Réforme du bail commercial: « Les nouvelles dispositions en 10 points »

Affaires juridiques

Le projet de loi n°6864[1] portant réforme du régime du bail commercial, qui avait été déposé en septembre 2015, vient enfin d’être adopté par la Chambre des Députés le 17 janvier dernier.

Objet de nombreuses discussions et amendements, la future loi ne constituera pas une simple réforme du régime actuel du bail commercial mais procèdera à une révolution complète du régime juridique des baux commerciaux.

Les principales caractéristiques du nouveau régime des baux commerciaux ainsi instauré sont les suivantes :

1)    Durée du contrat
Dans l’optique de laisser la plus grande liberté contractuelle aux parties et de leur permettre de conclure un contrat adapté aux besoins respectifs de chacune d'elles, le projet de loi n°6864 dispose que le contrat de bail commercial pourra être conclu soit à durée déterminée (sans aucune durée minimale), soit à durée indéterminée.

Il est à noter que les baux d’une durée inférieure ou égale à un an seront exclus du champ d’application de ces dispositions, ceci afin de ne pas entraver la pratique des « pop-up stores » actuellement en plein développement.

2)    L’interdiction des pas-de-porte
Afin de lutter contre la pratique répandue des pas-de-porte qui contribuait dans certains cas à augmenter considérablement les coûts à charge des commerçants désirant s’établir, cette pratique sera dorénavant interdite alors que « tout supplément de loyer payé au bailleur ou à l’intermédiaire en raison de la conclusion du contrat » sera nul de plein droit.

3)    La limitation du montant maximum de la garantie locative
Toujours dans l’optique de contenir les coûts d’installation pour un commerçant, le montant maximum pouvant être exigé au titre de la garantie locative par le bailleur sera limité à six mois de loyers maximum.

4)    Lutte contre la pratique de la sous-location spéculative
La pratique de la sous-location spéculative contribue également à accentuer la hausse incessante des loyers. C’est pourquoi, afin de lutter contre cette pratique, le futur article 1762-6 paragraphe 4 du Code civil prévoit que sauf en cas de sous-location où des investissements spécifiques à l’activité du sous-locataire auront été effectués par le preneur, les loyers payés au preneur par le sous-locataire ne pourront être supérieurs aux loyers payés par le preneur au bailleur.

5)    Le remplacement du sursis commercial par un sursis à déguerpissement
Instrument bien connu  et fréquemment utilisé par les preneurs priés de quitter les lieux loués, le sursis commercial sera supprimé. Il sera remplacé par un sursis à déguerpissement dont les conditions d’attribution sont très différentes de l’actuel sursis commercial.  

Ainsi, le nouveau sursis à déguerpissement impliquera nécessairement comme préalable un jugement ordonnant le déguerpissement du preneur. Dans cette hypothèse, le juge de paix pourra ainsi désormais ordonner à la demande du preneur condamné à déguerpir, qu’il soit sursis à l’exécution d’un jugement de déguerpissement pour une période pouvant varier de un à neuf mois, à condition que: (i) tous les loyers et avances sur charges échus aient été réglés au jour de la demande de sursis, et que (ii) le sursis ne soit accordé que dans le seul but de permettre au requérant d’organiser le déplacement de son exploitation commerciale, respectivement de répondre à ses obligations légales procédant du droit du travail.

6)    L’introduction d’un droit au renouvellement illimité dans le temps pour le preneur…
L’une des innovations majeures du projet de loi n°6864 consiste dans la refonte complète du régime du droit au renouvellement du bail pour le preneur.

Actuellement, tout locataire d’un immeuble à destination commerciale qui, par lui ou ses ayants droit, y exploite un fonds de commerce, a le droit d’obtenir le renouvellement de son contrat de bail par préférence à toute autre personne. Ce droit au renouvellement préférentiel, permettant au preneur d’exiger à l’échéance de son contrat de bail commercial la reconduction de celui-ci, est accordé à partir de la troisième année d’exploitation effective du fonds de commerce et jusqu’à la quinzième année de location[2]. Passé ce délai, le preneur ne peut plus se prévaloir d’un droit au renouvellement de son bail.

Afin de renforcer la protection des preneurs, le projet de loi n°6864 prévoit d’accorder un droit au renouvellement du bail pour le preneur sans aucune limitation de durée.

7)    …… pouvant être mis en échec dans certaines circonstances
Afin de préserver les droits du bailleur, ce dernier pourra cependant s’opposer au droit au renouvellement du bail du preneur dans les hypothèses suivantes : (i) aux fins d’occupation personnelle par le bailleur ou par ses descendants au 1er degré ; (ii) en cas d’abandon de toute location aux fins d’activité identique; ou (iii) en cas de reconstruction ou de transformation de l’immeuble loué.

Dans l’hypothèse d’un contrat de bail à durée indéterminée, le bailleur pourra également se fonder sur l’une de ces hypothèses pour procéder à la résiliation, avec préavis du contrat de bail.

Il est encore à noter qu’en toutes hypothèses, le bailleur pourra procéder à la résiliation du bail avec effet immédiat en cas d’inexécution de ses obligations contractuelles par le preneur.

8)    L’introduction de l’indemnité d’éviction
En dehors des hypothèses visées ci-dessus, le projet de loi n°6864 introduit également la possibilité pour le bailleur, après 9 années d’occupation des lieux par le preneur, de mettre en échec le droit au renouvellement de ce dernier ou de résilier le bail en payant au preneur une indemnité d’éviction.

Il convient de remarquer que l’indemnité d’éviction pourra également être réglée par un tiers, généralement le commerçant intéressé pour récupérer les lieux loués.

Concernant le montant de l’indemnité d’éviction, celui-ci pourra être librement déterminé par les parties. A défaut de clause dans le contrat de bail permettant de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction, les parties pourront saisir le juge de paix qui fixera alors le montant de l’indemnité d’éviction sur base de la valeur marchande du fonds de commerce pour l’activité en question.

9)    L’introduction d’un droit de préemption pour le preneur
Le projet de loi n°6864 innove encore par l’introduction d’un droit de préemption au profit du preneur.

Ainsi, le locataire dont le bail court depuis 18 ans bénéficiera d’un droit de préemption sur les locaux loués, à moins que celui-ci ne fasse l’objet d’une vente par adjudication publique ou qu’il ne soit cédé à un membre de la famille du bailleur parent ou allié jusqu’au troisième degré inclusivement ou qu’il ne fasse l’objet d’une cession gratuite.

10) L’application immédiate des nouvelles dispositions aux contrats en cours
Malgré les critiques réitérées de la Chambre de Commerce, la disposition selon laquelle les nouvelles mesures seront immédiatement applicables aux contrats de bail commercial en cours a été maintenue, à l’exception des dispositions relatives à la sous-location, pour lesquelles une période transitoire d’une année a été accordée.

La Chambre de Commerce regrette cette situation qui remet ainsi en cause l’équilibre de contrats négociés et conclus sous l’empire d’une toute autre législation et s’avère contraire au principe de sécurité juridique.

Compte tenu de cette situation, et au vu des changements considérables apportés par le projet de loi n°6864 au régime des baux commerciaux, la Chambre de Commerce ne saurait que vivement conseiller à ses ressortissants de consulter des professionnels afin d’étudier l’incidence de ces nouvelles dispositions sur leurs droits et obligations découlant de leur contrat de bail commercial.


[1] Projet de loi portant sur le bail commercial et modifiant certaines dispositions du Code civil.

[2] Actuel article 1762-4 du Code civil.