octobre 2010 entre le Gouvernement et les représentants des employeurs ne comporte pas de solution structurelle à cet égard.

La Chambre de Commerce propose, dans le cadre de son avis budgétaire, un ensemble de grandes pistes dûment commentées et documentées s’articulant notamment autour des principaux vecteurs suivants :

  1. Pour une meilleure maîtrise des dépenses courantes : norme de progression des dépenses courantes; objectifs ambitieux de réduction des frais de fonctionnement; limite légal d’endettement à 30% du PIB et nouvelle architecture budgétaire axée sur la définition de missions, de programmes, d’objectifs et d’indicateurs de performance. Nécessité de maintenir l’inflation à un niveau bas, afin de limiter l’impact nocif de l’indexation automatique sur l’économie luxembourgeoise et les finances publiques (à travers la hausse des coûts salariaux, des tarifs publics, …).
  2. Pour une redéfinition de la politique de l’inclusion sociale : nécessité de maintenir le salaire social minimum et les coûts salariaux à un niveau raisonnable. A défaut, il y a destruction d’emplois et augmentation du taux de chômage. Il faut un recours croissant à la sélectivité sociale autour du critère du revenu médian.
  3. Pour une politique d’investissements publics visant l’exécution intégrale du programme d’investissements au meilleur rapport coût-opportunité : distinction entre le «nécessaire» et l’«utile» pour chaque investissement ; standardisation systématique des infrastructures; simplification des procédures de planification ; limitation des coûts de gestion, d’exploitation et d’entretien des infrastructures publiques.
  4. Pour une radiographie des subsides en matière environnementale, couplée à une meilleure maîtrise des dépenses afférentes : tendre vers un changement de paradigme en matière d’incitation fiscale.
  5. Pour une politique en matière d’Aide Publique au Développement (APD) financièrement soutenable et intégrant le vecteur de la protection de l’environnement (à travers une prise en compte optimisée du mécanisme de développement propre).

L'assainissement budgétaire doit passer par une maîtrise des dépenses courantes...

Un problème structurel aisément appréhendable au niveau de l’Administration centrale est l’augmentation tendanciellement plus rapide des dépenses que des recettes. Il en ressort un « effet ciseaux » marqué ainsi qu’une impossibilité, si cette tendance n’est pas inversée, de résorber le déficit structurel y résultant. Il en découle également une réduction des marges de manœuvre budgétaires, une augmentation du recours à l’emprunt et donc à l’endettement, une nouvelle réduction de la force de frappe budgétaire, et ainsi de suite. En synthèse, il s’agit d’un cercle vicieux qui risque de prendre la place de l’historique « spirale vertueuse » du modèle socio-économique luxembourgeois, basée sur une croissance économique et de l’emploi dynamique, largement supérieure à celle des autres pays europées.

En quatre ans (fin 2005 à fin 2009), les dépenses budgétaires courantes luxembourgeoises accusent une progression de 30,9%, contre 8,8% en Allemagne, 16,1% en France et 21,0% en Belgique (source : Eurostat). Une telle évolution galopante a non seulement engendré des déficits quasi systématiques de l’Administration centrale, mais provoqué une alimentation insuffisante des fonds d’investissements de l’Etat, dont les réserves fondent à un rythme soutenu.

En outre, alors que, lors du dépôt du projet budgétaire à la Chambre des Députés, le Ministre des Finances avait annoncé une réduction de l’ordre de 3,7% des frais de fonctionnement (hors personnel) au niveau de l’Administration centrale, force est de constater que, dans le giron de l’Etat central au sens strict, certaines dépenses courantes continueront d’augmenter sensiblement en 20113typo3/.

... cette maîtrise étant à implémenter à travers une norme de progression des dépenses et une limite légale d'endettement.

La Chambre de Commerce recommande l’introduction d’une norme de progression des dépenses budgétaires courantes, en ligne avec le taux de progression moyen de la zone euro. En aucun cas, la prétendue « rigidité budgétaire » ne décharge les autorités gouvernementales de contribuer de manière volontariste à l’effort d’assainissement budgétaire et à la résorption du déficit structurel de l’Administration centrale. Une telle norme aurait conduit à un potentiel d’économies au niveau des dépenses courantes de l’ordre de 1,4 milliards EUR sur une période de 4 ans (2006 à 2009), montant équivalent au déficit de l’Administration centrale projeté pour 2011.

La Chambre de Commerce soutient par ailleurs tout engagement ferme, à travers une disposition légale, visant à contenir la dette publique largement en-deçà de la limite européenne des 60% par rapport au PIB. A cet égard, le ratio de 30%, indiqué de manière officieuse par les autorités gouvernementales comme étant le seuil à ne pas dépasser, devrait se voir investir d’un caractère légal.

Fonds d'investissements : faiblesse croissante de cet outil

Outre le relatif manque de transparence au niveau de l’exécution budgétaire sur le versant des dépenses d’investissements, en trois ans seulement (2007-2009), quelque 515 millions EUR budgétisés au titre des principaux fonds d’investissements de l’Etat4typo3/ n’ont pas fait l’objet de dépenses réelles, ce qui représente environ 1,3% du PIB. Le taux d’exécution afférent a été particulièrement faible en 2009 (76,6%), pourtant l’année de crise par excellence. Concernant les réserves des fonds spéciaux, on observe depuis plusieurs années que les dépenses annuelles dépassent, en règle générale, les alimentations annuelles, ce qui se traduit mécaniquement par une diminution des avoirs nets en fin d’année.

Dans le contexte de la politique d’investissements, et au vu de la dégradation continue des réserves des fonds spéciaux et du manque de maîtrise des dépenses courantes, la Chambre de Commerce s’interroge notamment sur la capacité de l’Etat de pouvoir poser les bons jalons en matière d’investissements publics à moyen terme. Une véritable politique de reconstitution des réserves des fonds spéciaux nécessite que le Gouvernement se donne les marges de manœuvre financières adéquates. Cela passe par la réduction substantielle du rythme de progression des dépenses courantes, afin de transférer une partie plus importante des recettes de l’Etat au budget en capital.

Une bombe à retardement à désamorcer par l'Administration de la sécurité sociale

L’évolution économique en moyenne très favorable au cours des 20 dernières années et fortement créatrice d’emplois nouveaux a notamment généré des recettes exceptionnelles au niveau du système d’assurance-pension. Il en ressort un important décalage entre les « nouveaux cotisants », d’une part, et les « nouveaux bénéficiaires », d’autre part. Le vieillissement de la population résidente et le fait que l’âge effectif du départ à la retraite au Luxembourg soit bas en comparaison internationale, couplé à une espérance de vie sans cesse plus élevée, fait en sorte que la situation financière du régime de sécurité sociale n’est favorable que dans un horizon relativement proche.

En effet, en supposant le maintien des prestations actuelles jusqu’en 2060, le Luxembourg devrait dépenser 38,1% du PIB pour financer la sécurité sociale, soit non loin du double des moyens financiers alloués en 2010 à ces mêmes transferts sociaux (19,9% en 2010). Ainsi, un jugement fondé et factuel sur la santé des finances publiques ne doit nullement se cantonner sur une « photo » à court terme, mais plutôt doit-il prendre en considération la dette cachée ou implicite actualisée. Mieux vaut agir maintenant et surtout éviter d’augmenter les cotisations sociales, dont le niveau actuel, relativement faible, reste un des rares avantages compétitifs dont dispose encore le Luxembourg.

Pour tout renseignement complémentaire, vous pouvez contacter :
Département Economique
Tél. : (+352) 42 39 39 - 350
eco@cc.lu 


[1]

www.gouvernement.lu/salle_presse/actualite/2010/10-octobre/05-frieden-budget/index.html.

 

[2] L’exercice 2011 devrait se solder par un déficit de 1,4 milliards EUR (3,4% du PIB) au niveau de l’Administration centrale et de 521,5 millions EUR ou 1,2% du PIB au niveau de l’Administration publique (optique Maastricht).

[3] Il en est notamment ainsi au niveau des biens et services non durables (+0,7% par rapport à 2010 et +7,8% en comparaison avec 2009) et des entretiens et réparations (+3,3%, respectivement + 5,24%). Les charges de personnel augmenteront de l’ordre de 91,1 millions EUR en 2011 par rapport à 2010 (+4,83%).

[4] Fonds pour les monuments historiques; Fonds d’investissements publics sanitaires et sociaux ; Fonds d’investissements publics administratifs ; Fonds d’investissements publics scolaires ; Fonds des routes ; Fonds du rail ; Fonds pour les investissements socio-familiaux.