Affaires économiques

Avis budgétaire de la Chambre de Commerce

Budget 2018 - Le décrochage ?
Le dernier « paquet budgétaire » de la législature actuelle, comprenant le projet de budget pour 2018 ainsi que le projet de loi de programmation financière pluriannuelle (PLPFP) couvrant les années 2017 à 2021, a été présenté à la Chambre des Députés le mercredi 11 octobre.

Avant même l’analyse en profondeur des tendances des différentes administrations publiques, c’est le décrochage du PIB qui sous-tend la programmation budgétaire qui interpelle. Pas plus tard qu’en avril 2017 les autorités luxembourgeoises tablaient sur un taux de croissance de quelque 4,4% en 2017 et de 5,2% en 2018. La Chambre de Commerce a appelé à plusieurs reprises à la prudence en la matière. Avec raison apparemment, puisque le projet de budget 2018 escompte pour 2017 et 2018 une croissance économique nettement plus modeste, ramenée à respectivement 2,7 et 3,7% (taux centraux de deux fourchettes de croissance renseignées dans les documents budgétaires). Soit une dégringolade cumulée de 3,2 points de PIB en 2 ans ou bien 1,7 milliard EUR de richesses non-produites, aux prix de 2016. L’évolution récente des estimations du PIB offre une bonne illustration de la rapidité des changements macroéconomiques qui peuvent affecter l’économie luxembourgeoise, de par sa forte exposition aux évolutions internationales.

Si les documents budgétaires mentionnent explicitement le dévissement du PIB, ils n’en tirent pas les conséquences en termes d’impacts. C’est donc le risque de surévaluation des recettes et des soldes ainsi que les incertitudes entourant les dépenses que la Chambre de Commerce aborde dans les lignes qui suivent. Car, de toute évidence (comptable), le PIB n’est pas seulement la richesse produite, mais aussi la richesse distribuée. En appliquant simplement la « clé de répartition des richesses » de mise en 2016 (PIB dans l’optique revenu), quelque 850 millions EUR de masse salariale ne devraient pas être distribués et les marges des entreprises devraient dévisser de 700 millions EUR au total sur les deux années suite au décrochage du PIB.

Budget 2018 - Nos 7 chiffres clef
Un chiffre, une double réalité : 3%. Alors qu’il s’agit, d’une part, du taux moyen de croissance attendu sur les deux années 2017-2018 (3,2%) ainsi que sur la période plus longue 2017-2021 (3,1%), c’est, d’autre part, approximativement la croissance de l’emploi anticipée par les auteurs de 2017 à 2019 (3,3%). Si ces évolutions prises séparément sont plutôt positives, le fait qu’elles coïncident constitue en soi un premier signal d’attention pour l’économie, puisque cette convergence signifie que la productivité devrait globalement stagner.

S’agissant de l’Administration centrale, le sous-secteur de l’Administration publique le plus important en termes de moyens budgétaires, un déficit atteignant 890 millions EUR (910 millions EUR après prise en compte des amendements) est attendu en 2018, en raison de dépenses de 18,2 milliards EUR surpassant, comme de manière récurrente, les recettes qui atteignent 17,3 milliards EUR. Des excédents substantiels, bien que décroissants et pour le reste virtuels, sont enregistrés au niveau de la sécurité sociale – 1 milliard d’EUR en 2018 – ainsi que des surplus, certes plus modestes, au niveau des pouvoirs locaux.

Le solde de l’Administration publique, qui constitue la référence du cadre de surveillance budgétaire européenne reste favorable puisque, pour 2018 et 2021, le Gouvernement anticipe des excédents globaux équivalents à 0,6 et 1,7% du PIB, respectivement. Des résultats réconfortants, mais en apparence seulement, comme décrit ci-après.

L’avis de la Chambre de Commerce en 10 points

  1. Trois priorités budgétaires pertinentes, mais à renforcer
    Au-delà des divers constats formulés ci-dessus, la Chambre de Commerce tient à souligner son adhésion aux trois priorités mentionnées par le Gouvernement lors du dépôt à la Chambre des Députés du package budgétaire. Ainsi, en termes de qualité de vie, la Chambre de Commerce rappelle la nécessité d’une croissance plus « qualitative », c’est-à-dire plus économe en ressources.

    Qui dit qualité de vie et croissance qualitative dit également productivité et donc compétitivité. Vu que la productivité du travail déclinerait d’ici 2021, alors que dans le même temps le salaire moyen hors inflation augmenterait, l’annonce d’un demi taux pour les options et warrants, et l’extension aux logiciels de la bonification d’impôts pour investissements semblent heureusement aller dans le bon sens. La compétitivité dite « non coût » devrait quant à elle être confortée par les importants efforts consentis dans le cadre du projet de budget en matière d’éducation, de recherche et développement et de formation.

    La continuité
    , enfin, constitue l’un de nos principaux atouts. Or comme souligné supra, de nombreuses zones d’ombre subsistent en ce qui concerne l’évolution future de la situation budgétaire des Administrations publiques. Au présent stade, la seule continuité se manifestant de manière tangible est celle des déficits de l’Administration centrale.

  2. Une consolidation budgétaire en cure d’amaigrissement
    Selon les documents budgétaires, les Administrations publiques seraient excédentaires sans discontinuer et l’excédent atteindrait même 1,7% en 2021. Partant du constat que le scénario macroéconomique sur lequel repose ces chiffres n’est pas robuste, la Chambre de Commerce met en évidence un possible dérapage budgétaire de plus de 2% du PIB si les recettes étaient surévaluées (voir le point 5) et si la hausse des dépenses était de 5%, soit légèrement inférieure au rythme « historique » (au lieu de 3,9%, voir le point 6). Soit davantage que le surplus des Administrations publiques de 1,7% du PIB escompté pour 2021. A cette aune, la stratégie de consolidation budgétaire affichée, en général, et les efforts de consolidation du Zukunftspak (dont l’impact global des mesures sur l’Administration publique n’atteint plus que 657 millions EUR en 2018, ce qui équivaut à 63,2% du montant initialement budgétisé), en particulier, paraissent bien mince.

  3. Une dette (directe et cachée) vraiment contenue ?
    Si les autorités publiques se félicitent de la stabilisation de la dette en pourcentage du PIB, la Chambre de Commerce rappelle que la dette publique progresserait, en montants absolus, de 10% de 2017 à 2021, soit 1,3 milliard EUR. Le ratio d’endettement ne paraît donc sous contrôle qu’à la faveur d’une sensible hausse du PIB nominal et nullement parce que l’endettement à proprement parler serait structurellement endigué.

    En outre, si le décrochage du PIB devait affecter l’ensemble des soldes budgétaires, la dette publique à la fin 2021 serait nettement plus élevée que prévu. Dans un rapport spécial publié en octobre 2017, le Conseil national des finances publiques (CNFP) affirme qu’à législation constante et conformément aux hypothèses retenues actuellement par les autorités, la dette publique de l’ensemble des Administrations publiques violerait la norme gouvernementale d’une dette inférieure à 30% du PIB dès 2033. Elle franchirait le seuil de référence dite « de Maastricht » de 60% du PIB en 2043, pour s’établir à plus de 160% du PIB en 2060.

  4. Un (substantiel) décrochage du PIB non répercuté sur les soldes
    Le décrochage du PIB de 3,2 points de pourcentage aurait donc dû se traduire par une détérioration récurrente et  substantielle des objectifs budgétaires, de 1,4 point de PIB sur toute la période couverte par la PLPFP, sur base des impacts estimés « PIB sur solde public » renseignés dans la partie descriptive du projet de budget. Avec à la clef un surplus des Administrations publiques potentiellement réduit à néant en 2021. Or les autorités ont à l’inverse révisé à la hausse leurs prévisions budgétaires. Les Administrations publiques seraient en effet excédentaires à raison de 0,6% du PIB en 2018 et de 1,7% du PIB en 2021, alors que les chiffres correspondants s’établissaient à respectivement 0,3% et 1,2% du PIB en avril.

    Une maîtrise accrue des dépenses publiques n’étant pas visible dans les documents budgétaires par rapport au programme de stabilité, la Chambre de Commerce a cherché l’explication du côté des recettes.

  5. Des recettes publiques surévaluées ?
    La Chambre de Commerce constate que la baisse du PIB susmentionnée ne se retrouve pas dans la masse salariale (à savoir soit dans les salaires moyens, soit dans l’emploi), qui continue à évoluer au même rythme que dans le programme d’avril. Or la rémunération des salariés est  le déterminant essentiel des impôts sur le revenu des personnes physiques et des cotisations sociales.

    La Chambre de Commerce s’est donc livrée à un « stress test », consistant à supposer que le décrochage du PIB va graduellement et partiellement se répercuter sur la masse salariale durant la période 2018-2021. Sous ce scénario, la Chambre de Commerce identifie une surestimation des recettes officielles relatives aux impôts directs sur les ménages de quelque 300 millions EUR à l’horizon 2021 – soit près de 0,5% du PIB, et une surestimation des cotisations sociales de 140 millions EUR.

    En partant de l’hypothèse que c’est la marge des entreprises (ou en jargon économique l’excédent brut d’exploitation ; EBE) qui encaisse ce choc de PIB, puisque dans l’optique « revenu » du PIB, celui est nécessairement égal à la somme de la rémunération des salariés (inchangée) et de l’EBE, ce dernier s’effondrerait passant de 40% du PIB en 2016 à 37% en 2021, et dans ce cas les rendements des impôts directs sur les sociétés subiraient une forte chute, ce qui n’est pas le cas dans les documents budgétaires.

    Ce qui démontre par l’absurde l’incohérence du scénario macroéconomique sur lequel se fonde le projet de budget.

    La Chambre de Commerce identifie d’autres lacunes dans le volet « recettes » : non prise en compte du processus international BEPS (« Base Erosion and Profit Shifting ») et de la possible mise en oeuvre future de l’initiative ACCIS (« Assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés ») de la Commission européenne ; une estimation du produit de la TVA qui semble très (trop ?) résiliente suite aux changements en matière de TVA électronique ou encore une taxe d’abonnement dont le rendement anticipé est fortement en hausse.

  6. Dépenses de l’Administration centrale : un louable ralentissement… en fin de période
    Le volet « dépenses » fait également l’objet d’incertitudes selon la Chambre de Commerce, puisque celles de l’Administration centrale ne progresseraient « que » de 3,9% par an en moyenne sur la période 2018-2021, contre une moyenne de +6% l’an de 2000 à 2016. Une telle maîtrise est vivement saluée par la Chambre de Commerce, mais elle s’interroge sur sa mise en oeuvre effective, qui, au mieux, ne devrait pas avoir lieu avant la fin de l’horizon du projet de budget pluriannuel 2017-2021, soit au-delà de l’actuelle législature.

    Une inaptitude à concrétiser le ralentissement prévu de la hausse des dépenses minerait l’ensemble de l’édifice budgétaire puisqu’une croissance des dépenses de 5% l’an en lieu et place de la progression prévue engendrerait un dérapage budgétaire de quelque 740 millions EUR, soit 1,1% du PIB, à la fin de 2021.

  7. Rémunérations publiques : bien plus dynamiques que les investissements…
    La rémunération des salariés du public ferait quant à elle preuve d’un bien plus grand dynamisme que les investissements publics sur l’horizon 2018-2021 puisqu’elles représentent dorénavant 7,1% du PIB, soit près du double des investissements publics.

    Alors qu’entre 2010 et 2017, la hausse des dépenses en lien avec la rémunération des salariés a atteint 50%, ces dernières augmenteraient de quelque 6,6% pour la seule année 2018. Le projet de budget 2018 autorise en outre la création de 1.100 postes (soit un triplement des besoins en termes d’agents entre les projections de 2015 et de 2018), attirant vers le secteur public – au détriment du secteur privé – une part significative de travailleurs, de jeunes diplômés notamment. Cet accroissement important du facteur de production travail montre que la croissance qualitative annoncée reste sur le papier.

  8. Prestations sociales : le dérapage « is around the corner »
    La sécurité sociale afficherait sans discontinuer des surplus au cours de la période 2017-2021, avec toutefois un déclin prononcé durant cette période, puisque l’excédent passerait de 1,9% du PIB en 2017 à 1,4% en 2021. Le tout malgré d’importants transferts en provenance de l’Etat, se montant à quasiment 8% du PIB tout au long de la période concernée.

    Ce déclin serait principalement le reflet d’une augmentation très marquée des dépenses du régime général de pension. Selon le bilan technique du régime général de pension publié en décembre 2016 par l’IGSS, les réserves de pension exprimées en pourcentages du PIB devraient commencer à fondre vers 2020. Elles auraient disparu peu de temps après 2040. Les problèmes de financement des pensions souvent évoqués ne relèvent donc pas d’un futur éloigné.

    Dans son avis, la Chambre de Commerce propose un ajustement graduel des pensions nouvelles à l’évolution de la longévité, afin d’intégrer de façon « douce » et objective une contrainte budgétaire qui paraît de toute manière incontournable, tout en visant explicitement et non comme un simple « voeu pieux » le maintien des droits à pension totaux – sur un cycle de vie – des générations présentes et futures.

  9. Chômage moins élevé, un réel soulagement pour les finances publiques ?
    Alors que le taux de chômage s’inscrit en recul depuis l’été 2014, cette évolution favorable devrait, selon l’exposé introductif du projet de budget, se poursuivre en 2018, avec un taux de chômage de 5,6%. Mais quel est l’impact réel sur les finances publiques ?

    Si les indemnités de chômage semblent compatibles avec l’embellie attendue sur le front du chômage, les autres postes de dépenses du Fonds pour l’emploi enregistrent pour cette même année 2018 un gonflement d’un PLPFP à l’autre, totalement à rebours de l’embellie attendue sur le marché du travail. La Chambre de Commerce s’interroge donc sur un possible système de vases communicants entre le chômage au sens strict et les mesures pour l’emploi.

  10. Des investissements publics « dans la ligne », sans plus
    Le niveau élevé des investissements publics et l’important effort programmé en la matière est souvent mis en avant par les autorités mais ces propos doivent être nuancés selon la Chambre de Commerce puisque la formation brute de capital de l’Administration centrale subirait une franche décélération au cours de la période 2018-2021, en s’établissant à 0,6% par an en moyenne, contre une moyenne de 6,4% l’an de 2008 à 2017. Le poids de la formation brute de capital dans les dépenses totales passerait ainsi de 9,1% en 2017 à 7,9% en 2021.

    De plus, les investissements publics de l’ensemble des Administrations publiques en 2017 n’excéderaient, avec 4,33%, que très légèrement leur moyenne « historique » observée sur la période 1995-2016, soit 4,17% du PIB, et passeraient en-dessous en 2021.

    Or l’incidence à court terme des investissements publics serait appréciable. Se basant sur des estimations du STATEC, la Chambre de Commerce conclut qu’à enveloppe budgétaire globale inchangée, une simple réorientation des dépenses à raison de 1% du PIB au détriment de la consommation publique et en faveur des investissements publics augmenterait le niveau du PIB à raison de 0,4% environ – sans aucun coût net pour les finances publiques, par définition.

    La Chambre de Commerce rappelle l’importance d’une bonne planification des investissements et de leur mise en oeuvre, sachant que seulement 70% des investissements prévus sont réalisés,  et ce pour préparer le nouveau « business model » luxembourgeois basé sur une croissance qualitative.

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Si nombre des accents qu’elle privilégie sont présents dans les documents budgétaires, la Chambre de Commerce regrette que ces derniers ne s’inscrivent pas plus résolument dans une démarche  d’anticipation des défis budgétaires, économiques et sociaux à venir. Elle regrette également qu’en dépit de certains progrès, le paquet de projets de loi demeure toujours fort éloigné de l’ambition initiale d’une nouvelle architecture budgétaire, plus propice à une gestion par les résultats au profit d’une qualité de vie meilleure. Outre ses propositions d’économies, la Chambre de Commerce tient cette année à conférer un tour plus « structurel » à ses recommandations de finances publiques. A cette fin, elle les a regroupées en trois piliers « emboîtés », qui forment un tout indissociable : (i) pour un budget qui soit le support d’un environnement économique porteur ; (ii) les finances publiques en tant qu’ancre de stabilité ; (iii) pour la relance d’une nouvelle architecture budgétaire.

Le texte intégral de l'avis budgétaire de la Chambre de Commerce est disponible ci-dessous