Budget 2022 : en quête de stabilité dans un environnement tourmenté

Chambre de Commerce
De gauche à droite: Christel Chatelain, Head of Economics Affairs de la Chambre de Commerce et Carlo Thelen, Directeur Général de la Chambre de Commerce

Avec une économie mondiale toujours en convalescence, l’avis budgétaire[1] de la Chambre de Commerce s’inscrit, cette année encore, dans un contexte très atypique. De nombreuses incertitudes subsistent, notamment l’impact de la hausse des prix de l’énergie et des matières premières et leurs pénuries. Ainsi, en ce qui concerne le pétrole, le cours de référence européen du Brent[2] a dépassé les 70 dollars à la fin du 2e semestre 2021 et il se chiffrait fin octobre nettement au-delà du seuil des 80 dollars. De tels niveaux de prix n’ont plus été observés depuis fin 2014. Et la situation au niveau du gaz naturel n’est guère plus encourageante, puisque son prix a été multiplié par 4 depuis la fin de l’année 2020. Son cours européen de référence[3] s’est véritablement envolé en octobre, en franchissant temporairement le seuil symbolique des 100 euros/MWh. Des prix tout à fait exceptionnels dans une perspective historique. Selon notre édition d’octobre du Baromètre de l’Economie 2021, 43% des entreprises interrogées considèrent le prix de l’énergie et des matières premières comme un défi pour le développement économique pour 2022 (contre seulement 17% l’année dernière). Le Luxembourg a d’ailleurs enregistré un taux d’inflation de +3,6% en octobre 2021, ce qui constitue le taux le plus élevé observé depuis 2011. En outre, la pénurie de semi-conducteurs pèse sur l’activité de nombreux secteurs, des difficultés qui devraient persister encore en 2022 et qui se manifestent par des délais de livraison toujours plus longs.

Le Luxembourg semble être parvenu à limiter les dégâts lors de la crise du Covid-19, affichant une baisse de son PIB de 1,8% en 2020 contre 6,5% dans la Zone euro. L’emploi a continué à croître en pleine crise sanitaire et les finances publiques ont affiché une détérioration moindre que dans le reste de l’Union européenne. Cependant, si la Chambre de Commerce salue une situation plutôt favorable dans un contexte de crise sanitaire, elle émet quelques réserves et souligne la nécessité d’opérer rapidement des transitions décisives, comme elle a déjà pu le soulever à maintes reprises.

Des chiffres qui ne présentent que la partie émergée de l’iceberg

La situation des Administrations publiques luxembourgeoises demeure a priori favorable malgré la crise, comme l’atteste un déficit qui se limiterait à 0,2% du PIB en 2022. Cette situation masque toutefois la persistance d’un déficit substantiel de l’Administration centrale, qui pourrait atteindre 1.230 millions d’euros en 2022 (ce qui s’avère historiquement élevé) et un peu plus de 700 millions d’euros en 2025, et des dépenses courantes au caractère rigide et difficilement réversible. La dette publique oscillerait quant à elle, autour de 27% du PIB, ce qui constitue un record en valeur absolue. Bien que la dette publique semble limitée par rapport à d’autres pays européens, le modèle économique luxembourgeois est très sensible en la matière et le Luxembourg n’aura que peu de marge de manœuvre si les taux d’intérêts augmentent fortement, ce qui risque à terme de devoir être compensé par une hausse de l’imposition, à l’impact néfaste sur la compétitivité du pays.

En second lieu, l’atout que semble susciter l’excédent de la sécurité sociale constitue en réalité le talon d’Achille des finances publiques luxembourgeoises. En effet, le vieillissement démographique va particulièrement affecter le Luxembourg, et les dépenses totales de pension devraient passer de 9% du PIB actuel, à 14% en 2045 et à 18% en 2070. Il s’agirait de la hausse la plus forte au sein de l’Union européenne. La dégradation des comptes sociaux est d’ailleurs d’ores et déjà tangible au Luxembourg. Car si en 2020, les Administrations de sécurité sociale engrangeaient un excédent de 1,4% du PIB, ce surplus pourrait se limiter, selon le projet de budget, à 1,1% en 2021, avant de se réduire à 0,9% du PIB en 2025.

Le Luxembourg face à l’urgence des transitions

Il existe des risques inhérents aux finances publiques du Luxembourg dont l’économie et les recettes fiscales sont largement tributaires du secteur financier, exposé aux évolutions internationales, et des défis socio-économiques. Si ces défis peuvent comporter également des opportunités pour les entreprises, ils vont nécessiter la mobilisation de l’énergie de tous et de conséquents moyens financiers. La Chambre de Commerce a pour cette raison scruté le projet de budget sous l’angle de trois transitions, celle devant nous mener à une économie plus diversifiée, la « révolution numérique » et la transition environnementale et énergétique.

Transition vers une économie diversifiée, porteuse d’avenir et soutenue par une fiscalité attractive

Le maintien d’une croissance économique relativement soutenue est une nécessité pour le Luxembourg, ne serait-ce que pour assurer le financement de la sécurité sociale, et des pensions en particulier. Dans ce contexte, une politique de diversification s’impose. Elle passe notamment par un cadre général favorable, soutenu par une fiscalité attractive. L’évolution récente de la fiscalité internationale devrait rapidement constituer un défi d’envergure pour le Luxembourg. Pour la Chambre de Commerce, il devient dès lors urgent que le Luxembourg propose, notamment, une feuille de route prévoyant la convergence graduelle de son taux standard d’affiche de l’impôt des sociétés, vers le taux médian prévalant au sein de l’Union européenne, soit 21%.

La Chambre de Commerce souligne également l’importance de miser sur les investissements en infrastructures, en matière de formation et de recherche, développement & innovation (RDI). À cette stratégie d’ensemble s’ajoute le ciblage de « secteurs à haut potentiel d’avenir », sur la base d’avantages comparatifs existants au Luxembourg. Enfin, le logement doit être l’un des bénéficiaires privilégiés de la montée en puissance des investissements publics. Véritable « bombe à retardement » susceptible d’enrayer les principaux rouages de l’économie luxembourgeoise, il requiert de toute urgence des solutions innovantes, impliquant le secteur privé. Pour des entreprises souhaitant s’engager dans la mise à disposition de logements à leurs collaborateurs, la Chambre de Commerce invite les autorités à considérer la création d’un cadre fiscal attractif pour des acteurs privés qui désireraient explorer concrètement une telle piste dans leur quête d’attraction et de fidélisation de main-d’œuvre.

La Chambre de Commerce estime que les efforts de diversification du Luxembourg paraissent encore trop timides. Les crédits budgétaires alloués à la formation, la RDI et aux secteurs d’avenir se caractérisent soit par une stagnation, soit par une augmentation inférieure à celle du PIB. À l’inverse, les dépenses de rémunération et les transferts sociaux connaissent une croissance autrement plus prononcée. De plus, si les investissements publics annoncés se situent à un niveau élevé, ils n’atteignent pas non plus des niveaux exceptionnels (4,7% du PIB de 2022 à 2025, contre 4,2% de 2000 à 2019).

Se donner les moyens de réussir la transition digitale pour générer de la croissance et rester compétitif

Le programme gouvernemental actuel a confirmé la digitalisation du pays en tant que priorité majeure. La Chambre de Commerce salue la mise en place de nombreuses initiatives en matière d’économie des données, d’éducation, de robotique, d’intelligence artificielle, de reconversion professionnelle, d’e-Santé, d’accompagnement des PME, pour ne mentionner que quelques domaines couverts.

Dans le même temps, elle constate que seuls 38% des agents de l’Etat sont couverts par un accès sécurisé VPN, et les données sur les outils mis à leur disposition soulignent l’existence d’une vaste marge d’amélioration. En ce qui concerne les citoyens, seul un tiers des accédants potentiels ont un compte sur MyGuichet.lu. Et surtout, 15 millions de pages imprimées et 11 millions d’enveloppes ont été transmises en 2020 aux citoyens via le Centre des Technologies de l’Information de l’Etat (CTIE), contre 5,9 millions de copies digitales.

Les crédits en faveur de la digitalisation paraissent faibles et ne progresseront que modestement, et ce, en dépit de la montée en puissance générale du numérique. En effet, les dépenses courantes du Ministère de la Digitalisation dépassent à peine 1% du total des dépenses de l’Etat central. D’autres ministères sont impliqués dans la digitalisation, mais les crédits correspondants restent limités. De l’avis de la Chambre de Commerce, il convient de poursuivre et d’accélérer la digitalisation des services publics, tout en simplifiant les procédures. La facturation est un exemple-type de procédure pouvant bénéficier d’une simplification administrative grâce à la digitalisation.

La numérisation va également révolutionner le monde du travail. Selon des études récentes, 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore. Le Luxembourg doit se préparer à une telle (r)évolution, et fournir un considérable effort de « requalification ». Ainsi, la Chambre de Commerce préconise l’établissement d’un « Observatoire des compétences » pour identifier et anticiper les besoins futurs des entreprises. 69% des entreprises luxembourgeoises interrogées lors de la 2e édition 2021 du Baromètre de l’Economie considèrent que le manque de main-d’œuvre qualifiée constitue un défi à leur développement économique en 2022, le plaçant en tête des préoccupations.

Les enjeux d’une transition environnementale et énergétique qui engage à la fois l’Etat, les citoyens, les entreprises et les territoires

Le discours sur l’Etat de la Nation et la présentation du projet de budget ont placé la lutte contre le réchauffement climatique au premier rang des priorités gouvernementales du Grand-Duché. La Chambre de Commerce constate avec satisfaction que les travaux des ministères concernés s’inscriront dans le renforcement de la dynamique de relance verte. Elle se félicite également que la mise en œuvre du Plan National intégré en matière d'Énergie et de Climat (PNEC) se poursuive en parallèle, avec la mise en place de nouveaux régimes d’aides et surtout, la prolongation de régimes existants pour promouvoir la durabilité dans les domaines du logement et des véhicules routiers. La Chambre de Commerce salue par ailleurs le choix du Gouvernement de mener l’action climatique de concert avec les communes. Enfin, il est à noter que le projet de budget s’attaquera aux phénomènes de congestion des routes et favorisera la décarbonisation du secteur du transport, en prévoyant notamment des moyens conséquents pour renforcer la multimodalité.

Les ambitions d’accélération du rythme de la transition climatique se manifestent également à travers les moyens qui sont alloués par le projet de budget 2022. Environ 765 millions d’euros en faveur d’investissements environnementaux et climatiques sont ainsi budgétisés pour 2022, de même qu’un montant de 1,8 milliard de dépenses en lien à la mise en œuvre du PNEC. Ces deux enveloppes devraient par ailleurs, connaître une évolution dynamique entre 2021 et 2025.

Si la Chambre de Commerce salue la hausse des moyens budgétaires dédiés aux objectifs climatiques, elle regrette que les documents budgétaires ne présentent pas une ventilation plus détaillée et désagrégée des investissements environnementaux et climatiques, et des dépenses pour la mise en œuvre du PNEC. Ces informations auraient permis de faire le lien avec certaines annonces et initiatives du Gouvernement dans le cadre de sa politique environnementale et climatique.

La Chambre de Commerce relève également l’absence de mesures concrètes de soutien aux entreprises pour faire face à la flambée des prix de l’énergie et des matières premières. Pourtant, l’inflation des prix de l’énergie constituera un défi majeur pour les acteurs privés en 2022. De même, après la présentation de la stratégie hydrogène du Luxembourg, la Chambre de Commerce s’étonne que le projet de budget ne contienne aucune annonce sur l’impact budgétaire de cette stratégie, ni sur la création d’un fonds de préfinancement et de gestion des risques (de-risking ou atténuation des risques). Enfin, aucune adaptation offrant une nouvelle dimension incitative n’est proposée en ce qui concerne la taxe CO2, ni aucune trajectoire pour l’évolution future de celle-ci au-delà de 2023. Afin de permettre aux entreprises de se projeter et d’anticiper de possibles hauses des coûts, la Chambre de Commerce invite le Gouvernement à présenter rapidement cette trajectoire, après concertation avec l’ensemble des parties prenantes. 

En conclusion, la Chambre de Commerce se félicite de la relative bonne résistance du Luxembourg face à la crise, en termes de PIB, d’emploi et de finances publiques, grâce à l’action résolue de ses autorités et à la mobilisation des entreprises. Mais dans un contexte de hausse des prix de l’énergie et de pénuries de matières premières, il est essentiel que le pays veille plus que jamais à la « qualité » des dépenses publiques. Certains agrégats budgétaires sont fragilisés par la crise et l’évolution future des dépenses publiques, notamment des transferts sociaux et de la rémunération des agents publics. À l’inverse, les dépenses en matière de formation, RDI et de diversification progressent trop modestement, tandis que la transition numérique gagnerait à être accélérée. L’indispensable transition énergétique et climatique constitue un autre défi d’envergure pour le Grand-Duché.

Mais ces défis à relever sont autant d’épreuves que d’opportunités porteuses.

Le texte intégral de l'avis budgétaire de la Chambre de Commerce est disponible ici.


[1] Le Gouvernement a déposé son projet de loi concernant le budget des recettes et des dépenses de l'État pour l'exercice 2022 ainsi que son projet de loi de programmation financière pluriannuelle 2021-2025 le 13 octobre 2021.

[2] Brent dit « brut de mer du Nord ».

[3] Le TTF néerlandais.