Révolution qualitative ou évolution quantitative ?

Affaires économiques

Perspectives économiques 2017

Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de Commerce et Marc Wagener, directeur affaires économiques

Dans un contexte international en mouvement, parfois dans des terrains inexplorés, certains concepts économiques jusqu'à présent d’actualité semblent remis en question. Par exemple, la tendance accrue à la déglobalisation, l’abandon d’une politique active de désendettement, la remise en question de la concurrence ou encore l’éloignement de la politique monétaire « traditionnelle ». Face à ces bouleversements, le Luxembourg devra adopter un comportement proactif pour faire avancer son modèle socio-économique. L’année 2017 sera-t-elle une année d’évolutions ou de révolutions pour le Luxembourg ? Pour tenter de répondre à cette question, la Chambre de Commerce examinera les attentes des entrepreneurs telles qu’elles ressortent de l’enquête Eurochambres 2017 ainsi que les thèmes qui devront faire l’objet d’une attention particulière en 2017, tels que la mobilité, l’environnement, le logement, etc.

Les concepts d’hier seront-ils ceux de demain ? Un « reality check » s’impose
Au-delà de sa croissance insatisfaisante et entourée de risques, l’économie mondiale évolue dans des territoires inconnus qui obligent à évaluer la validité de certains « concepts » qui prévalaient encore il y a peu mais qui sont remis en cause ou dont la signification évolue.

Tout d’abord, une certaine tendance de déglobalisation semble émerger. Entre le vote pro-Brexit, certains discours isolationnistes, voire populistes, la multiplication des discours politiques promettant la relocalisation des activités et des emplois industriels perdus, la grande difficulté des Européens à conclure l’accord CETA avec le Canada, la remise en question par certains des quatre libertés fondamentales de l’UE, une volonté d’ensemble semble se cristalliser dans le sens d’une forme de « micro-protectionnismes ». Cette remise en question des échanges internationaux arrive pourtant à un très mauvais moment (sachant qu’il n’y a jamais de bon moment pour s’isoler), car l’économie mondiale manque de souffle et elle ne peut en conséquence se priver du moteur qu’est le commerce entre nations. Alors que l’évolution du commerce mondial ralentit, la solution n’est donc pas le repli mais se trouve dans l’innovation, la qualité des biens et des services, la coopération, l’émergence de nouveaux modèles économiques et des accords de libre-échange équitables qui font en sorte que les avantages de la mondialisation se matérialisent en bénéfices réels, distribués de manière équitable.

Le deuxième concept qui mérite une attention particulière est celui du « deleveraging », à savoir la réduction de l’endettement, car le monde souffre, de toute évidence, de maux de dettes, la dette mondiale atteignant un niveau record de 225% du PIB correspondant à 150.000 milliards de dollars. Cela s’avère à la fois surprenant et dangereux. Surprenant, car la crise financière a été avant tout une crise de surendettement et le « deleveraging » semblait être une évolution naturelle. Mais ces chiffres montrent qu’il n’en a rien été, comme si les règles d’encadrement de l’endettement et de renforcement des fonds propres n’avaient concerné que le secteur financier et oublié le reste de l’économie. Cela est dangereux car toutes les études sont formelles à ce sujet : les crises sont plus sévères (longues et profondes) en situation de dette excessive. Par conséquent, alors que de plus en plus de voix (FMI, OCDE, Commission européenne) laissent entendre que des pays pourraient mettre en oeuvre des plans de relance et que le crédit est globalement bon marché, n’y a-t-il pas un risque de bulle de crédit dans de nombreux pays? En outre, après le « no » au vote constitutionnel en Italie, la question de la stabilité du système bancaire italien se pose plus que jamais, eu égard au stock important de créances douteuses dans les bilans des banques italiennes.

Quant au concept de productivité apparente du travail à savoir le « travailler mieux » et non pas le « travailler plus », les gains de productivité ralentissent presque partout dans l’OCDE. Il convient de contrecarrer ce phénomène, car la productivité est une précieuse boussole de la santé des économies, du niveau de vie à long terme et des possibilités d’évolution salariale. C’est aussi le seul vecteur permettant de consacrer la croissance dite « qualitative ». Dans l’incertitude, des mesures comme l’amélioration du système éducatif, la promotion de la formation tout au long de la vie, l’investissement dans la R&D et les infrastructures, un environnement fiscal incitatif, l’amélioration de l’environnement des affaires, des soutiens aux entreprises innovantes, la gestion intelligente du virage numérique des économies, etc. sont toujours bienvenues.

Le concept de « concurrence » semble également remis en question. A l’heure où l’on parle de plus en plus d’économie collaborative, on peut d’ores et déjà observer dans l’économie numérique une concentration croissante des activités, de même qu’un bouillonnement entrepreneurial. Il semble à la fois y avoir forte concentration, prime au gagnant dans l’économie numérique (principe du « winner takes it all ») et risque permanent de disruption. Il est également de plus en plus évident que la flexibilité et la taille comptent, « small is toujours beautiful, mais big enough seems even nicer ». Et la viabilisation du tissu économique, à travers la création d’entreprise et l’adaptation des entreprises traditionnelles à la nouvelle donne numérique sont des opportunités à ne pas rater. Pour le Luxembourg, économie ouverte par excellence vu sa 3e place au classement de l’Open Markets Index de l’International Chamber of Commerce, et ses entreprises résolument tournées vers l’international, ne pas rater ce virage digital est fondamental.

Enfin qu’en est-il de la politique monétaire dite « traditionnelle » ? Il semble en effet que la politique monétaire non conventionnelle soit devenue la norme, et que la sortie de cette politique soit particulièrement compliquée voire improbable dans un horizon proche. Dès lors avec des taux d’intérêt déjà au plus bas, des achats de titres (privés, publics et assimilés) assez conséquents, il y a lieu de s’interroger sur les « munitions » à disposition de la BCE en cas de nouveau choc récessif, la boîte à outils n’étant sans doute pas vide, mais la question de l’effectivité des outils restants peut être posée.

Et au Luxembourg ? 2017, l’année des évolutions ou des révolutions ?
Face aux développements qui bouleversent les économies, le Luxembourg doit se réinventer et révolutionner lui-aussi, ou tout au moins faire évoluer, son modèle.

L’étude stratégique autour de la « Troisième révolution industrielle », soutenue par le prospectiviste américain Jeremy Rifkin, et dont la Chambre de Commerce a été une partie prenante majeure, a été présentée en date du 14 novembre. Mais il ne s’agit que d’un commencement. La Chambre de Commerce a l’ambition d’être un partenaire de prédilection des entreprises pour les aider à réussir la transition vers une économie dé-carbonisée et interconnectée. 2016 fut l’année de la théorie, de la définition du « cap à atteindre », 2017 devra être celle de la mise en pratique.

Quant à la réforme fiscale et à la procédure budgétaire, si des adaptations paramétriques ont été amorcées, les changements systémiques sont toujours attendus : la révolution de l’architecture budgétaire n’a pas encore eu lieu, le « Paquet d’avenir » reste en-deçà des ambitions, la soutenabilité des finances publiques ne fait pas l’objet de toute l’attention méritée, la réforme fiscale nationale recèle quelques lacunes (taux global nominal d’imposition des sociétés parmi les plus élevés au sein de l’UE même après réforme, absence de remise en cause totale ou partielle de l’impôt sur la fortune ; absence de nouvelles dispositions sur la propriété intellectuelle ; absence d’une refonte de la fiscalité foncière ; absence de dispositions visant à faciliter l’accès des fonds d’investissements aux conventions préventives de double imposition, etc.), et les réformes internationales (BEPS, CCCTB, etc.) auront des impacts encore incertains Quel en sera l’impact à court et moyen termes pour le Luxembourg ?

Révolutionner le support à l’entrepreneuriat est une des volontés de la Chambre de Commerce, qui a toujours tenté de mettre en oeuvre ou de soutenir des initiatives visant à développer et à faciliter l’entreprenariat. La « House of Entrepreneurship » en est l’exemple par excellence et ambitionne de rassembler sous un seul toit les acteurs et les services de la chaîne de valeur du soutien à la création, au développement, à l’internationalisation et à la transmission d’entreprises.

Même si le divorce entre l’offre et de la demande de logements est acté depuis longtemps, les tensions sur ce marché persistent. Alors qu’il est peu probable que la situation connaisse une embellie spontanée, cette inadéquation demande des actions d’envergure de la part des autorités publiques. 2017 sera-t-elle l’année au cours de laquelle le marché du logement solidifiera ses fondations, avec notamment un coup de pouce à l’offre alors que la « boîte à outils » actuelle favorise plutôt la demande sans pour autant s’assurer que l’offre puisse suivre ?

Quant à la mobilité, autre facteur incontournable pour le développement à long terme du pays, tendons-nous vers un désengorgement de la ville de Luxembourg et des alentours ? L’entrée en service du tramway - un maillon nécessaire mais non-suffisant de la chaîne de mobilité - en automne 2017 est en effet source d’importantes espérances. Mais ce projet de longue haleine sera-t-il à la hauteur de ce défi de long terme ? Les plans sectoriels deviendront-ils réalité, permettant d’asseoir l’aménagement du territoire sur un nouveau piédestal ?

En matière d’environnement, la signature du traité de la COP21 ne peut être considérée comme une fin en soi, mais doit être vue comme une opportunité de poser les jalons d’une transition durable vers une société sobre en carbone. La Chambre de Commerce aura un rôle essentiel à tenir, afin d’aider les entreprises à percevoir ce changement non comme une menace mais comme une nouvelle occasion à saisir. 2017 verra-t-elle émerger plus que de la bonne volonté ?

Si des moyens importants ont déjà été investis en vue d’une plus grande diversification économique du Luxembourg, les retombées concrètes pour l’économie se précisent de plus en plus. Même si les activités liées aux technologies de l'espace font l’objet d’une attention particulière depuis plus de trois décennies, le lancement de l’initiative SpaceResources.lu devrait donner une impulsion nouvelle au développement de ces dernières. Le Luxembourg devient en effet le premier pays européen à créer un cadre juridique établissant les droits des acteurs privés sur les ressources qu’ils vont extraire de l’espace, sur les astéroïdes par exemple, le but du Grand-Duché étant de devenir un pionnier dans l’exploration et la commercialisation des ressources des objets géocroiseurs, comme les astéroïdes. En outre, les efforts visant à diversifier et à promouvoir la place financière devraient se poursuivre en 2017, avec notamment une attention particulière sur les FinTechs. La logistique ou encore le Luxembourg Automotive Campus, dédié à la recherche et à l’innovation dans le secteur automobile, contribueront également à soutenir la diversification du tissu productif luxembourgeois. Ces niches de compétences seront-t-elles les secteurs porteurs de demain ? Les premières indications pointent en effet dans la bonne direction.

Le Luxembourg a lancé un processus de « Nation Branding » en 2014. La nouvelle identité visuelle du pays, une « signature » sous forme de promesse (« Let’s make it happen ») ainsi que les outils et actions pour promouvoir le Grand-Duché doivent permettre aux différents acteurs de communiquer sur le Luxembourg et ses atouts de façon positive, cohérente et homogène, afin de développer une image forte et attrayante du pays. 2017, année de large diffusion de la nouvelle image du Grand-Duché avec des effets positifs sur la réputation à l’international ?

2017 passée au crible par les entrepreneurs luxembourgeois
Les résultats de la 24e édition de l’enquête Eurochambres (voir annexe pour plus de détails), qui se basent pour le Luxembourg sur pas moins de 575 réponses, sont encourageants, dans leur ensemble et malgré quelques bémols, en ce qui concerne l’année 2017. Ainsi, l’économie luxembourgeoise devrait croître en 2017 à un rythme similaire à celui enregistré en 2016.

En termes de climat des affaires, 10 ans ont été nécessaires pour retrouver les niveaux pré-crise. La tendance à la hausse se poursuit en 2017, quoique de manière moins franche dans l’industrie que dans les services, pour lesquels les résultats n’ont plus été aussi favorables depuis de nombreuses enquêtes.

Les résultats sont plus fluctuants d’une enquête à l’autre en ce qui concerne le chiffre d’affaires à l’exportation, en réponse à la volatilité des marchés internationaux ? Les anticipations pour 2017 sont toutefois positives.

Les anticipations pour 2017 en termes d’emploi atteignent des records dans les services. Malgré une baisse par rapport aux résultats pour 2016, l’emploi dans l’industrie devrait quant à lui rester en 2017 dans le haut des tendances.

Quant aux investissements, leur ampleur est contrastée selon les secteurs. Ils sont orientés à la hausse dans les services et à la baisse dans l’industrie, mais les résultats globaux restent positifs et relativement optimistes au vu des années antérieures.

Quant aux principaux défis mis en évidence par les entrepreneurs luxembourgeois, le manque de main-d'oeuvre qualifiée, les coûts du travail et la demande intérieure restent les principaux facteurs d’inquiétude. Le Brexit n’est, par contre, pas identifié comme un défi de premier ordre.

Au vu du contexte international et de la situation prévalant au niveau national, la Chambre de Commerce appelle à tourner le dos aux discours isolationnistes et plaide pour une politique d’ensemble. Elle espère que les « révolutions » précitées seront mises en oeuvre au plus vite, car elles façonneront l’avenir du pays. Elle estime enfin qu’un soutien actif doit être adressé aux entrepreneurs afin qu’ils puissent faire face aux mutations de l’économie de façon sereine.