La Chambre de Commerce plaide pour une réforme des transferts sociaux pour plus d’équité et d’efficience

Affaires économiques

« Actualité & tendances » n°14

De gauche à droite: Carlo Thelen, chef économiste de la Chambre de Commerce, Pierre Gramegna, Directeur général de la Chambre de Commerce, Christel Chatelain, attachée au service économique.

En 2012, les dépenses sociales de l'Administration publique, qui comprennent les transferts sociaux en nature et les prestations sociales en espèces, représentaient 47,2% du total des dépenses publiques au Luxembourg (soit plus de 9 milliards EUR sur un total de plus de 19 milliards EUR). Pour sa part, l'Administration de la sécurité sociale connaît, depuis 2000, une progression plus dynamique de ses dépenses que de ses recettes, et par conséquent, son solde, jusqu'à présent encore excédentaire, s'essouffle. Son équilibre est donc fragile et risque de se dégrader très rapidement en raison d'un taux de création d'emploi moins dynamique résultant d'un ralentissement économique prolongé. En outre, le vieillissement de la population résidente, un rapport entre cotisants et bénéficiaires moins favorable, le fait que l'âge effectif du départ à la retraite au Luxembourg se situe largement en deçà de la moyenne des pays membres de l'OCDE, couplé à une espérance de vie sans cesse plus élevée, fait en sorte que le Luxembourg dispose du " coût du vieillissement " le plus important en Europe. 

Face à ces défis, lLuxembourg doit viser un nouveau système de redistribution des richesses, performant et juste. Ce système doit prévoir des transferts sociaux basés sur la capacité contributive des ménages, assurant l'équité entre les générations et la promotion du travail au détriment de l'inactivité, tout en réduisant le risque d'exposition à la pauvreté. Le Luxembourg devra mieux cibler les transferts sociaux pour en faire un instrument plus efficace de réduction de la pauvreté relative tout en limitant leur coût global. Ceci est d'autant plus important que la structure socio-économique du Luxembourg se caractérise par une forte contribution de non-résidents à la production nationale, et par conséquent, une part croissante des transferts sociaux sont exportés. 

Dans ce 14e bulletin économique de la série " Actualité & tendances (A&T) ", la Chambre de Commerce analyse les transferts sociaux actuellement en vigueur au Luxembourg, qui se distinguent par leur générosité, leur caractère relativement peu sélectif et, surtout, leur non-soutenabilité d'un point de vue financier et budgétaire.

Les revenus de remplacement[1], les aides fournies par les communes et les prestations ayant comme contrepartie des cotisations sortent du champ d'analyse du présent A&T, qui se concentre ainsi sur les transferts financés à travers le budget de l'Etat et donc par la voie fiscale. La Chambre de Commerce analyse à la fois les transferts explicites (c'est-à-dire les aides/allocations/transferts décaissés de manière discrétionnaire) et implicites (à savoir des avantages non couverts par une cotisation et ne donnant pas lieu à un transfert pécuniaire direct ; par exemple les avantages fiscaux tels que différents abattements)[2].

L'ensemble des transferts, recensés par la Chambre de Commerce, ont été caractérisés à l'aune de différents éléments afin de créer une " matrice des transferts sociaux "[3]. La Chambre de Commerce a rencontré de nombreux obstacles lors de la réalisation de cette matrice du fait que certaines informations et données divergent selon les sources ou sont incomplètes, voire manquantes.

Selon la Chambre de Commerce, afin de garantir l'équité intergénérationnelle, la valorisation du travail par rapport à l'inactivité et la lutte effective contre l'exposition à la pauvreté, le système de sécurité sociale doit être réformé de manière volontariste et ambitieuse. Dans sa publication, la Chambre de Commerce soulève des questions de fond et propose des pistes de réflexion et des idées afin d'assurer que la politique menée soit la plus efficace et efficiente possible.

Quatre thématiques ont été délimitées, ces dernières correspondant à des objectifs majeurs vers lesquels une réforme du cadre relatif aux transferts sociaux devrait tendre :

1) Pour une architecture simple et cohérente des transferts sociaux 

L'architecture actuelle en termes de transferts, allocations et aides sociales et familiales ressemble à une mosaïque, avec une multitude de transferts hétéroclites, disparates et, parfois de faible envergure, qui ont tendance à s'accumuler et à se démultiplier au fil du temps. 

Dans ce contexte, la Chambre de Commerce propose de :

  • regrouper les transferts selon le principe : " un besoin = une aide " ;
  • abolir ou regrouper les transferts dont les coûts administratifs sont plus élevés que les montants distribués ;
  • réaliser une radiographie de l'ensemble des transferts existants avant l'introduction d'un nouveau transfert.

A titre d'exemple, l'ensemble des aides individuelles au logement devraient être regroupées afin de créer un " chèque logement ", dégressif et remis au ménage dont les revenus sont inférieurs à 5 fois le SSM. Quant aux aides visant les ménages déjà propriétaires et dont le but est d'encourager l'amélioration des performances énergétiques des habitations, celles-ci doivent faire l'objet d'un regroupement distinct.

La Chambre de Commerce plaide pour la réalisation d'une radiographie de l'ensemble des aides et transferts existants, et ce afin d'en évaluer l'efficacité et la nécessité, le besoin à combler ayant peut-être évolué dans le temps, voire disparu. Avant l'introduction d'un nouveau transfert, le maintien d'instruments déjà existants doit donc être remis en question pour assurer une cohérence d'ensemble et une architecture cohérente et compréhensible. Une telle structure doit, par ailleurs, s'intégrer dans le contexte budgétaire, pour garantir sa soutenabilité financière à moyen terme. Les transferts sociaux ne peuvent être considérés comme permanents ou comme des droits acquis.

2) Pour une gouvernance optimisée

La Chambre de Commerce constate le manque de transparence, de disponibilité de données et d'informations administratives claires, précises et cohérentes en ce qui concerne les transferts et les aides au Luxembourg. Les interconnexions et les échanges entre les organismes de la sécurité sociale sont aussi trop rares.

Dans ce contexte, la Chambre de Commerce propose d' :

  • accroître la transparence des politiques sociales ;
  • améliorer les interconnexions entre les organismes.

A titre d'exemple, un premier pas vers davantage de transparence doit être le croisement des données des administrations de protection sociale (par exemple la CNPF, l'IGSS, etc.) et de l'administration fiscale. L'information sur les revenus serait accessible aux agents de la Caisse nationale des prestations familiales qui pourraient adapter le niveau des prestations familiales en conséquence. Ce circuit intégré permettrait de mieux gérer les droits et de détecter des situations d'erreur ou de fraude. A défaut d'une optimisation du flux d'informations, la radiographie proposée ci-avant ainsi que le développement d'un système de transferts plus sélectif ne seront guère réalisables.

3) Pour des aides répondant aux objectifs déterminés

Le coût budgétaire de certaines politiques d'aide est très élevé sans pour autant permettre d'atteindre les objectifs recherchés. Il est primordial de revoir les dispositions relatives aux transferts sociaux qui s'opposent à la réalisation d'autres objectifs.

Dans ce contexte, la Chambre de Commerce propose de :

  • revoir les transferts qui constituent des pièges à l’inactivité ;
  • introduire de nouveaux critères en ce qui concerne les aides financières aux études supérieures.

A titre d'exemple, la Chambre de Commerce estime ainsi que les autorités publiques devraient réorienter les moyens d'actions du Fonds pour l'emploi, et ce notamment en privilégiant la subsidiation du travail au financement intégral de l'inactivité. En effet, le dispositif de revenu minimum garanti (RMG)[4], l'allocation d'éducation ou encore la générosité du congé parental réduisent fortement les incitations au travail ou l'atteinte d'autres objectifs économiques. 

De plus, la Chambre de Commerce plaide pour que l'aide financière aux études supérieures[5] soit octroyée (tant aux enfants de travailleurs résidents que frontaliers) sous forme de prêt, dont le remboursement serait abandonné à la condition que l'étudiant qui en bénéficie revienne au Luxembourg après avoir achevé ses études à l'étranger, pour y travailler et y résider. Une alternative pour réduire le coût total du système tout en augmentant sa sélectivité serait, selon la Chambre de Commerce, de réintégrer un critère de revenus des parents. Ainsi, ce système, davantage sélectif, permettrait de réduire les montants alloués aux enfants provenant de ménages aisés, tout en accordant des bourses plus généreuses aux enfants provenant de familles aux revenus plus modestes. 

4) Pour davantage de sélectivité sociale 

Alors qu'une ré-articulation de la politique en matière de sélectivité sociale a été annoncée dans le programme gouvernemental de 2009, la Chambre de Commerce constate qu'aucun projet de réforme majeure n'a été initié depuis lors. 

Dans ce contexte, la Chambre de Commerce propose de :

  • introduire des critères de revenus ;
  • réduire les abattements fiscaux et les bonifications d’impôts pas sélectifs ;
  • réformer les allocations familiales ;
  • réformer les aides coûteuses et peu ciblées.

A titre d'exemple, il serait opportun, selon la Chambre de Commerce, de redéfinir les conditions d'accessibilité, à certains transferts sociaux, comme le boni pour enfant, en fonction du revenu médian du ménage. S'agissant du crédit d'impôt sur les actes notariés (" Bëllegen Akt "), la Chambre de Commerce souhaite qu'il soit lié aux revenus de l'acquéreur. 

En ce qui concerne les allocations familiales, plusieurs scénarii sont possibles pour augmenter l'efficience et l'équité du système redistributif afférent tout en diminuant les dépenses de l'Etat. Une première option serait la fiscalisation des allocations familiales. La Chambre de Commerce estime qu'un changement de paradigme est nécessaire : " Les allocations familiales soutiennent les parents qui ont des enfants ", ce dernier devant être analysé dans le cadre de la réforme fiscale plus globale annoncée par le Premier Ministre dans son discours sur l'état de la nation de 2013. Une deuxième option à évoquer est le plafonnement des allocations familiales : les allocations familiales maximales seraient versées aux ménages disposant d'un revenu mensuel brut inférieur à cinq fois le salaire social minimum brut, c'est-à-dire 9.370 EUR par mois. Pour les ménages disposant de revenus supérieures à 5 fois le SSM, des allocations familiales dégressives jusqu'à une certaine limite inférieure seraient allouées. Enfin, la troisième option est une réduction graduelle des allocations familiales qui pourrait être introduite pour les ménages dont les revenus dépassent le revenu médian. En contrepartie, pour les ménages dont les revenus sont inférieurs à 5 fois le SSM, un " chèque logement " serait accordé afin de soutenir l'accès à la propriété ou à la location d'une habitation principale.

S'agissant du chèques-service accueil (CSA), la Chambre de Commerce salue l'instauration de davantage de sélectivité dans l'attribution de ces derniers, mais rappelle toutefois sa crainte de voir les ménages à revenu plus élevé opter plus pour une garde à domicile, instaurant ainsi deux " classes " au niveau de la garde des enfants. La Chambre de Commerce souhaite également le retour au principe de base du chèque-service accueil et l'abandon pur et simple de l'aide pour les activités extrascolaires. 

La Chambre de Commerce estime que le système actuel en matière d'aide au réemploi, bien qu'il ait fait ses preuves lors de la crise, peut engendrer des abus de par sa générosité. Des conditions d'attribution plus restrictives doivent donc être implémentées afin d'éviter tout coût excessif pour la collectivité.

En ce qui concerne le chômage partiel, qui a connu une évolution très dynamique lors de la crise en 2009, la Chambre de Commerce estime qu'il s'agit d'un élément de flexibilité non négligeable pour les entreprises soumises à des aléas économiques. La part du salaire prise en charge par l'Etat pour les heures chômées (80%) pourrait toutefois être réduite. Il n'est pas recommandé de toucher aux incitations à la formation continue des salariés en chômage partiel.

Dans sa nouvelle édition de son bulletin économique, la Chambre de Commerce propose de nombreuses pistes de réflexion. Au vu des défis mis en exergue et compte tenu de la crise économique qui perdure, la Chambre de Commerce espère que la nouvelle coalition gouvernementale prendra conscience de l'urgence de la situation et s'engagera dans une réforme ambitieuse du système actuel des transferts sociaux. 


[1] Revenus perçus en remplacement de la rémunération que l'on reçoit quand on travaille (exemples : allocations de chômage, indemnités pour cause de maladie, indemnités pour cause d'accident du travail, pension de retraite, pension de survie, etc.).

[2] Par sa restriction du champ d'analyse, la Chambre de Commerce ne sous-entend nullement que les revenus de remplacement ou les transferts remplissant une fonction d'assurance ne sont pas importants. Mais, dans le cadre de cet A&T, le choix a été fait de privilégier, dans un premier stade, les transferts sociaux discrétionnaires, pour lesquels l'Etat est seul responsable.

[3] Etant donné que non moins d'une centaine de transferts individuels différents et tombant dans le champ d'application de l'étude ont été identifiés, l'A&T ne peut en livrer une analyse exhaustive et désagrégée. Dans un souci de clarté, l'ensemble des transferts sociaux retenus ont été classés en grands blocs thématiques : prestations familiales, inclusion sociale, emploi et inactivité, logement et déductions fiscales directes. La Chambre de Commerce analyse dans cette publication les trois transferts les plus importants en termes de montants alloués :

1) Prestations familiales :

  •  Allocations familiales 
  • Boni pour enfant 
  • Aides financières pour études supérieures

2) Inclusion sociale :

  • Revenu minimum garanti (RMG)
  • Forfait d'éducation (" Mammerent ")
  • Revenu pour personnes gravement handicapées (RPGH)

3) Emploi et inactivité :

  • Aide au réemploi
  • Chômage partiel
  • Aide à l'embauche de chômeurs âgés ou de longue durée

4) Logement :

  •  Remboursement de la TVA-Logement ou l'application directe du taux super-réduit de 3%
  • Crédit d'impôt sur les actes notariés (" Bëllegen Akt ")
  • Bonification d'intérêt

[4] Alors que le salaire social minimum (SSM) mensuel pour un travailleur non-qualifié est de 1.921,03 EUR au 1er octobre 2013, le montant du RMG par mois pour un adulte avec un enfant (famille monoparentale) est de 1.348,18 EUR + 122,56 EUR = 1.470,74 EUR. Or, si les revenus de cette famille dépassent le SSM, alors certains avantages ne sont plus accordés : 

  • Allocation vie chère : 1.650 EUR par an, soit 137,5 EUR par mois
  • Transports gratuits : abonnement mensuel réseau (longue distance) de 50 EUR par mois
  • Bonification loyer : plafond de 123,5 EUR

Revenu d'inactivité ajusté : 1.470,74 + 137,5 + 50 + 123,5 = 1.781,74 EUR

[5] Dans sa 12e actualisation du programme de stabilité et de croissance établie pour la période 2011-2014, le Gouvernement présente, dans ses " Mesures de consolidation budgétaire et leur effet sur le solde de financement de l'administration publique ", le réaménagement des modalités d'intervention de l'état en faveur des étudiants comme une source d'économie de 33 millions EUR en 2011 et de 33 millions EUR en 2012

Or, suite à l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2010 modifiant la loi modifiée du 20 juin 2000 concernant l'aide financière pour études supérieures, 13.324 aides financières ont été accordées en 2010/2011 avec un montant total des bourses de 83.875.100 EUR (plus de 87 millions EUR en termes de prêts) par rapport à 8.562 aides financières en 2009/2010 et un montant total des bourses de 14.888.925 EUR. 

En outre, l'élargissement du champ des bénéficiaires, suite à la loi du 19 juillet 2013, entraînera une augmentation substantielle : 13.875 étudiants frontaliers pourraient bénéficier des aides, ce qui engendrerait une dépense totale (résidents et frontaliers) de près de 190 millions EUR au cours du 2e semestre civil de 2013 ainsi qu'au 1er semestre civil de 2014.