Success stories
Olivier Raulot Fondateur et CEO, iNUI Studio

Olivier Raulot, ingénieur en informatique a fondé la société iNUI Studio en 2010 pour développer des NUI (Natural User Interface), soit des logiciels rendant l’interaction humain-machine intuitive, ne nécessitant pas d’apprentissage particulier. En 2017, il est à l’origine d’une invention qui va révolutionner l’utilisation des bornes et autres écrans interactifs, la technologie AIRxTOUCH qui rend possible l’interactivité sans contact. Les applications pour cette technologie sont multiples, partout ou un public a besoin d’informations ou de faire des transactions rapidement. Ce peut être pour de la communication, du divertissement, de l’éducation ou du marketing dans des lieux aussi divers que des gares, des restaurants, des boutiques, des offices de tourisme ou encore des halls d’accueil de sociétés…iNUI Studio a remporté de nombreux prix et distinctions au début de son histoire, quand elle était encore une startup. Aujourd’hui, véritable success story, l’entreprise est à un tournant de son histoire. Olivier Raulot analyse avec nous les ingrédients, les étapes et parfois les hasards du succès.

 

Comment l’aventure d’iNUI Studio a-t-elle commencé et pourquoi au Luxembourg? 

Avant la création d’iNUI Studio, je travaillais déjà depuis une dizaine d’années au Luxembourg dans une société de services et d'ingénierie en Informatique (SSII). C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai créé ma société au Luxembourg mais surtout, en 2010, la notion de startup commençait tout juste à infuser et les programmes d’aides et d’accompagnement étaient très significativement plus intéressants au Luxembourg qu’en France ou en Belgique. Après 10 ans dans mon précédent emploi, j’avais des responsabilités sur des équipes et j’avais donc acquis des compétences managériales. C’était le bon moment pour lancer ma propre structure. J’avais eu l’occasion de travailler beaucoup sur des produits Microsoft et je savais que des nouvelles technologies tactiles allaient arriver sur le marché. Il y avait donc une réelle opportunité à proposer mon savoir-faire technique pour l’adapter à ces nouveaux supports. Mon idée première était de développer des logiciels pour utiliser les possibilités du tactile en communication et marketing. La technologie naissante, le bon moment dans ma carrière couplés à l’environnement porteur du Luxembourg sont donc à l’origine de la naissance d’iNUI Studio.

Quand vous avez inventé la technologie AIRxTOUCH, aviez-vous déjà en tête les applications possibles ou cela s’apparentait-il plus à de la recherche fondamentale? 

Ce n’était pas du tout de la recherche fondamentale. Nous sommes partis d’un besoin. Au début, iNUI Studio concevait des logiciels pour écrans et surfaces tactiles. En 2014, nous avons eu l’opportunité de proposer des Abribus sans contact avec une caméra 3D Kinect à JC Decaux. Or, il s’est avéré que l’interaction sans contact ne fonctionnait pas correctement avec cette technologie de caméra 3D quand les écrans étaient un peu sales ou en cas d’ensoleillement élevé. Nous en avons déduit qu’une technologie utilisant la reconnaissance des gestes sur des « sensors » 2D, serait plus adaptée. C’est à ce moment-là que nous avons commencé à développer la technologie AIRxTOUCH, donc pour proposer une solution adaptée à un problème précis. Nous avons donc exploré les technologies de traitement de l’image 2D et la computer vision (branche de l'Intelligence Artificielle qui a pour objectif de permettre aux ordinateurs d'interpréter des données visuelles afin d'en extraire des informations, ndlr). Et ainsi, nous avons découvert de nouvelles approches de traitement de l’image en temps réel et nous avons décidé de déposer des brevets. Fin 2017, notre premier produit sans contact est sorti. Il visait à rendre les vitrines de magasins interactives.

Vous avez déposé des brevets à la fois en Europe et aux États-Unis. Y a-t-il des différences entre les deux procédures ? 

Les deux processus sont très longs et très exigeants, émaillés d’entretiens d’argumentation avec des experts examinateurs pour chaque claim déposé, c’est ainsi que l’on désigne les éléments pour lesquels on requiert la protection d’un brevet. Aux États-Unis, je dirais que c’est un peu plus facile qu’en Europe mais le processus nous a quand même pris 3 ans, en plusieurs phases. Nous y avons déposé 31 claims. En Europe, on doit décider pour quels marchés on souhaite protéger les éléments. Chacun a ses tarifs et ses modalités. Le processus est encore plus long et compliqué qu’aux États-Unis. Le simple fait que notre technologie soit protégée aux États-Unis et en Europe nous prémunit contre le développement de produits concurrents car il ne sert à rien de développer une technologie si on ne peut pas la vendre sur ces grands marchés. Du coup, il n’est pas nécessaire pour nous de payer la protection sur l’ensemble des continents. Une fois que les brevets sont déposés, on doit payer des redevances, tous les 3 ans aux États-Unis et plus souvent en Europe. Ces redevances sont moins élevées aux États-Unis. Ce que nous protégeons avec les brevets sont les parties qui correspondent à des nouveautés pouvant faire avancer la science informatique. Mais nous ne brevetons pas certaines spécificités technologiques secrètes car à partir du moment ou un élément est breveté, il devient public.

Comment décririez-vous votre activité actuelle? 

Notre offre a 2 pans distincts. D’abord la conception de logiciels, qui est notre activité historique. En partant de la nature de l’activité du client (siège de société, aéroports…) et de ses besoins, nous implémentons des solutions sur mesure à partir de SKA, notre plateforme logicielle SAAS (software as a service, ndlr) qui peut indifféremment être utilisée en version tactile ou sans contact. Le deuxième aspect de notre activité est la fabrication de nos propres bornes sans contact à partir d’écrans Samsung et de processeurs Intel. Nous avons des accords de commercialisation et de marketing avec ces deux marques. Leur notoriété donne une grande crédibilité à nos produits.

Quelle est la tendance la plus porteuse pour votre activité? Est-ce la digitalisation galopante ou les soucis d’hygiène apparus avec la crise Covid? 

Pour nous, la Covid a eu un impact énorme. Au tout début, quand nous avons commencé à commercialiser notre barre AIRxTOUCH pour rendre les écrans tactiles interactifs sans contact, notre succès a été très relatif. Les clients se demandaient quelle utilité cela pouvait avoir. À partir de 2020, nous avons commencé à proposer la technologie sans contact en remplacement de tout type de bornes tactiles et d’un coup, c’était devenu une évidence pour tout le monde. La question de l’utilité ne se posait même plus. Cela se traduit directement dans nos chiffres. Sur les 6 premiers mois de 2022, nous avons enregistré pour 1 million d’euros de commandes pour la technologie AIRxTOUCH alors que les années précédentes, nous étions plutôt sur des montants se situant entre 300.000 et 400.000 euros à l’année. De nos jours, les clients préfèrent investir directement dans le sans contact même si cela revient un peu plus cher à l’achat.

Vous participez à la digitalisation de la société et pour vos propres besoins, ou en êtes-vous de la digitalisation de votre entreprise?  

La majorité des employés d’iNUI Studio sont des ingénieurs informatiques. Ces derniers temps, nous avons surtout investi dans des produits leur permettant de travailler de façon hybride. Les nouvelles recrues sont très demandeuses de ce type d’organisation. Nous travaillons avec des produits Microsoft comme Teams, plateforme de travail collaboratif ou DevOps qui permet d’automatiser et d'intégrer les processus entre les équipes de développement (programmeurs) et informatiques (équipes opérationnelles en charge des déploiements).

Vous avez remporté récemment un important marché avec une chaîne canadienne de restauration. Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce contrat?  

La nouvelle borne interactive sans contact que nous avons lancée officiellement en janvier 2022 était prête en préproduction depuis août 2021. Dès septembre 2021, nous avons donc cherché trois débouchés concrets pour avoir des use cases à montrer dans chacun des trois domaines que nous souhaitions développer: le transport, le tourisme et la restauration. Pour le secteur du transport, nous avons équipé la gare de Luxembourg en décembre 2021, suite à une commande des CFL. Pour le tourisme, nous avons fait affaire avec la ville de Bergen en Norvège et pour la restauration nous avons équipé 2 restaurants de cette chaîne canadienne avec 4 bornes. Ainsi, avec ces cas en grandeur réelle, nous étions prêts pour le lancement de janvier 2022. Suite à cette première livraison, la chaîne de restaurants St-Hubert a été convaincue par le produit et a décidé de le déployer sur l’ensemble de la chaîne. Cette décision est intervenue au moment de la mission économique au Canada, organisée par la Chambre de Commerce en juin 2022 et à laquelle je participais. La communication faite autour de la mission a eu de la visibilité, ce qui fut un argument supplémentaire pour les franchisés de la chaîne qui avaient envie d’adopter notre technologie. Depuis, nous avons encore signé un nouveau contrat pour un déploiement supplémentaire.

Vous avez un partenariat historique avec Samsung. Comment avez-vous été mis en contact avec eux et où en seriez-vous aujourd’hui sans celui-ci? 

En 2014, nous étions encore au début de nos développements et nous avions fait une vidéo de promotion de nos produits que nous avons postée sur YouTube. Celle-ci a été repérée par un business développer de Samsung basé à Paris. Celui-ci nous a mis en contact avec l’équipe de R&D de la marque, que nous avons pu rencontrer en Corée lors d’une mission économique organisée au Japon et en Corée en octobre de cette année-là. Les ingénieurs nous ont à leur tour mis en contact avec les responsables commerciaux et cette chaîne de contacts a abouti à la signature de notre accord de partenariat pour l’Europe. Ce partenariat nous a donné l’énergie pour continuer car, comme je le disais, le succès de la technologie était mitigé au début. Savoir qu’un grand groupe comme Samsung y croyait et voyait un bon potentiel de développement nous a permis de surmonter nos difficultés et cela nous a convaincus que nous pouvions avoir un impact mondial avec notre technologie. Confortés dans notre intuition, nous avons pris de gros risques. Pendant deux ans, nous avons investi pour continuer nos travaux de recherche. Rien que déposer les brevets nous a coûté quelque 150.000 euros ! Bien plus tard, la crise Covid m’a donné raison et cela a été notre deuxième chance. En fait, nous avions eu raison de nous intéresser à la technologie sans contact mais nous avions eu raison un peu trop tôt. Sans Samsung nous n’aurions sans doute pas passé ce cap. Une nouvelle mission économique est prévue en Corée fin novembre 2022 et nous y participerons très certainement car j’ai un nouvel associé féru d’Asie et de la Corée en particulier. Nous pourrons y étudier encore de nouveaux développements avec les équipes de Samsung.

En 2014, le magazine Merkur était déjà venu à votre rencontre et à l’époque, votre plus grand défi était l’industrialisation de votre technologie. En 2022, quel est votre plus grand défi ? 

Le défi est de maintenir notre avance concurrentielle. Nous proposons une technologie unique. Nous avons connaissance de deux sociétés au niveau mondial qui développent des propositions similaires : une société suédoise spécialisée dans les écrans de petite taille avec des applications très spécifiques comme des boutons d’ascenseur sans contact, et une société britannique dont le core business tourne autour des masques de réalité virtuelle et dont la technologie sans contact n’est pas vraiment aboutie. Nous n’avons pas vraiment de concurrence pour l’instant mais pour combien de temps ? Nous sommes en train de montrer que le marché existe. Les fabricants d’écrans tactiles vont se dire qu’il y a un risque pour leur propre technologie. Combien de temps va durer notre longueur d’avance ? Il nous faut donc croître suffisamment vite pour prendre les marchés avant tout le monde. Au niveau de la fabrication, nous sommes prêts à monter en puissance. Nous avons effectué une petite levée de fonds en octobre 2021 (1 million d’euros) qui nous a permis de nous restructurer et de lancer le produit AIRxTOUCH KIOSK en janvier de cette année-ci. Nous sommes actuellement sur une importante levée de fonds que nous souhaiterions finaliser au quatrième trimestre de 2022. Nous devons surtout muscler l’équipe de vente et monter un véritable réseau de distribution avec un volet formation et marketing adapté, notamment en Amérique du Nord et renforcer l’équipe de recherche pour lancer de nouveaux produits, par exemple des produits plus petits ou qui résistent aux intempéries pour pouvoir fonctionner à l’extérieur.

On entend parfois que le problème des startups au Luxembourg est de ne pas trouver les relais de croissance sur place et de devoir s’exiler pour accéder aux paliers supérieurs. Avez-vous ce sentiment? 

Oui, c’est vrai. Trouver des financements privés au début n’est pas très difficile mais lorsqu’il s’agit de lever plusieurs millions d’euros, trouver des gens qui soient prêts à prendre le risque est beaucoup plus compliqué. Pour notre part, nous avons pu faire notre dernière levée de fonds grâce à un investisseur privé et un petit fonds d’investissement luxembourgeois. Pour trouver ces investisseurs, nous avons été aidés par la société de conseil en investissements Tenzing Partners qui est entrée à notre capital avec sa branche investissement.

En même temps que votre dernière levée de fonds, vous avez récemment annoncé l’entrée dans votre board de nouvelles compétences. Comment sait-on que c’est le moment de franchir une étape et de changer d’échelle? 

On le sait quand on a la conviction d’avoir un produit fini et plus seulement une technologie et des prototypes. Le produit doit être vendable sans support excessif, donc en plug and play. J’ai eu l’année dernière la conviction que nous avions atteint ce stade. Notre produit était parfaitement mature. C’était donc le bon moment pour convaincre des actionnaires. La prochaine étape sera de trouver un fabricant pour l’Amérique du Nord auquel nous pourrions vendre une licence de production et auquel nous livrerions les modules contenant notre technologie. Pour pouvoir traiter des volumes importants, c’est vraiment la bonne solution car l’exportation à partir de l’Europe est compliquée et chère. Sur place, nous avons déjà un accord avec la société Axera qui réceptionne nos produits, les installe chez nos clients et en assure la maintenance. C’est une société agile qui correspond à nos besoins. Avant d’en arriver à vendre des licences de production, nous devions d’abord convaincre en passant par une étape où nous fabriquions nous-mêmes les bornes.

Quelles sont vos perspectives et projets ?

Nous allons désormais concentrer tous nos efforts sur la transformation de notre modèle économique pour passer de la fabrication/ vente de bornes interactives à la vente de licences de production à d’autres fabricants.

Pourrez-vous suivre le rythme de votre succès? Je pense notamment en termes d’embauche de talents ?

Il est vrai que le recrutement d’ingénieurs développeurs est un vrai souci. Mais nous avons la chance de recevoir régulièrement des CV intéressants. Notre activité attire de bons profils car notre métier est différent de celui d’une SSII classique. Les candidats y voient une occasion de participer à un challenge véritablement innovant. De plus, pour être attractifs, nous proposons d’office le travail en mode hybride et agile. Je peux vous donner l’exemple d’une collaboratrice dont le compagnon est muté à Barcelone. Nous lui avons proposé de travailler entièrement à distance et de revenir une fois par mois seulement au Luxembourg. De toute façon, la croissance et le succès sont à voir comme des opportunités plutôt que comme des difficultés. Si nous trouvons une solution satisfaisante pour la fabrication, la croissance ne sera vraiment pas un problème, notre modèle y est adapté.

Plus d'informations:

www.inui-studio.com


TEXTE Catherine Moisy - PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize et Aurélien George/iNUI Studio (6, 7 et 8)

Étape incontournable de la mise au point de l’interface utilisateurs, la maquette interactive permet de simuler la navigation d’une page à l’autre.
Des formules mathématiques sont à la base de l’algorithme de reconnaissance de gestes pour apporter toujours plus de précision au logiciel. Les écrans sont quant à eux modélisés en 3D.
Des formules mathématiques sont à la base de l’algorithme de reconnaissance de gestes pour apporter toujours plus de précision au logiciel. Les écrans sont quant à eux modélisés en 3D.
Les écrans qui fonctionnent avec la technologie sans contact AIRxTOUCH reconnaissent les gestes à 9 cm et réagissent à partir de 4 cm, avec une précision de 3 mm.
Les trois secteurs qu’iNUI Studio souhaite prospecter en priorité sont le tourisme (ici l’office de tourisme de la ville de Bergen en Norvège), le transport (ici la gare CFL de Luxembourgville) et la restauration (ici les premières bornes installées dans un restaurant St-Hubert au Canada).
Les trois secteurs qu’iNUI Studio souhaite prospecter en priorité sont le tourisme (ici l’office de tourisme de la ville de Bergen en Norvège), le transport (ici la gare CFL de Luxembourgville) et la restauration (ici les premières bornes installées dans un restaurant St-Hubert au Canada).
Les trois secteurs qu’iNUI Studio souhaite prospecter en priorité sont le tourisme (ici l’office de tourisme de la ville de Bergen en Norvège), le transport (ici la gare CFL de Luxembourgville) et la restauration (ici les premières bornes installées dans un restaurant St-Hubert au Canada).