Réforme du droit des faillites

 

La Chambre de Commerce a dans une récente publication[1] analysé en détails les dispositions de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficience des procédures de restructuration, d'insolvabilité et d'apurement et modifiant la directive 2012/30/UE. Cette proposition de directive a depuis lors été définitivement adoptée et est devenue la Directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive[2] (ci-après la " Directive (UE) 2019/1023 ").

Au niveau national, une réforme du droit de la faillite[3] (ci-après le " Projet de loi ") occupe, depuis maintenant plusieurs années, l'actualité législative et devrait pouvoir prochainement aboutir à de profonds changements en la matière.

Si une réforme du droit de la faillite à Luxembourg s'avère plus que nécessaire et bénéficie de tout le soutien de la Chambre de Commerce, celle-ci s'est néanmoins montrée critique à l'égard des versions successives du Projet de loi qui lui ont été soumises pour avis dans le cadre de la procédure législative[4]

A la lumière de la récente Directive (UE) 2019/1023, il convient désormais de se demander si le Projet de loi luxembourgeois actuellement en discussion est conforme aux lignes directrices de celle-ci. Il ne ferait en effet aucun sens de finaliser une réforme au niveau national qui devrait être modifiée quelques mois après son entrée en vigueur dans la cadre de la transposition de la Directive (UE) 2019/1023 qui devra être effectuée avant le 17 juillet 2021[5].

Comme indiqué lors de notre analyse précédente, la Directive (UE) 2019/1023 s'articule autour de plusieurs grands principes qui sont notamment la prévention, la mise en place de mesures de restructuration et l'octroi d'une seconde chance aux entrepreneurs faillis.

Si dans son ensemble, le Projet de loi semble conforme aux principes édictés par la Directive (UE) 2019/1023, les volets " prévention " et surtout le volet " seconde chance " du Projet de loi mériteraient d'être encore complétés et/ou revus sous peine de s'avérer incompatibles avec la nouvelle directive.

Il convient dès lors de voir plus en détail la compatibilité du projet de loi avec chacun des grands principes de la Directive (UE) 2019/1023.

I) La mise en place de cadres de restructuration préventive

L'article 4 de la Directive (UE) 2019/1023 dispose que " Les États membres veillent à ce que, lorsqu'il existe une probabilité d'insolvabilité, les débiteurs aient accès à un cadre de restructuration préventive leur permettant de se restructurer, en vue de prévenir l'insolvabilité et d'assurer leur viabilité, sans préjudice d'autres solutions visant à éviter l'insolvabilité, et de protéger ainsi les emplois et de maintenir l'activité économique".

La Directive (UE) 2019/1023 exige par conséquent des Etats membres qu'ils mettent en place des procédures de restructuration préventive permettant aux débiteurs en difficulté financière de se restructurer à un stade précoce de manière à éviter l'insolvabilité.

Dans le cadre de son volet préventif, le Projet de loi prévoit quant à lui la collecte de données sur les entreprises en difficultés par le secrétariat du Comité de conjoncture[6]. Le secrétariat du Comité de conjoncture sera ainsi chargé de suivre la situation des débiteurs en difficulté en vue de favoriser la continuité de leur entreprise ou de leurs activités et d'assurer la protection des droits des créanciers. Lorsqu'il estimera que la continuité de l'entreprise d'un débiteur est menacée, le secrétariat du Comité de conjoncture pourra inviter le débiteur afin d'obtenir toute information relative à l'état de ses affaires et de s'entretenir avec lui au sujet de mesures de réorganisation éventuelles.

Lorsque le débiteur le demandera, le ministre ayant l'Economie dans ses attributions pourra également désigner, sur proposition du secrétariat du Comité de conjoncture, un conciliateur d'entreprise en vue de faciliter la réorganisation de l'entreprise, de tout ou partie de ses actifs ou de ses activités[7]. Le conciliateur d'entreprise aura pour mission, que ce soit en dehors ou, le cas échéant, dans le cadre d'une procédure de réorganisation judiciaire, de préparer et de favoriser (i) la conclusion d'un accord amiable, (ii) l'obtention de l'accord des créanciers sur un plan de réorganisation ou (ii) le transfert par décision de justice à un ou plusieurs tiers de tout ou partie des actifs ou des activités.

Le Projet de loi instaure également une Cellule d'évaluation des entreprises en difficultés chargée d'apprécier l'opportunité des assignations en faillite à l'initiative de l'administration[8].

Enfin, de nouvelles procédures de réorganisation extrajudiciaire par accord amiable et de réorganisation judiciaire sont introduites avec pour but de permettre la continuité de tout ou partie des activités d'une entreprise en difficultés[9].

Il convient dès lors de constater que le Projet de loi semble de prime abord en conformité avec la volonté de la Directive (UE) 2019/1023 d'inciter les Etats membres à mettre en place des mesures préventives et de restructuration.

Cependant, en y regardant de plus près, la Chambre de Commerce est d'avis que le Projet de loi se concentre trop sur le volet " prédictif " de la faillite. Bien que des mesures allant dans le sens d'un renforcement des mesures préventives soient introduites dans le cadre du Projet de loi, notamment en lien avec le secrétariat du Comité de conjoncture et la Cellule d'évaluation des entreprises en difficulté, ces mesures interviennent, aux yeux de la Chambre de Commerce, bien trop tard dans la vie d'une entreprise en difficulté.

Ces mesures ont en effet plutôt vocation à prédire quand une entreprise va tomber en faillite au regard des informations (clignotants) qui seront transmises à ces différentes instances, que de véritablement prévenir les difficultés et aider les entreprises à les surmonter. Le Projet de loi est donc, de l'avis de la Chambre de Commerce, trop prévisionnel et pas assez préventif et il conviendrait de développer ce volet dans le Projet de loi en introduisant des mesures visant à aider les entreprises à un stade bien plus avancé, grâce à des personnes qualifiées, et ce à un coût raisonnable, le tout en tenant compte de leur taille.

Par conséquent, même s'il apparaît conforme aux exigences minimales prescrites par la Directive (UE) 2019/1023, la Chambre de Commerce estime que le volet préventif du Projet de loi devrait aller plus loin dans cette perspective. En effet, conformément à l'esprit de la nouvelle directive et dans l'optique d'éviter d'avoir besoin de recourir à des mesures de restructuration, un volet véritablement préventif permettant d'identifier bien en amont les difficultés et de prodiguer aux entreprises les conseils utiles au redressement de la situation serait plus que bienvenu.

II) Faciliter les négociations et l'adoption de plans de restructuration préventive

 La Directive (UE) 2019/1023 prévoit que les Etats membres devront veiller à ce que les débiteurs accédant à des mesures de restructuration préventive conservent totalement ou au moins partiellement le contrôle de leurs actifs et la gestion courante de leur entreprise[10]. De même, les débiteurs négociant un plan de restructuration avec leurs créanciers devront pouvoir bénéficier d'une suspension des poursuites individuelles[11].

Il convient de relever ici la concordance du Projet de loi avec la Directive (UE) 2019/1023 alors qu'il prévoit un sursis accordé au bénéficiaire d'une procédure de réorganisation judiciaire[12] et ne prévoit pas de dessaisissement du débiteur de la gestion de ses actifs pendant cette procédure.

Concernant la procédure d'adoption du plan de restructuration, l'article 49 du Projet de loi dispose que ce dernier sera tenu pour approuvé par les créanciers lorsque le scrutin recueillera le vote favorable de la majorité de ceux-ci, représentant par leurs créances non contestées ou provisoirement admises, la moitié de toutes les sommes dues en principal. Suite à cette audience, le tribunal décidera s'il homologue ou non le plan de réorganisation ainsi approuvé.

Si ces principes se retrouvent également dans la Directive (UE) 2019/1023, il convient de noter que certains points de la nouvelle directive, tels que par exemple l'introduction de classes de créanciers[13] basé sur le modèle notamment du système américain du " chapter 11 " et l'application forcée interclasse[14] ne figurent pas au sein du Projet de loi et nécessiteront dès lors des mesures de transposition ultérieures.

Voir le précédent article sur le sujet ici.  

 

 

[1] " A first analysis of the draft directive of the European Parliament and the Council regarding insolvency": https://www.cc.lu/actualites/detail/a-first-analysis-of-the-draft-directive-of-the-european-parliament-and-of-the-council-regarding-inso/
[2] Directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficacité des procédures en matière de restructuration, d'insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132
[3] Projet de loi n°6539 relative à la préservation des entreprises et portant modernisation du droit de la faillite
[4] Cf. avis 4095TAN/PEM du 2 décembre 2013 et avis 4095bis PEM du 6 mars 2019 de la Chambre de Commerce
[5] Article 34 de la Directive (UE) 2019/1023
[6] Article 5 du Projet de loi
[7] Article 9 du Projet de loi
[8] Article 8 du Projet de loi
[9] Articles 11 à 68 du Projet de loi
[10] Article 5 de la Directive (UE) 2019/1023
[11] Article 6 de la Directive (UE) 2019/1023
[12] Article 12 du Projet de loi
[13] Article 8 de la Directive (UE) 2019/1023
[14] Article 11 de la Directive (UE) 2019/1023