Start-Up
Marc Fleschen, CEO et fondateur Le Li-Fi ou technologie Light Fidelity, permet d'envoyer et de recevoir des données grâce à la lumière émise par une lampe LED. Le Li-Fi n'est pas destiné à remplacer le Wi-Fi, mais à être proposé en complément

Se connecter à internet grâce à la lumière, c'est en substance ce que promet Zero.1 qui fait figure de précurseur du Li-Fi (acronyme de Light Fidelity), un mode de connexion qui devrait se développer rapidement dans les prochaines années. Le système développé par la startup luxembourgeoise hébergée au Luxembourg City Incubator (LCI) de 2018 à 2020, a l'avantage de s'adapter à toutes les lampes LED disponibles sur le marché et d'être compatible avec n'importe quel smartphone, par le biais de sa caméra. Aujourd'hui, seules quatre sociétés dans le monde travaillent sur cette nouvelle technologie.

Quel est votre parcours ?
Je suis français, d'origine luxembourgeoise par mon arrière-grand-père. J'ai effectué mes études au sein d'une école supérieure de commerce et depuis mon plus jeune âge, je me passionne pour l'informatique. Dans les années 1990, j'ai créé ma première société qui avait pour mission de générer du trafic sur internet. Il s'agissait d'un portail, avec un moteur de recherche, une boîte e-mail et d'autres fonctionnalités assez similaires à celles proposées par Lycos, l'un des premiers moteurs de recherche. À l'époque, la " nouvelle économie " faisait figure de révolution industrielle. Les startups se multipliaient comme des petits pains et la valeur des nouvelles sociétés était souvent surestimée. J'ai vendu ma première société juste avant l'éclatement de la bulle spéculative. Après 2000, les choses intéressantes avaient déjà été créées. J'ai décidé de partir à Dubaï où j'ai ouvert plusieurs magasins et restaurants en franchise. Alors que j'étais là-bas, j'ai découvert la technologie du Li-Fi et fait la connaissance de Cédric Mayer, professeur de chimie à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), en France. Il a cofondé et dirige Oledcomm, une société qui travaille sur la technologie Li-Fi, permettant de transporter des données sans fil grâce aux lumières des diodes électroluminescentes (LED). Nous avons travaillé ensemble jusqu'en 2018, jusqu'à la création de ma société Zero.1.

Le Li-Fi, comment ça marche ?
Il s'agit d'une technologie de communication sans fil reposant sur l'utilisation de la lumière d'une ampoule LED. Contrairement au Wi-Fi qui utilise les ondes radio pour se connecter à internet, le Li-Fi utilise les photons ou ondes lumineuses projetées par les lampes de type LED. Pour faire simple, cette technologie convertit le signal binaire, une suite de 0 et de 1, en morse lumineux. Nous faisons clignoter les LED 30 millions de fois par seconde, une vitesse imperceptible à l'œil nu. Nous équipons ces LED d'émetteurs qui envoient des signaux à bas débit. Les signaux sont captés grâce à un récepteur de communication par caméra optique (OCC, Optical Camera Communication) ou au moyen d'une clef Li-Fi branchée sur le port USB d'un PC. Tout objet connecté, exposé ainsi à la lumière de la LED, peut accéder à internet ou à des informations spécifiques. Le Li-Fi se montre encore discret, car cette technologie est en cours de développement. Actuellement, seules quatre sociétés dans le monde propose des solutions Li-Fi, dont la britannique PureLi-Fi, la française Oledcomm, la néerlandaise Signify et la luxembourgeoise, Zero.1. Je reste toujours assez étonné qu'elle n'ait pas été adoptée plus tôt dans un pays comme le Luxembourg, où la fibre optique est omniprésente. Le Li-Fi se différencie de la communication par laser et par fibre optique par ses couches protocolaires ou règles de fonctionnement qui le régissent. L'alternative technologique que constitue le Li-Fi aurait dû être une évolution quasi organique au Luxembourg !

Pourquoi est-ce intéressant ?
Le Li-Fi présente de nombreux avantages et des applications commencent à arriver. Il va permettre par exemple à la 5G de se développer, tout en évitant les problèmes liés à la pollution électromagnétique du Wi-Fi. En effet, pour atteindre des vitesses supérieures, la 5G monte dans les gigahertz, ce qui risque d'avoir un impact négatif sur la santé. Le Li-Fi ne crée pas d'ondes électroniques susceptibles de nuire à la santé des personnes électrosensibles et d'interférer avec d'autres appareils. Grâce au Li-Fi, la 5G pourra être utilisée dans des secteurs sensibles aux ondes, comme le milieu médical, l'aéronautique ou la défense. Les prochaines générations de Wi-Fi vont offrir de très hauts débits, mais en contrepartie, le rayon d'action dépassera à peine les deux mètres et les points d'accès vont devoir être multipliés. Le Li-Fi est plus écologique, puisqu'il utilise les ampoules LED à très basse consommation énergétique. Une lampe LED offre 90 % d'efficacité énergétique en plus par rapport à une ampoule à incandescence. D'ici 2026, 2 milliards de LED devraient être vendues dans le monde, contre 960 millions en 2017. Autre atout de cette nouvelle technologie, le Li-Fi est plus rapide que le Wi-Fi. La technologie Li-Fi a pu être mise au point lorsque l'on a su maîtriser et exploiter la capacité des LED à moduler leur intensité à grande vitesse pour transmettre non pas un signal unique, mais des milliers de flux de données en parallèle. Ainsi, le Li-Fi permet d'atteindre des vitesses de transmissions des données dix fois supérieures à celles du Wi-Fi. Le Li-Fi offre aussi une sécurité d'utilisation inégalée. En effet, contrairement aux ondes radio, la lumière ne traverse pas les murs et ne permet pas l'utilisation du réseau à l'insu du propriétaire. Pour accéder aux données, il faut être dans le faisceau de la lumière de la LED. L'utilisateur voit où les données vont et peut contrôler la diffusion de ses données. Il n'est donc pas utile d'avoir une sécurité supplémentaire comme le pairing pour le Bluetooth. L'utilisation s'en trouve très simplifiée. Enfin, l'utilisation du spectre de la lumière est gratuite et n'est pas régulée. Le spectre des fréquences radio qu'utilisent les technologies de communications par radio, comme le Wi-Fi, la 4G et bientôt la 5G est, quant à lui, régulé par l'Union internationale des télécommunications et fait l'objet de redevances. Le seul inconvénient du Li-Fi est qu'il ne fonctionne que sous le faisceau lumineux d'une lampe qui doit rester allumée.

Ce nouveau mode de connexion internet est-il en passe de détrôner le Wi-Fi ?
Il n'existe pas une seule technologie capable de détrôner toutes les autres. Le Li-Fi n'est pas destiné à remplacer le Wi-Fi, mais il pourra compléter d'autres technologies tout comme la 5G vient en complément du Bluetooth ou du Wi-Fi, par exemple. Le Li-Fi s'intègre facilement aux technologies sans fil traditionnelles et permet d'améliorer ces réseaux avec une vitesse et une sécurité accrues.

Qui sont vos clients et pour quelle utilisation ?
Les utilisations sont nombreuses. Le Li-Fi peut être déployé dans divers environnements, tant professionnels que domestiques, notamment les bureaux intelligents, les transports intelligents, l'industrie 4.0 ou la maison connectée du futur. Vous pouvez diriger la diffusion du flux vers un point précis, comme vous le feriez avec une lampe torche. On peut imaginer fournir de la connectivité aux passagers d'un avion sans perturber l'appareil en vol, grâce à des liseuses Li-Fi placées au-dessus des sièges ou utiliser ce système pour la communication en pleine mer ou entre deux véhicules sur autoroute, grâce aux phares LED qui équipent les voitures récentes. Nous comptons une dizaine de clients dans des secteurs variés. Notre solution Li-Fi est déjà entrée dans plusieurs musées ou sites historiques, comme celui de Pompéi. Le visiteur est géolocalisé grâce à son smartphone, sur lequel il a téléchargé une application pour recevoir des informations géo-contextualisées. Les informations envoyées par le Li-Fi sont lues sur le smartphone au moyen d'un émetteur qui équipe les lampes LED. La géolocalisation par le Li-Fi pourrait se développer dans tous les lieux fermés où le GPS ne fonctionne pas, comme les centres commerciaux ou le métro. Plusieurs prestataires, comme les opérateurs télécom ou les éclairagistes, vendent nos services. Nous offrons une réelle valeur ajoutée et un retour sur investissement grâce à une faible consommation d'énergie. Notre solution est déjà commercialisée par Orange qui offre des produits avec des passerelles multiprotocoles (OCC, bluetooth, ultrasons, Wi-Fi, etc.).

Quel est le business model de votre société ?
Tout d'abord, j'ai fait le choix d'établir ma société au Luxembourg, car le pays est très réceptif aux changements et il est aussi au cœur de l'Europe. Nous produisons nos récepteurs à Caen, en Normandie. La crise sanitaire a retardé tous les objectifs que nous nous étions fixés, mais nous allons reprendre la prospection pour trouver des investisseurs et lever des fonds. Zero.1 emploie actuellement 12 personnes. Notre modèle d'exploitation commerciale est le Software as a Service (SaaS) ou logiciel en tant que service. Nous fournissons une application dans le cloud qu'il est possible de télécharger. Les clients ne paient pas de licence d'utilisation pour une version, mais utilisent nos services en ligne et paient à l'utilisation ou prennent un abonnement annuel. Nous fournissons aussi les petits boîtiers à fixer près des LED pour 70 euros l'unité.

Quel est le rôle de la Light Communications Alliance (LCA) dont vous êtes membre fondateur et président ?
La Light Communications Alliance (LCA) est une association ouverte de droit luxembourgeois et à but non lucratif. Nous nous réunissons chaque mois et notre association a pour objectif d'encadrer les développements de la technologie de transmission de la communication par la lumière, en tenant compte des facteurs énergétiques, environnementaux et de l'impact global sur la santé publique. Le développement des technologies de communication est exponentiel. Aujourd'hui, il y a plus d'objets connectés que d'êtres humains sur terre ! La LCA fédère les leaders mondiaux des secteurs des communications, de l'éclairage, des infrastructures et de la fabrication de dispositifs. L'association est ouverte aux membres des industries couvrant à la fois la lumière et les communications, y compris les fabricants de puces, les fabricants de systèmes ou OEM (original equipment manufacturer), les opérateurs de réseaux, les fabricants d'éclairage et les innovateurs en matière de communications lumineuses. Nous nous donnons pour mission de promouvoir la technologie des communications lumineuses par une approche cohérente, ciblée et concise, en mettant en évidence les avantages, les cas d'utilisation et les délais d'adoption des communications légères. Nous préconisons notamment l'utilisation de normes pour cette industrie émergente. Ainsi, l'organisation alignera les leaders innovants à travers les industries que la lumière et les communications touchent, en définissant des normes pour l'éducation, la communication et l'interopérabilité. Les membres fondateurs de la LCA sont Nokia, Emirates Integrated Telecommunications Company, LEDVANCE, Liberty Global, Lucibel, Orange, PureLiFi, LiFi Research & Development Centre, Velmenni, Zero.1, CEA Leti, et Institut Mines-Télécom.

Quelles sont les prochaines étapes de développement de Zero.1 ?
Nous avons établi des contacts intéressants avec la Direction générale du tourisme auprès du ministère de l'Économie pour placer notre technologie et aider le gouvernement à relancer le tourisme. Nous souhaitons intégrer plusieurs parties prenantes, dont plusieurs opérationnels comme Post Luxembourg ou l'Interdisciplinary Centre for Security, Reliability and Trust (SnT) de l'Université du Luxembourg pour mener des activités de recherche fondamentale et appliquée et conclure des alliances dans le cadre de projets à dimension européenne. Le Luxembourg est un acteur central dans le secteur spatial européen. Je reste persuadé qu'il a une carte à jouer et que nous pouvons devenir la SES de cette nouvelle technologie ! Par ailleurs, nous comptons prendre part à l'Expo 2020 à Dubaï avec l'aide de la Chambre de Commerce. Les Émirats arabes unis représentent un très gros marché, et Dubaï, en particulier, est très ouvert à cette nouvelle technologie.

www.www.zero1.zone
www.lightcommunications.org
 

TEXTE Marie-Hélène Trouillez - PHOTOS Zero.1