Réforme fiscale : un pas (perfectible) dans la bonne direction

Affaires économiques

Avis de la Chambre de Commerce

En juillet dernier, le Gouvernement a déposé à la Chambre un projet de loi « portant mise en œuvre de la réforme fiscale », avec en figure de proue quatre grands principes que la Chambre de Commerce salue, à savoir l’équité, la sélectivité, la durabilité et la compétitivité.

Le texte du projet de loi n’est pas dépourvu d’avancées qui constituent autant de pas dans la bonne direction. Méritent par exemple d’être soulignées l’immunisation des plus-values de conversion, la possibilité d’amortissements différés, l’augmentation du taux de bonification pour investissement complémentaire, la diminution du taux standard de l’IRC à raison de trois points de pourcentage d’ici 2018, la suppression de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire et l’abolition du droit d’enregistrement de 0,24% sur la cession de créances. Il convient également de saluer la possibilité de procéder au dépôt électronique des déclarations des sociétés ou encore la volonté de faciliter les transmissions d’entreprises. 

Le projet de réforme paraît toutefois perfectible à trois égards.

Les mesures manquantes…

En premier lieu, nombre de mesures font défaut, alors qu’elles auraient permis de conférer plus de consistance et de cohérence à la réforme sur les plans budgétaire et socio-économique. Manquent notamment une remise en cause totale ou partielle de l’impôt sur la fortune, de nouvelles dispositions sur la propriété intellectuelle ou encore une refonte de la fiscalité foncière. 

Alors que cette activité est un fleuron de l’activité financière du Luxembourg, la Chambre de Commerce note également l’absence de dispositions visant à faciliter l’accès des fonds d’investissements aux conventions préventives de double imposition. La suppression de la retenue à la source sur les dividendes sortants de source luxembourgeoise n’est pas davantage considérée et la réforme n’aborde pas les difficultés de financement des start-ups. Enfin, à rebours du programme gouvernemental, le projet n’institue aucune réserve immunisée en faveur des PME et pas davantage d’intérêts notionnels. 

Des mesures bienvenues, mais perfectibles

En second lieu, si le projet de loi renferme nombre de mesures qui vont incontestablement dans la bonne direction, certaines d’entre elles manquent quelque peu d’ambition. Ainsi, la réforme consacre une diminution du taux d’imposition des sociétés, avec un taux global standard passant de 29,22% actuellement à 27,08% en 2017 et 26,01%[1] en 2018 – un effort un peu plus important étant consenti en faveur des sociétés dont le revenu imposable n’excède pas 25 000 EUR par an. S’il s’agit là d’un pas dans la bonne direction, il paraît insuffisant par rapport aux taux pratiqués dans ces autres places financières que sont l’Irlande (12,5%), le Royaume-Uni (20% et bien moins d’ici 2020) ou la Suisse (moins de 18% en moyenne, avec de nouvelles diminutions récemment annoncées). Cette évolution tendancielle à la baisse des taux devrait d’ailleurs se poursuivre dans la foulée de la mise en œuvre du processus BEPS[2], qui provoquera inévitablement un élargissement des bases d’imposition.

Indépendamment de ces évolutions en cours, le taux nominal global de 26,01% prévu pour 2018 dans la présente mouture de la réforme serait peu avantageux dans une perspective européenne. Comme l’illustre le tableau suivant, le taux médian d’imposition au sein de l’Union européenne ne dépassait pas 21% en 2015. Il s’agit en clair du taux séparant en deux « populations » de taille équivalente les Etats membres de l’UE. Ce taux médian de 21% constituerait pour le Luxembourg une excellente cible, car il vise simplement, par définition, à figurer au milieu du peloton européen et constitue dès lors la négation même de toute pratique de « race to the bottom ». En affichant un tel objectif, le Luxembourg pourrait à la fois renforcer significativement sa compétitivité et afficher une position conciliante, « médiane », sur le plan fiscal européen, à rebours de toute idée de concurrence fiscale exacerbée.

Tableau : Taux nominaux globaux et standard d’imposition des sociétés dans l’UE (en %)

 

Éloignement du rang médian

 

PaysTaux nominaux
14Bulgarie10,0
13Chypre12,5
12Irlande12,5
11Lettonie15,0
10Lituanie15,0
9Roumanie16,0
8Slovénie17,0
7Pologne19,0
6République tchèque19,0
5Finlande20,0
4Croatie20,0
3Hongrie20,6
2Royaume-Uni21,0
1Estonie21,0
0Taux médian21,1
-1Slovaquie22,0
-2Suède22,0
-3Danemark24,5
-4Autriche25,0
-5Pays-Bas25,0
-6Grèce26,0
-7Luxembourg29,2
-8Espagne30,0
-9Allemagne30,2
-10Italie31,4
-11Portugal31,5
-12Belgique34,0
-13Malte35,0
-14France38,0

Source : Eurostat, calcul de la médiane par la Chambre de Commerce.

Conformément à la « clause de rendez-vous » déjà annoncée à plusieurs reprises par les autorités, cette diminution préconisée du taux global jusqu’au moins 21% devrait s’accompagner d’ajustements additionnels, résultant de l’incidence sur les bases imposables du processus BEPS ou d’autres initiatives fiscales internationales. A titre d’exemple, la Belgique s’est récemment essayée à l’exercice d’anticipation des effets du BEPS et envisage de réduire son taux d’impôt sur les sociétés en conséquence.

Sur le versant des personnes physiques, on notera un impact indiscutablement favorable mais relativement réduit de la réforme fiscale sur la disparité des revenus nets des ménages, en dépit du conditionnement aux revenus des crédits d’impôt. Dans le même temps, la réforme fiscale ne va pas atténuer la forte sensibilité de la fiscalité luxembourgeoise des personnes physiques à la composition familiale. Elle ne mettra pas davantage fin à la taxation implicite élevée des seconds apporteurs de revenus au sein d’un ménage en imposition collective. 

Enfin, si un encouragement bienvenu est concédé aux pensions complémentaires personnelles, cet effort exclut les pensions du second pilier (plans d’entreprises), alors que le vieillissement démographique risque de mettre à mal le financement général des pensions. 

Des mesures à éviter

En troisième lieu, la Chambre de Commerce invite le législateur à proscrire certaines dispositions du projet de réforme, certes peu nombreuses mais néanmoins fort dommageables. Elle regrette vivement l’augmentation de l’impôt minimum sur la fortune des sociétés de participations financières (qui passera de 3 210 à 4 815 EUR en 2017), de même que l’introduction d’une limitation artificielle du report de pertes. Elle désapprouve par ailleurs le renforcement de la responsabilité des dirigeants de sociétés, pour lesquels une mise en cause par l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines serait possible sans avoir à prouver de faute. Les appréhensions de la Chambre de Commerce ne se limitent pas à la responsabilité des administrateurs. Bien que cette réflexion dépasse le cadre du Projet, la Chambre de Commerce note que le traitement fiscal des tantièmes, en ce qu’ils ne sont pas déductibles comme dépense d’exploitation, pose question et le sort qui leur a récemment été réservé en matière de TVA n’est à son avis pas justifié. En matière de logement, domaine crucial s’il en est de l’action publique, la Chambre de Commerce en appelle à une politique moins axée unilatéralement sur le subventionnement de la demande, qui est inefficace et de surcroît inéquitable.

Une « durabilité » discutable

Comme déjà indiqué, la réforme fiscale renferme des avancées appréciables mais insuffisantes en matière d’équité, de sélectivité et de compétitivité. La réforme fiscale est également perfectible en termes de durabilité, sur un plan financier en particulier, puisque le coût budgétaire de la réforme semble assez lourd. Selon le Gouvernement, il s’établirait à environ 1% du PIB, mais d’autres intervenants mentionnent un coût de 1,5% du PIB. Selon les estimations gouvernementales, la réforme favoriserait surtout les ménages, à concurrence de 400 millions d’EUR environ en 2017 et de près de 500 millions d’EUR par la suite. A titre d’exemple, pour un revenu imposable de 50 000 EUR de la classe d’imposition 1, elle donnerait lieu à un gain de pouvoir d’achat de l’ordre de 3,6%.

Le Luxembourg devra en prime faire face au double défi du vieillissement démographique et du financement des indispensables investissements publics, ce qui souligne plus que jamais la nécessité absolue d’une gestion parcimonieuse des dépenses publiques courantes. La Chambre de Commerce reviendra sur ces éléments dans son avis sur le projet de budget 2017, qui sera présenté lors d’une conférence de presse le 18 novembre 2016.

La réforme est par ailleurs en retrait de certaines espérances légitimes à l’aune de deux principes essentiels, à savoir la simplicité du système fiscal, gage de transparence et d’adhésion du citoyen, et surtout la traditionnelle stabilité fiscale du Luxembourg.

Comment compléter et renforcer la réforme fiscale ? Les pistes de la Chambre de Commerce

Afin d’optimiser les retombées économiques de la réforme fiscale, la Chambre de Commerce se permet d’avancer les pistes d’amélioration suivantes :

  • Une piste à très court terme tout d’abord, qui, bien qu’exploratoire, pourrait encore être mise en œuvre dans le projet de réforme dans la mesure où elle serait budgétairement neutre. Elle consisterait à prévoir une taxation dégressive du revenu « incrémental », c’est-à-dire de la partie de la base taxable d’une société qui, une année donnée, va au-delà d’un taux « naturel » de croissance. Une telle disposition, dont les modalités doivent être affinées, permettrait d’attirer au Luxembourg de nouvelles activités. Elle serait tout à fait complémentaire à la piste suivante ;
  • une piste à court et moyen terme viserait à adapter les taux nominaux globaux et reposerait sur deux piliers, à savoir :
    - une adaptation du taux d’affiche standard global selon une feuille de route précise, permettant au Luxembourg de rejoindre au minimum le taux d’imposition européen médian, soit 21% à l’heure actuelle ;
    - avec en parallèle une adaptation de l’imposition des sociétés en fonction de l’élargissement de la base imposable résultant des initiatives internationales en cours (processus BEPS et directives associées, notamment) ;
  • une simplification de l’imposition des personnes physiques et des sociétés, par fusion voire même suppression des différents (et nombreux) prélèvements actuels ;
  • un rééquilibrage de la fiscalité globale, en direction d’une revalorisation ou d’une refonte en matière d’impôt foncier, qui permettrait à la fois de mieux asseoir le financement de la réforme fiscale et d’accompagner un allégement de cette autre recette communale que constitue l’ICC ;
  • la concrétisation des propositions déjà émises en matière de transmission d’entreprises, de réserve immunisée pour les PME et de stimulation des start-ups, qui sont toutes trois susceptibles d’exercer un considérable effet de levier sur le dynamisme entrepreneurial au Luxembourg;
  • une fiscalité des ménages favorisant davantage la constitution de pensions complémentaires au sein des entreprises (second pilier).

C’est à ce prix que les mesures pourront afficher une véritable cohérence et se muer en un instrument performant de promotion de l’économie luxembourgeoise et de soutien à la cohésion sociale. Permettant dès lors à la réforme fiscale de déployer pleinement ses effets.

Le texte intégral de l'avis de la Chambre de Commerce est disponible ci-dessous.


[1] Taux calculés avec l’impôt commercial communal en vigueur à Luxembourg-Ville.

[2] Projet « Base Erosion and Profit Shifting », lancé par l’OCDE et le G20.