Success stories
Les feuilles de cuivre produites par Circuit Foil se ressemblent mais elles ont toutes des propriétés différentes selon les additifs choisis, secret de fabrication de l’entreprise. Les circuits électroniques sont imprimés sur les feuilles de cuivr

L’histoire de Circuit foil au Luxembourg remonte au tout début des années 1960, alors que l’entreprise avait été créée l’année précédente dans le New Jersey, aux États-Unis. Aujourd’hui, elle propose une gamme de 20 types de feuilles de cuivre à haute valeur ajoutée, dans une cinquantaine de pays du monde et occupe plus de 320 personnes au Luxembourg. Rachetée par un groupe coréen en 2014, Circuit Foil affiche la volonté de poursuivre son développement avec des investissements et des recrutements. Rencontre avec Fabienne Bozet, CEO depuis 2016.

Pouvez-vous nous dire ce que signifie « haute valeur ajoutée » pour des feuilles de cuivre ?
Les feuilles de cuivre sont utilisées dans les circuits imprimés et dans les batteries des voitures électriques. Les circuits imprimés présents dans les machines à laver sont évidemment moins complexes et sophistiqués que ceux présents dans un satellite, un pace maker, le dernier smart phone ou encore les serveurs pour la 5G ! Il s’agit donc de feuilles de cuivre complexes pour lesquelles un travail d’écoute des besoins des clients et de nombreuses étapes de recherche et développement sont nécessaires. Ce genre de produits n’est pas facile à fabriquer. Il peut donc être vendu plus cher que des produits plus standards, ce qui permet de garder cette activité au Luxembourg, pays où la main-d’oeuvre coûte cher. Notre entreprise représente 2% du marché mondial des feuilles de cuivre mais cette part monte à 12% sur le marché spécifique des feuilles à haute valeur ajoutée. Ce chiffre montre que nous avons une réelle expertise dans ce domaine. Pour chacune de ces utilisations, la feuille de cuivre doit avoir des propriétés différentes, ce que nous obtenons en changeant de machines mais également d'additifs par exemple.

Y-a-t-il des réflexions autour de l’économie circulaire dans votre industrie ?
Depuis toujours, nous produisons nos feuilles à partir de déchets de cuivre. Nous avons quelques fournisseurs en Allemagne, en France et en Italie, dont le métier est de récupérer ces déchets pour les réinjecter dans des processus de production. Bien entendu, nous avons de hautes exigences concernant la qualité de la matière que nous achetons. Le cuivre doit être indemne de toute souillure organique, par exemple. Par ailleurs, nous accordons une grande importance à la gestion des déchets
que notre activité génère. 92% d’entre eux sont valorisés et seulement 8% sont jetés. C’est un indicateur que nous suivons chaque mois.

Votre entreprise a intégré le groupe coréen Doosan en 2014. De quel degré d’autonomie bénéficiez-vous par rapport à cet actionnaire ?
Je ne peux pas nier que ce rachat a pu inspirer quelques craintes à l’époque. Personnellement j’ai toujours eu une grande admiration pour la Corée. C’est un pays hyper-compétitif qui pousse à l’excellence. Avec notre actionnaire, nous fonctionnons avec des plans à long terme et des budgets. Une fois que ceuxci sont validés, nous mettons en oeuvre ce qui a été décidé et nous sommes responsables du résultat. Nous sommes bien entendu force de propositions et nos idées sont écoutées. Chaque projet proposé doit être solidement argumenté pour convaincre. Dans le cas de l’augmentation des capacités de production que nous projetons pour 2021/2022, nous avons fait une analyse de marché très pointue, un calcul des parts de marché qu’il était possible de gagner, une étude de la concurrence. Nous avons également une road map technique et une road map produits. Ce travail de préparation est une démarche saine, qui nous fait progresser. L’actionnaire est confiant car il sait qu’au Luxembourg nous bénéficions d’un environnement économique favorable. J’ai rarement fait face à un refus. Depuis 2014, il y a déjà eu des investissements à hauteur de 50 millions d’euros. C’est une belle preuve de confiance mutuelle.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la culture coréenne du Inhwa et comment elle se matérialise chez Circuit Foil ?
L’inhwa est une des 6 valeurs du groupe Doosan, qui sont le développement des talents, l’Inhwa, l’ouverture, l’exécution, l’innovation et la gestion des priorités. Nous sommes tous évalués sur ces 6 dimensions. Et chaque année, nous devons nous fixer des pistes d’amélioration sur au moins deux d’entre elles. L’Inhwa est assurément une belle valeur qui repose sur 3 piliers, l’équité, l’inclusivité et l’esprit d’équipe. Cela signifie que l’on fait les choses ensemble et qu’on ne laisse personne de côté. Le mot Inhwa n’a pas de traduction en français mais il signifie l’harmonie dans l’équipe, la collégialité, la fraternité et la confiance pour atteindre un but commun. Par exemple, on préférera résoudre ensemble un problème plutôt que de chercher un coupable. Mais à cela il faut rajouter la culture de la performance, qui est très présente en Corée. Donc l’Inhwa, c’est aussi la responsabilisation quant au résultat attendu. Ici, au Luxembourg, nous avons mis en place des cercles de qualité qui réunissent des opérateurs de production, des techniciens, des ingénieurs et des membres des équipes process. Ils choisissent un sujet qui pose un problème et ils trouvent ensemble des solutions en suivant différentes méthodologies. Chaque encadrant peut proposer des sujets. Dans chaque groupe il y a des facilitateurs et des animateurs. Les sessions sont encadrées par un consultant externe de la société Résultance. Cela revient à miser sur l’intelligence collective.

L’entreprise est d’origine américaine, son siège est basé au Luxembourg, le développement se fait surtout en Asie. Circuit Foil fait donc partie des entreprises globalisées. Pensez-vous que la crise Covid va impacter cette façon de conduire les affaires ?
La crise Covid a eu un impact immédiat car nous avons dû repenser notre organisation interne pour protéger la santé de tous. Nous avons trouvé des solutions, là aussi en concertation avec la délégation du personnel et le personnel, pour pouvoir maintenir la production tout en veillant à la bonne santé de chacun. Grâce à l’effort de tous, nous avons donc pu continuer à servir nos clients et passer au travers de la crise. Notre secteur est relativement épargné car nous sommes portés par le développement de la 5G sur laquelle la Chine investit massivement. Or, nous sommes leader mondial des feuilles de cuivre destinées à cette utilisation. C’est l’une de nos grandes fiertés, que nous devons à notre super équipe de chercheurs et à nos ingénieurs technico-commerciaux basés partout dans le monde, soutenus par la confiance de l’actionnaire coréen mais aussi par le Luxembourg via le ministère de l’Économie et le LIST.  Circuit Foil exporte 100% de sa production vers les États-Unis, l’Asie et l’Europe et 97% des capacités de production de feuilles de cuivre sont en Asie, qui est aussi la région du monde la plus demandeuse de ces produits. Nous avons donc tout à fait vocation à rester en contact avec le reste du monde et à conserver notre fonctionnement globalisé.

Les perspectives d’avenir que vous aviez communiquées à la presse en février 2020 (investissements, embauches, augmentation de la production, ndlr) ont-elles été revues à la baisse suite à la crise Covid ?
Non pas du tout, ces projets sont toujours d’actualité. Bien sûr, nous avons senti l’impact de la crise au moment où l’Asie était le continent le plus touché et que de nombreuses usines y étaient à l’arrêt. L’industrie automobile est aussi un débouché important pour nous et celle-ci est fortement impactée mais une partie de ces clients se sont mis à fabriquer des respirateurs pour lesquels il faut aussi des feuilles de cuivre. Par ailleurs, on a pu mesurer l’importance d’internet durant la période de confinement. Or, nos feuilles de cuivre entrent dans la fabrication des serveurs, des antennes de transmission des données… La demande pour nos produits continue donc d’être forte. Nos partenaires financiers, dont la SNCI, la BCEE, la BGL, CBC, ING, de même que le ministère de l’Économie, continuent à montrer de l’intérêt pour nos projets de développement. Nous avons besoin de ces soutiens pour continuer à concevoir des produits de pointe, comme ceux adaptés à la 5G.

Concernant votre propre parcours, vous avez fait quasi toute votre carrière dans l’entreprise…
Oui, j’y ai vécu beaucoup de choses, de belles réalisations, de la croissance, mais aussi des choses plus compliquées. Mon ancienneté fait que j’ai une bonne proximité avec les équipes. Je connais le prénom de la majorité des membres du personnel.

Avez-vous parfois songé à la quitter ?
Je me suis souvent dit que le jour où je ne parviendrais pas à faire passer des idées me tenant à coeur ou si je commençais à m’ennuyer ou que mes valeurs n’étaient plus respectées, je partirais. Au moment de la vente à Doosan, je me suis posé des questions mais la culture coréenne m’a séduite et les perspectives nouvelles ainsi que les projets d’investissements m’ont convaincue de rester et je ne le regrette absolument pas.

Vous avez un profil plutôt gestion/finance dans une entreprise où les aspects techniques sont très importants. Avez-vous l’impression que certains sujets vous échappent ?
J’ai une formation d’ingénieur de gestion donc il y a quand même des aspects techniques dans mon cursus et je me suis toujours intéressée à tout ce qui m’entoure. Mais un CEO ne maîtrise pas tout, ne sait pas tout et doit avoir l’humilité de le reconnaître. Il n’est pas le meilleur expert sinon cela signifierait que ses équipes ne pourraient pas grandir puisqu’il essaierait toujours d’être le meilleur. Un CEO doit surtout savoir s’adapter, écouter et ensuite prendre des décisions. J’aime particulièrement la phrase de Paul Valery qui dit : ‘Un chef est un homme qui a besoin des autres’. Je partage cette vision et je pense qu’en discutant avec les autres on peut aller loin. A Circuit Foil, j’ai introduit la pratique des entretiens « one to one » ; je demande à chacun d’avoir au moins une demi-heure de discussion, une fois par semaine avec son boss pour aborder toute sorte de sujets y compris et surtout les problèmes éventuels. Beaucoup sont de grands fans de cette méthode qui crée de la confiance dans les équipes. Le but in fine est bien entendu d’obtenir des résultats.

Je crois savoir que l’environnement a une grande importance pour vous. N’est-ce pas difficile de concilier cette préoccupation avec une activité industrielle ?
Non au contraire, je pense que les industriels d’aujourd’hui sont porteurs de solutions. Les ingénieurs du monde industriel résolvent tous les jours des problèmes et c’est grâce à eux que les solutions aux enjeux environnementaux actuels pourront voir le jour. Dans notre entreprise, nous avons par exemple réussi à réduire notre consommation d’eau de 70%.
Je suis totalement en accord avec mon métier d’industriel, dont je pense qu’il est un très beau métier, avec ses technologies et ses méthodes de management en amélioration constante.

www.circuitfoil.com

 

TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize