Affaires économiques

Un budget anti-cyclique pour contrer la crise: défis et opportunités

(De g. à d.) Carlo Thelen, chef Economist et membre du comité de direction de la Chambre de Commerce; Pierre Gramegna, directeur de la Chambre de Commerce et Muriel Bouchet, conseiller auprès du Département économique de la Chambre de Commerce, lors

Le constat de départ: une situation économique difficile aux conséquences multiples

Le monde, la zone euro et le Luxembourg vivent actuellement une situation économique à la fois difficile et aux conséquences multiples. Les perturbations financières, le rationnement du crédit et la perte de confiance des agents économiques ont induit un brusque ralentissement économique dans la quasi-totalité des pays de la planète, certains d’entre eux subissant actuellement une croissance négative. Si cette crise se distingue, par son ampleur inaccoutumée, des précédentes phases de ralentissement, elle diffère néanmoins sans ambiguïté aucune de la dépression mondiale amorcée en 1929. Avec le recul de l’histoire, il apparaît que la « Grande Dépression » a en grande partie résulté d’une réaction assez tardive des autorités gouvernementales et d’une politique monétaire extrêmement restrictive, qui avait d’ailleurs induit une diminution marquée des prix.

Rien de tel actuellement. En premier lieu, tant le Gouvernement luxembourgeois que les autorités internationales ont rapidement réagi, afin d’endiguer le développement et la propagation de la crise financière. Les autorités monétaires ont quant à elles procédé aux injections de liquidités requises, à rebours de la situation observée en 1929. Les mesures nationales couplées à celles prises de manière coordonnée aux niveaux européen et international devraient être de nature à ramener la confiance et à atténuer l’instabilité et l’incertitude prévalant encore actuellement.

En second lieu, les fondamentaux de l’économie luxembourgeoise sont sains. L’atteste notamment une croissance toujours soutenue de l’emploi et une dette publique parmi les plus faibles en Europe. Par ailleurs, la grande majorité des entreprises luxembourgeoises ainsi que le secteur financier sont bien gérés et reposent sur des bases solides.

Au niveau luxembourgeois, une incertitude majeure subsiste néanmoins : le Luxembourg a enregistré une croissance économique très élevée au cours des trente dernières années (près de 5% en moyenne de 1975 à 2007), ce qui lui a permis de financer des transferts sociaux d’une générosité pratiquement sans équivalent à travers le monde. Il est possible que le présent ralentissement économique ne dure que quelques années, en attendant le retour à une croissance « tendancielle » élevée. A l’inverse, le ralentissement économique pourrait être le prélude à une croissance économique durablement plus modeste. Le Luxembourg se doit de tout mettre en œuvre afin d’éviter une telle rupture. Dans une optique empreinte de prudence, il conviendrait en parallèle d’adopter des réformes de structure permettant d’atténuer la vulnérabilité des finances publiques luxembourgeoises à un taux de croissance s’établissant durablement à un niveau en phase avec les taux de croissance de 1,5 à 2% souvent observés dans les pays limitrophes.

Evaluation de la politique budgétaire par la Chambre de Commerce

Les finances publiques dans une optique de court terme

Le projet de budget 2009 se solde par un excédent de l’ordre de 13 millions d’euros. Ce résultat est cependant basé sur une définition étroite de l’Etat central, conformément à la comptabilité traditionnelle luxembourgeoise. La notion d’Administration centrale, privilégiée par les comptables nationaux et par les autorités européennes, est bien plus riche d’enseignements. Comme l’indique le volume III du projet de budget, dont la Chambre de Commerce salue une fois encore l’existence, l’Administration centrale incorpore explicitement les dépenses des fonds spéciaux, des établissements publics, de certaines fondations et des services de l’Etat à gestion séparée.

Au contraire de l’Etat central, l’Administration centrale serait nettement déficitaire en 2009, à raison de 1,8% du PIB selon les auteurs du budget, alors qu’elle présentait encore un surplus de 0,8% du PIB en 2007. Au niveau des administrations publiques, qui comprennent outre l’Administration centrale les pouvoirs locaux et la sécurité sociale, un excédent serait toujours de mise en 2009 selon les auteurs du projet de budget. Ce surplus serait alimenté par la sécurité sociale, qui dégagerait une capacité de financement de quelque 2,7% du PIB en 2009. Ce résultat montre à quel point l’équilibre budgétaire des administrations publiques luxembourgeoises dépend de la seule sécurité sociale.

L’excédent des administrations publiques projeté pour 2009, qui se monterait à 1,1% du PIB, ne doit cependant pas inciter à un trop grand relâchement sur le front des finances publiques. En premier lieu, cet excédent serait bien inférieur au surplus de quelque 3,2% du PIB encore enregistré en 2007, certes dans des circonstances exceptionnellement favorables. En second lieu, le projet de budget repose sur un taux de croissance en volume du PIB de 3% en 2009. Or la Commission européenne estime dans ses récentes prévisions que la croissance économique se limitera à 1,2% en 2009.

Le solde des administrations publiques devrait donc en définitive se détériorer bien plus rapidement que ne le prévoient les auteurs du projet de budget, qui ne pouvaient, il est vrai, identifier la portée réelle du ralentissement économique lors de l’élaboration des documents budgétaires.

Cette brusque détérioration refléterait notamment la décélération économique et les mesures fiscales adoptées en 2008 (notamment adaptation des barèmes fiscaux de 6%, bonus fiscal pour enfants à charge) et surtout en 2009. L’année 2009 verrait en effet la mise en œuvre d’un allégement fiscal significatif, de l’ordre de 1,5% du PIB, sous l’effet des mesures suivantes :

  • une nouvelle adaptation, de 9%, du barème de l’impôt sur le revenu des personnes physiques ;
  • l’instauration de trois nouveaux crédits d’impôt ;
  • l’abolition du droit d’apport ;
  • la diminution de 22 à 21% du taux de l’impôt sur le revenu des collectivités et
  • diverses mesures fiscales en faveur du logement.

Ces mesures stimuleront le pouvoir d’achat des ménages et devraient permettre de limiter la faiblesse de la demande intérieure. Cette politique de stimulation de la consommation domestique sera assortie d’une dynamisation des investissements publics, ce qu’il faut saluer. Car ce sont les investissements publics qui permettent de relancer l’activité des entreprises luxembourgeoises et notamment les PME. La Chambre de Commerce recommande au Gouvernement de mettre en œuvre de manière rapide et efficace les projets à fort potentiel de développement économique et intenses en emplois, de même que ceux pouvant être réalisés à très court terme. Les procédures et charges administratives doivent dans ce contexte être réduites au strict minimum.

La Chambre de Commerce se félicite de l’adoption par le Gouvernement de ces diverses mesures fiscales et d’un ambitieux programme d’investissement. Cette démarche contribuera à atténuer l’ampleur de la décélération économique, le tout dans une perspective résolument anti-cyclique. L’instauration de nouveaux crédits d’impôt sera particulièrement efficace de ce point de vue, car elle cible les ménages dont la propension à consommer est la plus élevée. L’introduction d’un crédit d’impôt relatif aux intérêts débiteurs liés à l’habitation principale aurait d’ailleurs permis de poursuivre plus avant cette logique. Les mesures adoptées en faveur des sociétés sont quant à elles indispensables et constituent même un minimum minimurum, tant les entreprises sont mises à rude épreuve dans le présent contexte. Le Gouvernement a par ailleurs annoncé à l’occasion du plus récent discours sur l’état de la nation que le taux global de l’impôt des sociétés serait graduellement ramené à 25,5%. Il serait bon de préciser l’échéancier de cette réduction. Le signal envoyé aux entreprises domestiques et étrangères conforterait l’activité économique sans pour autant grever le budget 2009. Enfin, si la Chambre de Commerce se félicite de la suppression du droit d’apport, impôt anti-économique par excellence, elle se montre circonspecte quant au niveau ce certains droits d’enregistrement appelés à se substituer au droit d’apport.

La Chambre de Commerce est d’avis que le projet de budget de 2009 constitue une réponse adaptée aux problèmes se posant à courte échéance aux acteurs économiques face à la crise économique et financière. A moyen et long terme, les défis afférents exigent des actions et mesures autrement plus exigeantes. En effet, le budget 2009 risque d’être le dernier dans une longue série de budgets ayant reposé sur des performances économiques systématiquement plus élevées par rapport à la moyenne européenne.

Les finances publiques dans une optique de moyen et long terme

Pour affronter les enjeux de moyen et long terme, le Gouvernement ne pourra pas se limiter aux mesures décrites plus haut et devra envisager des réformes structurelles importantes. La crise économique et financière qui touche toute la planète aura en effet des conséquences durables tant sur la gouvernance de l’économie de marché que sur le fonctionnement des marchés financiers dont l’architecture reste à dessiner. Le Luxembourg devra autant que possible anticiper les changements ou tout le moins les préparer, ce qui exigera des réformes en profondeur. Elles devront avoir pour objectif de contrôler plus efficacement qu’aujourd’hui l’efficience et le volume des dépenses publiques courantes, car les recettes fiscales risquent de baisser sérieusement sous le double effet du ralentissement économique international et de l’affaiblissement du secteur financier dans le monde et au Luxembourg. Des réformes structurelles deviendront également inévitables pour renforcer la compétitivité des entreprises, seul moyen d’assurer les parts de marché dans une économie globalisée. La Chambre de Commerce se réfère dans ce contexte à la réunion de concertation entre le Gouvernement luxembourgeois et l’UEL du 5 novembre 2008, qui a d’ailleurs fort heureusement montré une grande convergence de vue sur le diagnostic de la situation économique et financière mondiale et de ses répercussions pour le Luxembourg.

La Chambre de Commerce tient en particulier à souligner les dangers inhérents à une augmentation conjointe de la dette « officielle » des administrations publiques, qui est passée de 7% du PIB en 2007 à 14% en 2008 en raison des apports de l’Etat aux banques Fortis et Dexia, et de la dette « cachée ».

Cette dernière recouvre les engagements futurs de la sécurité sociale. Pour rappel, selon le Comité de Politique Economique et la Commission européenne, les dépenses publiques luxembourgeoises augmenteront de 6% du PIB d’ici 2030 et de 8% du PIB d’ici 2050 du fait du vieillissement de la population. Il en résulterait une dette publique très élevée, de plus de 150% du PIB, en 2050. Ces résultats reposent pourtant sur une hypothèse de croissance économique de 3% par an. Un taux durablement plus bas accroîtrait encore les difficultés de financement de notre modèle social, ce qui souligne la nécessité absolue et l’urgence de réformes structurelles en la matière.

Le Conseil Supérieur pour le Développement Durable (CSDD) met en outre en exergue d’autres défis à la soutenabilité des finances publiques, tels que l’étiolement progressif des recettes issues des ventes d’hydrocarbures, d’alcool et de tabac ou induites par le commerce électronique, ainsi que la montée en puissance des dépenses liées à la lutte contre l’émission de gaz à effets de serre (voir le Fonds Kyoto notamment). La Chambre de Commerce appelle les autorités à prendre pleinement la mesure des charges induites pour les finances publiques, le tout dans une perspective intégrée. L’idéal serait même la constitution de comptes intergénérationnels pour le Luxembourg, prenant en compte la distribution dans le temps des recettes et des dépenses des administrations publiques, et ce sur un horizon de très long terme. Le Luxembourg devrait bien entendu veiller à équilibrer ces comptes intergénérationnels dès que possible.

Toujours sur le plan des réformes structurelles, la Chambre de Commerce rappelle également sa proposition de création d’un fonds souverain luxembourgeois, lequel est d’ailleurs recommandé par le CSDD. Un tel fonds pourrait être alimenté par l’exploitation de gains d’efficience sur le versant des dépenses courantes.

Recommandations de la Chambre de Commerce : les défis et opportunités

La Chambre de Commerce fait siennes les propositions formulées par l’UEL à l’attention du Gouvernement qui préconisent un plan d’actions, comportant 8 points susceptibles d’améliorer la résistance du Luxembourg à la crise tout en garantissant le maintien à un niveau élevé du taux de croissance potentiel de l’économie, qui importe énormément pour notre modèle social. La Chambre de Commerce tient à insister tout particulièrement dans cette perspective sur la nécessité de poursuivre résolument les actuels efforts de diversification économique.

Ces 8 points, qui sont davantage explicités dans l’avis budgétaire de la Chambre de Commerce, sont les suivants :

  • Une communication empreinte de transparence et de pragmatisme, afin d’éviter de miner inutilement la confiance et d’alimenter des comportements irrationnels.
  • La restauration du crédit aux entreprises et aux particuliers. Toute action en la matière permettra de limiter la diffusion à l’économie réelle des perturbations financières.
  • L’indispensable rétablissement de la compétitivité. Dans son récent bilan 2008, l’Observatoire de la compétitivité souligne diverses carences en la matière. En termes de compétitivité globale, le Luxembourg a subi en 2007 une détérioration marquée par rapport à l’année précédente, puisqu’il perd trois places. Cette situation dommageable reflète principalement les mauvaises performances du Luxembourg en matière d’emploi (17ième), de fonctionnement des marchés (18ième), d’entrepreneuriat (18ième) et d’environnement (20ième). Par ailleurs la compétitivité coût et prix du Grand-Duché se dégrade. Il importe de remédier au plus vite à cette situation.
  • Une relance sélective des investissements publics. La réalisation intégrale du programme d’investissement prévu dans le programme pluriannuel des dépenses en capital s’impose. Il conviendrait même de prévoir des investissements additionnels dans des domaines particulièrement intensifs en main-d’œuvre. Ce volet additionnel serait financé au moyen d’un ajustement à la baisse de divers crédits courants non essentiels.
  • Selon le professeur Lionel Fontagné, un glissement des dépenses courantes vers les dépenses d’investissement à raison de 5% du budget total induit une hausse de 0,5% par an du taux de croissance potentiel de l’économie luxembourgeoise.
  • Une fiscalité plus stimulante dans le présent contexte.Les conséquences à court terme de la crise pourraient également être palliées par la mise en œuvre de mesures telles que le relèvement du plafond de déduction des intérêts hypothécaires, voire même l’instauration d’un crédit d’impôt en la matière. L’impact budgétaire de cette mesure pourrait être atténué par le biais d’une limitation dans le temps de ses effets (jusque fin 2009 par exemple), ce qui contribuerait à en accroître l’efficacité en temps de crise. L’octroi d’avantages fiscaux (ou autres) limités dans le temps pourrait d’ailleurs être étendu aux biens durables, par exemple les voitures dites propres. Enfin, Il serait bon de préciser l’échéancier de la réduction du taux global de l’impôt des sociétés, cette réduction ayant déjà été annoncée par le Gouvernement.
  • Une gouvernance publique à même de renforcer la stabilité et la capacité de réaction de l’économie luxembourgeoise. Elle comporterait notamment la mise en œuvre d’une nouvelle présentation budgétaire, laquelle reposerait sur une logique du résultat basée sur des indicateurs de performance. La Chambre de Commerce recommande également une réévaluation récurrente des grands postes de dépenses, une extension dans le secteur public de la rémunération à la performance (augmentations en fonction de la performance, primes ponctuelles spécifiques selon le mérite et le respect d’objectifs prédéterminés) et enfin une simplification des procédures administratives.
  • Poursuivre et même accentuer les efforts de diversification économique. La Chambre de Commerce se félicite de la montée en puissance des moyens octroyés à la R&D et à l’Université du Luxembourg au cours des dernières années. Elle salue également les contrats de performance entre l’Etat et les centres de recherche publics ainsi que l’agence Luxinnovation. Il convient également de signaler la logistique, les technologies d’information et de télécommunication, les technologies environnementales, la politique de clusters et le projet de médecine moléculaire lancé en juin 2008. Ces initiatives extrêmement louables constituent le socle à partir duquel il serait possible de concevoir une politique intégrée visant à promouvoir l’économie de la connaissance au Luxembourg. Il s’agirait de faire du Luxembourg un pôle d’attraction dans ce domaine, avec à la clef la constitution d’avantages comparatifs.
  • Des plans d’action sectoriels ayant pour objet de diversifier l’économie et de relancer le potentiel de croissance des entreprises permettraient de préciser certaines mesures ou d’y ajouter des mesures plus spécifiques. Il importe cependant que de tels plans d’action soient rapidement élaborés et mis en œuvre avec la plus grande célérité, car la diversification de l’économie luxembourgeoise n’est plus une option : c’est une obligation absolue.

Aux yeux de la Chambre de Commerce, le projet de budget de 2009 est un moyen approprié de transition pour permettre au pays de passer un premier cap difficile. Cependant, il est dès à présent évident que les budgets suivants, élaborés sous la responsabilité du Gouvernement issu des élections de juin 2009, devront comporter des mesures plus incisives, surtout du côté des dépenses courantes, et refléter des réformes structurelles ambitieuses, sans lesquelles le pays ne pourra pas revenir sur une trajectoire de croissance potentiellement plus élevée que dans les pays voisins, avec toutes les conséquences en découlant sur la compétitivité du pays, son modèle social et ses engagements à long terme.