Enovos est le principal fournisseur d’énergie du Luxembourg. La société fournit de l’électricité et du gaz naturel aux entreprises industrielles, aux PME et aux ménages du pays. Mais son activité va bien au-delà de la simple fourniture d’énergie, notamment via le développement de projets dans le domaine des énergies renouvelables ou encore de la mobilité électrique. Ainsi, la transition énergétique est présente à tous les stades de la chaîne de valeur d’Enovos : de la production d’énergie renouvelable jusqu’à la fourniture d’énergie et de services au client. Cela fait d’Enovos un pilier majeur du groupe Encevo dont l’actionnaire principal est l’État. Pour répondre à nos questions, nous avons rencontré Claude Simon, Head of BU Sales Luxembourg, et Anouk Hilger, Head of Renewables Luxembourg.
On ne connaît pas forcément bien les composantes du marché luxembourgeois de l’électricité. Pouvez-vous nous dire qui sont les acteurs en présence?
Claude Simon: Actuellement, il y a neuf entreprises actives sur le marché de détail de l’électricité au Luxembourg. Six d’entre elles sont actives sur le marché résidentiel. Enovos, ArcelorMittal Energy, Leo et Sudstroum sont les quatre plus grands acteurs du marché. ArcelorMittal Energy fournit cependant principalement les usines d’ArcelorMittal.
Pouvez-vous rappeler d’où vient l’électricité vendue au Luxembourg et notamment l’électricité «verte»?
C. S.: La plus grande partie de l’électricité consommée au Luxembourg vient d’Allemagne, qui est le pays auquel nous sommes historiquement rattachés pour la fourniture d’électricité. Le marché allemand est lui-même interconnecté avec d’autres pays d’Europe car le marché européen est fondé sur l’interconnexion et la solidarité entre les pays. L’électricité produite sur le sol luxembourgeois atteignait 19% de la consommation du pays en 2022. La plus grande partie de cette production est obtenue grâce à des sources renouvelables (16,3%); le reste est, entre autres, produit en cogénération. En ce qui concerne la production d’électricité sur base de sources renouvelables, les grands territoires comme l’Allemagne ont un net avantage; les espaces plus étendus permettent de concevoir des infrastructures de plus grande envergure permettant de produire de l’énergie à coûts réduits. Chez nous, au Luxembourg, les parcs éoliens ou photovoltaïques sont de taille plus modeste et les effets d‘échelle jouent moins. Il est donc plus compliqué d’obtenir des prix compétitifs pour l’électricité produite sur base de sources renouvelables, d’autant que nous sommes tributaires de la force du vent, qui est plus faible qu’en mer du Nord par exemple et des heures d’ensoleillement qui peuvent varier.
Comme l’électricité consommée au Luxembourg est produite en Europe, peut-on dire qu’il n’y a pas de risque d’approvisionnement ?
C. S.: Pour l’électricité produite sur notre territoire, le risque vient essentiellement des conditions météorologiques. Quand la production baisse, nous sommes parfois obligés de faire appel à des sources alternatives chez nos voisins. D’où l’importance de la solidarité européenne que j’évoquais tout à l’heure. Nous avons eu récemment un exemple de cette solidarité lorsque la France a été confrontée au problème de ses centrales nucléaires en maintenance. Les pays voisins sont venus à la rescousse. Quand la consommation est à un niveau élevé partout en revanche, la part du gaz, voire du charbon remonte dans le mix énergétique. Tout cela est prévu dans des plans de sécurité à l’échelle européenne.
Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs quels sont les éléments constitutifs du prix de l’électricité?
C. S.: C’est assez simple. Ce prix est constitué de trois éléments principaux. Le premier élément est l’énergie proprement dite, qui est un peu plus onéreuse quand il s’agit d’énergie renouvelable, dont l’origine renouvelable est certifiée par des certificats «garanties d’origine». Le deuxième élément correspond au coût du transport et de distribution, sorte de péage que l’on paye pour que l’énergie puisse circuler dans les réseaux. Et enfin, un certain nombre de taxes sont déterminées par chaque État. Dans le cas du Luxembourg, nous avons par exemple une contribution au fonds de compensation mis en place pour supporter la production d’électricité sur base d’énergies renouvelables.
Quels sont les projets pour développer l’électricité «verte» produite au Luxembourg? Sommes-nous sur la bonne trajectoire pour atteindre 35-37% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique du Luxembourg d’ici 2030?
Anouk Hilger : En ce qui concerne les énergies renouvelables, l’objectif de l’Europe est d’atteindre 45% dans le mix énergétique à l’horizon 2030. Pour le Luxembourg, le Plan National intégré en matière d’Énergie et de Climat (PNEC) détaille les objectifs pour chaque type d’énergie. Pour l’électricité «verte» produite localement, l’objectif est d’atteindre 37% de la consommation. Et pour cela, nous comptons essentiellement sur l’éolien et le photovoltaïque. Pour la production de chaleur, nous avons aussi la biomasse issue du bois de rebut et nous avons également quelques projets en géothermie. Au niveau national, le défi du secteur électricité est donc de passer de 17% d’énergie renouvelable actuellement, à 37% en 6 à 7 ans. Nous sommes confiants sur le fait que nous y arriverons car beaucoup de projets de nouvelles centrales sont en cours d’élaboration en collaboration avec des partenaires et les communautés locales. Dans ce domaine, les capacités n’augmentent pas linéairement mais par palier. Quand un parc éolien est mis en service ou une grande centrale photovoltaïque inaugurée, la progression est tout de suite très significative. En 2023, les projets qui sont en cours de mise en service vont faire augmenter d’un seul coup la capacité installée d’environ 30%. Nous espérons que les objectifs européens ambitieux vont encourager les États à accélérer les processus d’autorisation des projets de nouvelles infrastructures. Un potentiel important existe dans le photovoltaïque, qui est très intéressant car il permet dans la plupart des cas d’avoir une double utilisation des espaces existants comme des toitures, des ombrières, voire des plans d’eau comme dans un projet que nous avons mené en collaboration avec ArcelorMittal. À cela s’ajoute ce que l’on appelle l’agri-photovoltaïque, réalisé en collaboration avec des agriculteurs. Sur une même parcelle ceux-ci ont la possibilité de faire des cultures ou de l’élevage et produire de l’électricité pour un complément de revenu tout en contribuant à la préservation de la biodiversité. Ce qui nous rend également confiants dans l’atteinte des objectifs est l’évolution rapide des technologies. Les éoliennes d’aujourd’hui sont trois à quatre fois plus performantes que les premières qui ont été installées il y a 20 ans. Il en faut donc moins pour produire autant, voire plus. Lors des récents projets de repowering, le nombre d’éoliennes a été divisé par deux alors que la production a doublé. Ces nouvelles performances permettent également d’installer des éoliennes sur des sites plus bas, moins venteux car elles captent mieux le moindre souffle d’air.
Dans la plupart des secteurs, plus il y a de demande, mieux c’est pour un fournisseur. Mais dans le domaine de l’énergie, ce n’est pas forcément le cas. Pouvez-vous nous expliquer cela?
C. S.: En effet ce n’est pas le cas, surtout depuis que les prix sont devenus particulièrement volatiles. Quand la demande est forte, si on traverse un hiver froid ou que la conjoncture économique est bonne par exemple, on est parfois obligé d’acheter de l’énergie au prix fort sans pouvoir le répercuter sur les prix de ventes qui eux sont établis longtemps à l’avance dans le cadre des contrats de vente. À l’inverse, quand la production est élevée grâce à des conditions météo favorables et que la demande est faible, on est parfois obligé de trouver des débouchés auprès du marché de gros, à un prix moindre. En fait, l’idéal serait que les prévisions de consommation soient en ligne avec les consommations réelles. Mais les prévisions deviennent de plus en plus difficiles à établir. Et cela représente le vrai challenge du futur. D’autant plus que dans le cas des énergies renouvelables la production est moins prévisible car dépendante des conditions météorologiques. Nous devons donc aller petit à petit vers une adaptation de la demande ou tout au moins des moments de consommation à l’offre, plutôt que l’inverse. D’ailleurs nous soutenons des projets de recherche qui vont dans ce sens. Cela nécessitera certaines adaptations de la chaîne de valeur.
Dans quels domaines investissez-vous le plus en innovation?
C. S.: Via la Fondation Enovos, nous finançons des projets de recherche qui s’intéressent surtout aux clients, à leurs besoins et à leurs comportements. Nous avons par exemple un projet de recherche en collaboration avec l’Université du Luxembourg (UNI) pour comprendre quels seraient les meilleurs incitatifs pour influencer le moment de charge des voitures électriques, pour orienter ceux-ci sur les plages horaires où l’électricité est la plus disponible, soit les heures creuses. Les recherches visent aussi à déterminer quels sont les meilleurs moyens de communication pour arriver à ce résultat et quel niveau d’avantage financier éventuel permet de modifier un comportement. Avec l’UNI, nous avons aussi un projet de recherche qui intègre un outil d’intelligence artificielle pour améliorer les prévisions de consommation. A. H. : Pour ce qui concerne ma partie, nous étudions aussi les solutions de stockage d’énergie par batteries pour de grandes installations industrielles. Et il y a aussi les études et recherches liées à la production d’hydrogène. Notre but est de produire de l’hydrogène «vert» donc fabriqué grâce à de l’énergie renouvelable. Nous menons des projets pilotes en collaboration avec des partenaires industriels qui nous permettent d’étudier les différentes technologies de production d’hydrogène ainsi que des cas d’utilisation potentiels, par exemple comme carburant pour les transports ou à des fins industrielles. Enfin, pour l’agri-photovoltaïque, nous étudions différents concepts d’installation de panneaux, soit verticaux, soit avec trackers, qui permettent d’optimiser la surface au sol pour rendre les champs photovoltaïques encore plus compatibles avec une activité agricole.
Vous encouragez également le recours à l’efficience énergétique. Pouvez-vous nous en parler ?
C. S.: Nous avons mis en place un fonds appelé nova naturstroum pour participer entre autres au financement de projets favorisant l’efficience énergétique. Ce fonds s’adresse aux particuliers et aux petits professionnels. Il peut s’agir également de projets présentés par des communes. Pour les particuliers et les entreprises nous avons aussi lancé le système des enoprimes (enoprimes.lu/fr/entreprises). Il s’agit d’un programme qui récompense les mesures en faveur d’économies d’énergie par l’octroi d’une prime, par exemple pour des projets de rénovation énergétique, d’isolation thermique ou encore pour l’achat d’appareils moins énergivores. Un calculateur en ligne permet de simuler la prime en fonction des données de chaque client.
Et comment fonctionnent les aides de l’État pour le photovoltaïque?
C. S.: Pour les personnes ou entreprises intéressées par l’installation d’une centrale photovoltaïque, l’État subventionne les projets jusqu’à 30 kW, à hauteur de 62,5% du montant de l’investissement, pour les installations en autoconsommation. Certaines communes abondent cette aide, ce qui rend ce type de projets très abordables… Pour les installations de 30 kW à 60 kW en autoconsommation, un régime d’aides spécifiques est en place pour les entreprises.
A.H.: Pour les installations plus puissantes, il y a les appels à projets lancés par l’État. Dans ce cas, l’aide prend la forme d’un prix garanti pour l’électricité injectée dans le réseau. Depuis cette année, un autre modèle a été mis en place dans lequel c’est l’investissement de départ qui sera subventionné alors que l’électricité produite est autoconsommée. En général, le potentiel de développement de projets photovoltaïques est encore important au Luxembourg quand on considère les halls logistiques, les toitures de bâtiments industriels ou tertiaires, les centres commerciaux… En 2020, nous avons fait un très beau projet avec Arthur Welter Logistics sur leur nouveau site de Dudelange. Impliqués dès la phase de construction du bâtiment, nous avons pu travailler avec les architectes et le bureau d’ingénieurs pour optimiser les caractéristiques de la toiture et l’accueil de la centrale. Tous les autres équipements de toiture ont été rassemblés en un seul endroit pour libérer un maximum d’espace pour les panneaux. Les entreprises ont de plus en plus souvent le réflexe de s’intéresser à ces possibilités quand elles disposent de surfaces adéquates. Nous avons récemment fait une présentation devant un public d’architectes pour les sensibiliser à la nécessité de concevoir des toitures adaptées à ces projets.
La population du Luxembourg croît rapidement. En parallèle, chaque ménage ou entreprise possède de plus en plus d’équipement nécessitant de l’électricité, sans compter le parc des voitures électriques qui augmente rapidement. Ces situations représentent-elles un défi pour vous?
C. S.: Il y aura possiblement une demande accrue d’électricité à l’avenir mais il faut voir la totalité du tableau. Nous commençons à voir les effets positifs d’une combinaison de facteurs, les efforts collectifs d’économies d’énergie, la décentralisation de la production d’énergie grâce aux possibilités offertes aux particuliers et entreprises pour produire eux-mêmes de l’énergie renouvelable et les progrès technologiques qui font que les appareils de toutes sortes sont moins gourmands en énergie. Si, en parallèle, nous réussissons à améliorer les prévisions de consommations et aligner la consommation sur les pics de production, nous pouvons aborder la situation beaucoup plus sereinement. Pour arriver à l’équilibre, il s’agit donc d’un concours de vitesse entre la hausse des besoins de consommation d’une part et l’amélioration de l’efficience énergétique d’autre part. La crise énergétique actuelle accélère l’adoption de comportements plus sobres, ce qui est plutôt une bonne chose.
Que propose Enovos dans le domaine de l’électromobilité?
C. S.: Nous avons une offre qui s’appelle Enodrive. Celle-ci combine une carte de recharge avec une application mobile qui permet au client de consulter son historique des sessions de recharge, de localiser des bornes et leur disponibilité en temps réel et de consulter les tarifs. Ailleurs dans le groupe Encevo, d’autres services sont proposés également, dont l’installation de bornes de recharge pour particuliers ou entreprises. Dans le cas d’une entreprise avec un parc automobile par exemple, le service inclut la comptabilisation des charges et la facturation, donc une prestation complète clé en main pour le client.
Plus d'informations : www.enovos.lu/fr www.enoprimes.lu/fr/entreprises/
Texte : Catherine Moisy - Photos : Emmanuel Claude/Focalize et Enovos (07 et 08)