Un budget quantitatif pour une croissance qualitative ?

Affaires économiques

Avis de la Chambre de Commerce

de gauche à droite : Muriel Bouchet, senior economist, Marc Wagener, directeur Affaires économiques, Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de Commerce et Christel Chatelain, Attachée Affaires économiques

Copernic attend encore la vraie réforme qui doit porter son nom. Le « package budgétaire » 2017, composé du projet de budget annuel (2017) et du projet de loi de programmation financière pluriannuelle (2016-2020) (PLPFP), n’est en effet pas encore ce budget « nouvelle génération » tant annoncé, comportant une budgétisation par mission avec évaluation de l’efficacité des dépenses au moyen d’indicateurs de performance.

Les scénarios de croissance économique qui sous-tendent la programmation budgétaire interpellent. Le « Zukunftspak » poursuivra sa fonte, les recettes seront indéniablement impactées par la réforme fiscale en cours de procédure législative et les dépenses progresseront à un rythme moindre mais principalement aux dépens des investissements, moins ambitieux à moyen terme qu’annoncés. L’objectif à moyen terme, déjà considéré comme trop faible auparavant par la Chambre de Commerce, a encore été revu à la baisse. De ce fait, le scénario de 1,1 million d’habitants est pleinement endossé. Et si la dette publique est censée se stabiliser, c’est davantage grâce à un PIB élevé qu’à des actions incisives. Dans son avis, la Chambre de Commerce démontre que si la croissance venait à être plus faible qu’attendue (tout en ne tombant jamais en-dessous de 3%) et si l’impact de la réforme fiscale avait été sous-estimé, une simple stabilisation du ratio d’endettement à la fin de l’horizon 2017-2018 donnerait lieu à un effort requis de près de 670 millions EUR. En outre, le spectre de la non-soutenabilité à long terme plane toujours sur le Luxembourg.

Une croissance économique en sursaut, qui interpelle
Le scénario de croissance volontariste pour les années 2017 et 2018 est un des premiers éléments marquants qui ressort de la lecture des documents budgétaires, le PIB en volume étant censé s’accroître de respectivement 4,6% et 4,9% au cours de ces deux années. Alors qu’elle était encore supposée avant octobre 2016 s’établir à quelque 4,8%, la croissance ne sera en définitive que de 3,5% en 2015, et limitée à 3,1% en 2016. Une telle accélération brusque de la croissance pour les années 2017 et 2018 est de ce fait difficile à comprendre. La Chambre de Commerce n’a en effet pas pu déceler les origines d’un tel sursaut, la réforme fiscale ne pouvant expliquer, à elle seule, cette rupture de tendance, et une hausse des marchés boursiers en 2017 étant trop incertaine.

A contrario, une multitude de facteurs susceptibles d’expliquer une décélération de la croissance en 2017 sont mentionnés. On citera des indicateurs de confiance mitigés ou encore des perspectives économiques internationales en demi-teinte comportant notamment une légère décélération de la croissance au sein de la zone euro.

Sachant qu’une croissance soutenue se répercuterait bien évidemment sur divers agrégats conditionnant étroitement l’évolution des recettes publiques, à savoir en particulier l’emploi, la consommation privée, la formation brute de capital fixe, ou encore le taux de chômage, qui affecte directement les importantes dépenses transitant par le Fonds pour l’emploi, la Chambre de Commerce rappelle la nécessité de disposer de données macroéconomiques fiables et récentes lors de l’établissement du budget.

Une réforme fiscale qui laissera des traces sur les recettes publiques
L’estimation des recettes est particulièrement entachée d’incertitudes cette année, en raison de la mise en œuvre d’une réforme fiscale qui n’a jusqu’à présent fait l’objet que d’une estimation d’impact statique, sans considération des possibles « effets de retour » économiques et de l’incidence de la réforme sur le comportement des ménages et des entreprises. L’impact budgétaire de cette réforme a par ailleurs fait l’objet d’estimations quelque peu contradictoires par diverses institutions. Selon le Gouvernement, l’impact budgétaire de la réforme serait de 373 millions EUR en 2017, de 503 millions EUR en 2018 et de 524 millions EUR les années ultérieures. Après neutralisation de ce coût et en supposant que les estimations gouvernementales en la matière sont correctes, les recettes totales de l’Administration centrale progresseraient « spontanément » de 4,2% en moyenne de 2017 à 2020, contre 3,5% avant la « correction réforme fiscale ».

Toutefois, les recettes issues des impôts directs sur les personnes physiques pourraient être surévaluées. Tout d’abord, une évolution « théorique » de ces dernières a été recalculée par la Chambre de Commerce à partir des déterminants sous-jacents (emploi et salaire nominal moyen) et elle estime que la surestimation des impôts directs sur les personnes physiques pourrait atteindre 60 millions EUR à l’horizon 2020. Ensuite, si le coût effectif de la réforme était de l’ordre de 1,5% du PIB comme annoncé par la BCL (et non de 0,65% du PIB en 2017 et de 0,8% de 2018 à 2020), les impôts directs sur les personnes physiques seraient surestimés de quelque 340 millions EUR par an en moyenne entre 2017 et 2020. Enfin, une diminution de 1% par an de la croissance de la base imposable en 2017 et 2018, possibilité à ne pas écarter au vu des scénarios volontaristes privilégiés, donnerait lieu à une moins-value supplémentaire d’impôts directs sur les personnes physiques de quelque 350 millions EUR en 2020. Au total, ce ne sont pas moins de 750 millions EUR de recettes qui pourraient faire défaut à l’horizon 2020.

Des dépenses publiques qui grimpent, qui grimpent
Si les dépenses totales de l’Administration centrale devraient connaître sur la période 2017-2020 une significative décélération, la Chambre de Commerce ne peut s’en réjouir démesurément, puisque le freinage le plus marqué, expliquant plus d’un tiers du ralentissement des dépenses, se rapporte à la formation de capital, à savoir les investissements directs, soit un poste décisif pour l’économie luxembourgeoise tant à court qu’à moyen terme. De telles évolutions paraissent en contradiction avec, d’une part, les discours évoquant un important effort d’investissement public et, d’autre part, avec le message d’un « Luxembourg à 1,1 million d’habitants ». Un tel scénario suppose en effet une augmentation marquée de la population (et corrélativement du nombre de frontaliers), non pas seulement à moyen terme mais bel et bien dès à présent. Selon ce scénario démographique, 60.000 personnes s’ajouteraient à la population sur l’horizon 2017-2020 et 80.000 personnes supplémentaires de 2021 à 2025. La Chambre de Commerce insiste vivement sur la nécessité de préparer d’ores et déjà une telle mutation d’envergure, qui requiert des investissements substantiels et efficaces notamment dans le domaine des transports, de l’éducation, du logement et des télécommunications.

Dans ce contexte, elle salue les efforts accrus en matière de logement, de recherche et d’innovation, ainsi que de prospection économique, la poursuite de la mise en place d’un guichet unique pour le secteur de la logistique (« Single Window for Logistics »), le soutien à l’initiative

« Digital Lëtzebuerg » et aux FinTech, les ressources supplémentaires pour l’initiative spaceresources.lu et l’éducation plurilingue ainsi que la montée en puissance des crédits alloués au développement du tourisme et au PAKT Pro Commerce. Autant d’éléments façonnant le Luxembourg de demain.

La soutenabilité de la sécurité sociale à ramener au cœur des débats
Les surplus de la sécurité sociale devraient se résorber et laisser la place à des déficits croissants à politique inchangée. Sont en cause principalement l’incidence du vieillissement démographique prévisible sur les dépenses de santé, de pension et de l’assurance dépendance, ou encore l’arrivée graduelle à l’âge de la retraite des importants contingents de travailleurs frontaliers embauchés au Luxembourg au cours des dernières décennies.

Or les revenus du patrimoine, qui devraient alimenter en 2020 l’essentiel de l’excédent de la sécurité sociale, vont décliner graduellement pour devenir nul vers 2040. Sous l’effet de cette volatilisation graduelle des revenus du patrimoine et de la « poussée » des dépenses liées au vieillissement, les surplus de la sécurité sociale s’affaibliront rapidement dans les dix années à venir et se mueront ensuite en déficits, avoisinant 1% du PIB entre 2030 et 2035 et bien davantage encore par la suite (pour autant que le scénario démographique « volontariste » se matérialise, ceci dit en passant).

Dette brute consolidée : une réelle stabilisation ?
A la fragilité des soldes de la sécurité sociale s’ajoutent des déficits récurrents de l’Administration centrale qui s’accumulent au fil du temps. Si la dette publique reste toujours inférieure au seuil de 30% prévu au programme gouvernemental, la Chambre de Commerce tient à attirer l’attention sur deux réserves de taille. En premier lieu, une dette publique stagnant à 23% serait un résultat peu satisfaisant si la croissance s’avérait très soutenue de 2017 à 2019. Dans une optique budgétaire contra-cyclique, il aurait été justifié de procéder à un assainissement des comptes publics, permettant d’enfin amorcer une décrue du ratio d’endettement. En second lieu, le plafonnement de la dette publique à 23% du PIB dépend intimement de l’évolution des soldes effectifs de l’Administration centrale. Or ces derniers encaisseraient de plein fouet une croissance éventuellement moins favorable qu’escomptée, notamment en 2017 et en 2018, ou encore un coût de la réforme fiscale plus important.

Une double revue à la baisse des ambitions
Cette soutenabilité compromise renforce la pertinence du débat relatif au choix d’un objectif budgétaire à moyen terme suffisamment ambitieux. La Chambre de Commerce estime, sur base de considérations intégrant l’incertitude inhérente à la méthode de calcul des soldes structurels, la forte volatilité des variables de finances publiques dans une petite économie ouverte, le nécessaire préfinancement d’une partie de l’impact du vieillissement démographique et la nécessité du maintien à un niveau élevé du patrimoine financier net des Administrations publiques, qu’un objectif de solde structurel plus ambitieux que dans les documents budgétaires doit être visé. Or c’est le chemin inverse qu’a pris le Gouvernement, en fixant un nouvel OMT particulièrement peu exigeant puisqu’il consiste en un déficit structurel de 0,5% du PIB, alors qu’un surplus d’au moins 0,5% était précédemment visé.

En outre, un relâchement des efforts budgétaires est constaté et le « Zukunftspak » ne tient pas ses promesses. Alors que le programme gouvernemental annonçait un besoin de consolidation d’environ 1,5 milliard EUR, le Paquet pour l’avenir initial (présenté dans le projet de budget pour 2015) prévoyait un total cumulé de mesures pour un montant de 1.040 millions EUR en 2018 au niveau de l’Administration publique, mais l’effort de restructuration a été revu à la baisse à de nombreuses reprises, et selon le projet de budget 2017, l’impact global des mesures sur l’Administration publique n’atteint plus que 704 millions EUR en 2018, soit à peine 67,7% du montant initialement budgétisé.

670 millions pour stabiliser la dette publique à l’horizon 2020
Sous l’hypothèse d’une réforme fiscale coûtant 1,5% du PIB et conditionnellement à une croissance du PIB de 3% tant en 2017 qu’en 2018, une stabilisation du ratio d’endettement à la fin de l’horizon 2017-2018 donnerait lieu à un effort requis de 670 millions EUR. Dans son avis, la Chambre de Commerce avance des propositions concrètes permettant aux autorités d’engranger 587 millions EUR, en agissant pour l’essentiel sur les dépenses. Introduites de façon graduelle, ces mesures se rapportent à l’impôt foncier, au forfait d’éducation, aux recrutements dans l’Administration centrale, à l’allocation de fin d’année des pensionnés et à l’adaptation des pensions aux salaires réels. Est aussi visée une contraction de diverses dépenses fiscales, nombre d’entre elles contribuant à soutenir la demande de logements et par conséquent des prix immobiliers déjà fort élevés au Luxembourg.

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Si l’ambition affichée du Gouvernement est de viser une croissance davantage qualitative que quantitative, la Chambre de Commerce retrouve certes dans les documents budgétaires quelques accents permettant une matérialisation de cette volonté, et notamment une évolution favorable des investissements environnementaux et climatiques. Or, les hypothèses conjoncturelles flamboyantes, l’objectif à moyen terme décevant - qui présuppose la matérialisation du scénario à 1,1 million d’habitants et que la dette publique tende vers 60% à long terme - la baisse relative des dépenses d’investissements en fin de période pluriannuelle, ou encore l’évolution des dépenses qui dépasse celle des recettes en 2017… sont autant d’éléments qui nous rappellent qu’il convient de faire se rencontrer la théorie et la pratique au plus vite.

Le texte intégral de l'avis budgétaire de la Chambre de Commerce est disponible sur son site Internet www.cc.lu, sous ce lien.