En juin dernier, la société Brunata-Metrona faisait partie des exposants du salon ReSmart, salon luxembourgeois des technologies au service de l’immobilier, qui tenait sa deuxième édition à l’hôtel Parc Alvisse. PME ayant un peu plus de 40 ans d’existence, Brunata-Metrona fait partie de ces pépites nationales discrètes, qui effectuent chaque jour un travail précieux et qui gagnent à être découvertes. En cette période de prise de conscience de la nécessité absolue de mieux gérer toutes les ressources et notamment l’eau, l’énergie et les déchets, les mesures et décomptes précis des consommations, effectués grâce aux outils et solutions innovants de Brunata-Metrona prennent tout leur sens. Merkur a rencontré ses Co-CEO, Patrick Marth, qui a repris l’entreprise créée par son père René en 1980 et Rudy Kech, arrivé il y a un peu moins d’un an pour le seconder, à un moment où le potentiel de croissance de l’entreprise ne fait que se confirmer. L’interview a eu lieu le 1er août, veille du jour du dépassement, comme un rappel de l’urgence à mieux maîtriser nos consommations quelles qu’elles soient…
Patrick Marth et Rudy Kech nous présentent Brunata-Metrona from Luxembourg Chamber of Commerce on Vimeo.
Quelle est l’origine de la société?
Patrick Marth: La société a été fondée en 1980 par mon père René Marth. À l’époque la société allemande Brunata-Metrona, qui fabrique et distribue des compteurs qui mesurent la consommation d’eau et d’électricité, cherchait un partenaire pour développer le marché luxembourgeois et mon père, qui avait le souhait d’exercer une activité indépendante, s’est lancé dans l’aventure entrepreneuriale, avec ma mère. Ce n’était pas simple car l’habitat collectif était peu développé au Luxembourg à l’époque et le fait de suivre ses consommations à l’aide de compteurs était peu répandu. De ce point de vue, l’Allemagne était en avance car la mesure et le décompte des consommations étaient devenus obligatoires dès les années 1970, dans l’optique de réaliser des économies d’énergie. La conscience environnementale est venue plus tard.
En 1999, vous avez rejoint vous-même l’entreprise familiale. Était-ce une évidence pour vous?
P.M.: Je venais de terminer mes études. Mon père et moi nous sommes posés la question de l’avenir de l’entreprise. Nous avons fait le constat que les résidences à appartements se multipliaient, que le potentiel de développement était garanti pour bien des années et que nous ne serions pas trop de deux à la tête de l’entreprise pour mener à bien ses futures évolutions. C’est ainsi que j’ai fait mon entrée dans la société. Et pas seulement moi. C’est une époque où nous avons beaucoup embauché. En 2013, nous étions 15 à 20 personnes et il est devenu évident que nous devions déménager dans des locaux adéquats pour notre croissance. Nous avons pris la décision de construire un bâtiment sur mesure pour notre activité, avec une partie bureaux et une partie entrepôt/atelier. Nous avons voulu adopter les normes les plus strictes en matière de passeport énergétique avec un bâtiment triple A, ce qui était encore très précurseur à l’époque, mais était naturel pour nous car notre activité est au cœur de la transition énergétique. Nous avons travaillé sur tous les aspects : éclairage, isolation, ventilation…
Quelles ont été les étapes suivantes du développement de l’entreprise?
P.M.: Le marché du logement collectif s’est beaucoup développé. Aujourd’hui, deux tiers des logements du pays sont des appartements. La demande est donc en pleine croissance. Pour y répondre, Brunata-Metrona a grandi et nos effectifs sont montés à 40 personnes. En 2019, quand mon père a souhaité lever le pied, j’ai pris la direction de l’entreprise. Peu après, j’ai fait la connaissance de Rudy, qui nous a rejoint en octobre 2022.
Rudy Kech: Nous avions été mis en contact par des amis communs et nous nous sommes rendu compte que nous partagions les mêmes valeurs et convictions, avec des compétences complémentaires. Patrick connait tout l’historique de l’entreprise. Il a contribué à construire son réseau et sa vision. Pour ma part j’apporte des compétences organisationnelles qui sont utiles pour accompagner une croissance rapide. Je suis également expert des certifications ISO et je porte la notion de service pour que le client soit au cœur de nos décisions. Le métier de l’entreprise est en train d’évoluer de la distribution de produits vers la proposition de services grâce à l’exploitation des données générées par ces produits. Cela va obligatoirement entrainer des changements dans nos façons de travailler.
P.M.: Au démarrage de l’entreprise, les décomptes d’électricité, chauffage et eau, étaient annuels. Aujourd’hui, nous pouvons mesurer toutes ces consommations quasi en temps réel. Grâce aux données collectées, nous pouvons aller très loin dans les conseils pour optimiser la consommation d’énergie. Nous avons des ingénieurs environnementaux dans les équipes. Ainsi, les décomptes de charges de copropriétés restent notre core business mais maintenant nous les accompagnons d’une panoplie de services. Par exemple, nous pouvons mesurer la consommation de zones spécifiques du bâtiment comme une rampe d’accès, un hall d’entrée, une piscine…détecter des anomalies de consommation et faire des recommandations très ciblées qui peuvent faire économiser jusqu’à 30% d’énergie. Les données collectées ont également une dimension pédagogique car elles font prendre conscience aux occupants d’immeuble de leur empreinte environnementale et de leur capacité à agir dessus en changeant certains de leurs comportements.
Au salon ReSmart de juin dernier, vous avez présenté plusieurs solutions innovantes. Qu’est-ce qui guide vos innovations ?
R.K.: Nos équipes connaissent très bien nos clients. Nous partons de leurs problématiques spécifiques pour proposer des solutions sur mesure. C’est le moteur principal de nos innovations. En cours de conceptions, les idées et prototypes sont testés par les clients pour que nos équipes puissent recueillir leur avis et progresser en mode «agile». Par ailleurs, notre propre entreprise sert de laboratoire car nous développons des solutions pour nous-mêmes que nous proposons ensuite au marché. Ce fut le cas pour la problématique des déchets. Nous poussons le tri très loin et nous souhaitions mesurer et réduire encore la quantité de nos déchets résiduels (ceux qui ne peuvent pas être recyclés, ndlr). C’est cela qui nous a donné l’idée de concevoir une poubelle connectée. Nous l’avons testée nous-mêmes avant de la proposer. Aujourd’hui, nous nous intéressons de près à la mesure de consommation d’énergie liée à l’électromobilité. Nous allons tester des solutions pour notre propre parc de véhicules. Ainsi, nous transformons nos idées en produits et services de qualité.
P.M.: Cet esprit d’innovation, de curiosité, a toujours été dans mon ADN et avant moi, dans celui de mon père. Nous nous demandons toujours comment il est possible de faire mieux. La période est propice à l’innovation grâce aux aides instaurées par le Gouvernement pour soutenir les PME dans cette voie. À plusieurs reprises nous avons introduit des dossiers dans le cadre des SME packages conçus pour aider les PME à innover dans les domaines service, digital et sustainability.
Trouvez-vous facilement les ingénieurs et techniciens dont vous avez besoin pour ces innovations et pour vous développer ?
R.K.: La demande des clients est croissante et nous nous développons rapidement à un moment où les recrutements deviennent difficiles. Les candidats sont très courtisés et les choses vont très vite. Nous nous adaptons en raccourcissant nos processus de recrutement et parfois en diminuant nos exigences, quitte à proposer ensuite des formations. Parfois, nous allons aussi chercher des compétences en externes en nouant des partenariats avec d’autres entreprises. Pour la modélisation de la troisième génération de notre poubelle connectée par exemple, nous avons fait appel aux ingénieurs de la société Berl, qui ont une expérience incomparable dans le travail du métal, ce qui nous permet de proposer un produit robuste et durable. Berl est une société comparable à la nôtre, familiale, produisant au Luxembourg et ayant la certification de la SuperDrecksKëscht (SDK). Nous partageons également les mêmes valeurs.
Comment faites-vous connaitre vos solutions?
P.M.: Nos clients sont des promoteurs immobiliers ou des syndics de copropriétés. Jusqu’à présent les contacts se nouaient de manière directe grâce à notre réseau de commerciaux. Cette année, nous avons participé au nouveau salon ReSmart et ce fut une très belle opportunité. Nous y avons présenté toutes les possibilités offertes par nos compteurs, les applications mobiles qui les accompagnent, la vision globale qu’ils permettent d’avoir sur un bâtiment…et bien sûr notre poubelle connectée. Nous avons été très satisfaits de cette expérience que nous renouvellerons sûrement à l’avenir. Par ailleurs, nous accroissons notre présence sur les réseaux sociaux LinkedIn et Facebook pour moderniser notre communication et être plus proches de nos utilisateurs et nous avons pris la décision de faire davantage de relations presse. Traditionnellement, notre branche est assez méconnue et cachée car elle se situe dans les coulisses d’un bâtiment. La période est idéale pour booster notre notoriété car les enjeux de la mesure des consommations d’énergie deviennent évidents et cela rend notre activité plus intéressante pour un public plus large. Une visibilité accrue sera aussi très importante à l’avenir pour attirer des talents.
Comment est la concurrence dans votre secteur ?
R.K.: Il y a trois acteurs majeurs sur le marché. Brunata-Metrona fait partie de ce top trois. Certaines sociétés de domotique proposent aussi des solutions de mesure de consommation d’énergie mais ce n’est pas leur cœur de métier. En tant qu’acteur local, notre atout est avant tout la flexibilité. Nous pouvons vraiment adapter nos produits aux besoins des clients. P.M.: Nous avons la chance de bénéficier d’une grande autonomie par rapport à notre maison mère allemande. Nous leur achetons le matériel mais pour le reste, nous sommes maîtres de toutes nos décisions sur les prix, les investissements, les services que nous proposons…
Vous avez lancé E-trash, votre poubelle connectée en 2016. Est-ce que le marché était prêt pour cette innovation?
P.M.: Il est vrai que ce produit était assez précurseur. C’est seulement l’année dernière que le décompte des déchets par habitant est devenu obligatoire pour les logements collectifs disposant de containers communs. Cette législation luxembourgeoise est une première en Europe.
R.K.: Les déchets résiduels sont ceux qui restent après que tous les autres, valorisables, ont été triés. Le Luxembourg est un des pays les plus producteurs de ces déchets résiduels qu’il faut absolument réduire. Certains pays d’Asie, gros producteurs également, avaient trouvé la solution en faisant payer les gens selon le poids de leurs déchets, avec des résultats très convaincants. Le Luxembourg suit donc cet exemple pour conscientiser ses habitants. Petit à petit, de véritables contrôles seront mis en place.
Comment la poubelle E-trash fonctionne-t-elle?
R.K.: Chaque habitant d’un logement collectif reçoit une carte magnétique qui permet d’ouvrir la poubelle. Les déchets déposés sont pesés et attribués au compte de la personne. Chacun est donc crédité de ses propres déchets et cela établit une équité entre tous les habitants d’un immeuble, surtout quand il y a de grosses disparités entre eux. Prenons l’exemple d’une profession libérale ou d’un commerce installé au rez-de-chaussée d’un immeuble d’habitation. Ces professionnels produisent souvent beaucoup plus de déchets que les ménages occupant l’immeuble. Sans système de mesure, c’est l’ensemble de la copropriété qui supporte ces charges.
P.M.: La poubelle connectée n’est pas là pour embêter ou sanctionner les gens mais pour les inciter à trier davantage et plus efficacement leurs déchets. Car si l’on trie correctement, la quantité de déchets résiduels baisse drastiquement. Dès l’installation d’un système de tracking, on constate une baisse qui peut aller jusqu’à diviser par trois le poids des déchets. Du coût, en un an ou deux, le coût de cet équipement peut être amorti. C’est un véritable game changer pour l’environnement car plus personne n’a intérêt à ne pas bien trier ses déchets.
Autre innovation, en 2018 vous avez lancé un portail pour les syndics de copropriétés.
P.M.: Oui et nous n’avons pas fait que cela. Nous avons aussi entièrement digitalisé notre relation commerciale avec eux. Il n’y a ainsi quasiment plus de papier qui circulent entre nous. Nous faisons de la pédagogie pour passer au « sans papier», autre façon de réduire les déchets, car certains sont demandeurs, d’autres plus conservateurs. Nous avons aussi introduit la signature électronique juste avant la crise Covid, soit juste au bon moment pour garantir la continuité de nos activités de façon dématérialisée.
Votre activité est très liée au marché de l’immobilier. Celui-ci étant en crise actuellement, est-ce que cela vous impacte?
P.M.: Cela nous impacte car le nombre de nouvelles résidences en chantier a tendance à se réduire. Mais nous compensons en offrant de nouveaux produits et services qui nous ouvrent de nouveaux marchés. De plus, les compteurs ont une durée de vie moyenne de 10 ans ; il faut donc régulièrement les remplacer pour qu’ils continuent à mesurer correctement et cela assure un volume d’affaires prévisible.
R.K.: Nos contrats ont également une durée de 10 ans, alignée sur celle des compteurs. Nous avons donc une bonne prévisibilité sur le long terme. Et le potentiel de nos nouveaux produits est très prometteur, comme celui de la poubelle E-trash qui est très important grâce à la nouvelle législation.
P.M.: Les données sont devenues stratégiques dans bien des domaines et en particulier dans la gestion des ressources. Nous ne sommes donc pas inquiets pour notre avenir. C’est pour cela que nous nous concentrons sur la qualité de nos produits et sur un processus d’innovation permanent.
R.K.: Chaque crise est porteuse d’opportunité. La conscience écologique est née d’une crise. Nous avons eu la chance d’arriver très tôt sur ce marché avec des solutions. Nous allons continuer dans cette voie.
Plus généralement quels sont les défis auxquels vous faites face?
R.K.: Il y a principalement le défi de la sécurité des données que nous prenons très au sérieux. Les données que nous récoltons sont anonymisées et entièrement protégées. Nous respectons le RGPD et nous sommes dans un processus d’amélioration continue à ce sujet. Pour encore plus de sécurité, nous sommes en train de migrer tout notre système d’information dans des data center TIER IV, les plus sécurisés au monde. La cybersécurité est l’un de nos arguments de vente. Nous allons continuer à investir dans ce domaine.
P.M.: Les prix actuels de l’énergie constituent un autre défi mais comme nous sommes peu consommateurs car nous investissons depuis des années pour améliorer notre sobriété énergétique, le choc est relativement indolore pour nous.
Quels sont vos perspectives pour l’avenir et vos nouveaux projets?
P.M.: Comme nous l’avons dit, nous sommes plutôt confiants dans l’avenir. Notre potentiel de croissance est très important. Notre prochain marché sera celui de l’électromobilité, là aussi dans une logique de décompte de consommations et d’analyses fines. Dans ce cadre, nous pouvons proposer des services adaptés aux flottes professionnelles. À l’heure actuelle, un tiers de notre parc automobile est déjà passé à l’électrique. Nous allons nous servir de notre propre cas comme laboratoire pour tester des choses. Nous serons ainsi les meilleurs ambassadeurs de nos solutions. C'est un vrai motif de fierté pour nos salariés et cela peut nous permettre d’attirer des candidats.
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TEXTE Catherine Moisy PHOTOS Emmanuel Claude / Focalize et Brunata-Metrona (08)